100.000 morts du Covid-19: pourquoi ces chiffres dramatiques nous atteignent si peu

PSYCHOLOGIE - 100.000 personnes sont mortes du Covid-19 en France. Avec 300 nouvelles victimes recensées ce jeudi par Santé publique France, le pays franchit ce seuil symbolique, un peu plus d’un an après le 1er confinement, marquant une glaçante...

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100.000 personnes sont mortes du Covid-19 en France, un chiffre qui ne veut pas dire grand chose pour nous

PSYCHOLOGIE - 100.000 personnes sont mortes du Covid-19 en France. Avec 300 nouvelles victimes recensées ce jeudi par Santé publique France, le pays franchit ce seuil symbolique, un peu plus d’un an après le 1er confinement, marquant une glaçante étape de la progression de l’épidémie. Pourtant, aussi dramatique qu’il soit, ce chiffre veut-il encore dire quelque chose pour nous? 

Souvenez-vous. Au début de la pandémie, le nombre de décès pouvait être suivi quotidiennement. Chaque jour, nous assistions à ce décompte macabre qui nous permettait, certainement, de prendre conscience de la gravité de la situation. Aujourd’hui, derrière ces chiffres, nous ne voyons plus des personnes ni des vies humaines, mais uniquement des statistiques. 

C’est en tout cas l’hypothèse avancée par plusieurs spécialistes. “Lors de la 1ère vague, il y a un an, la situation était différente car nous étions dans la sidération, provoquée par l’irruption de la pandémie et la restriction massive de nos libertés, plutôt que par les 1ers chiffres de mortalité”, avance Éric Chevet, professeur de philosophie au lycée Descartes et à l’École des hautes études de la santé publique (EHESP) de Rennes, entrevueé par l’AFP, pour qui ce phénomène tient plus de l’habitude que de l’indifférence.

“Aujourd’hui, une sorte de ‘mathématisation’ de ces décès fait en partie écran: évoquer la mort d’un point de vue purement quantitatif reste quelque peu abstrait. Cela ne résorbe pas le décalage mental entre notre perception des choses et la réalité médicale de la pandémie, la souffrance des patients, des familles et des soignants. Avec la litanie des chiffres, chaque soir, nous finissons, malgré nous, par nous y habituer.” 

Engourdissement psychologique 

“Personne n’est mauvais parce qu’il a l’impression d’être un peu insensible. C’est de l’autoprotection”, souligne de son côté la psychologue Meg Aroll, contactée par la BBC. “Normalement, nous ne voyons cela qu’à travers les médecins et infirmiers. Mais parce que nous avons ces statistiques sur le Covid tous les jours et que nous entendons les histoires de ceux qui en meurent tous les jours, cette impression d’insensibilité est un phénomène normal qui nous empêche d’être submergés”, poursuit-elle. 

Ce phénomène aurait même un nom: l’engourdissement psychologique. C’est ainsi que le nomment deux chercheurs, Paul Slovic and Daniel Västfjäll, qui ont mené une étude publiée en septembre 2015 et intitulée “The more people die, the less we care”. Soit, en français, “plus les gens meurent, moins nous nous en soucions”. 

Il s’explique, dans un long article de la BBC dédié à ce phénomène qui s’avère être une réalité en ces temps pandémiques. “Notre instinct est miraculeux à bien des égards, mais il présente quelques défauts”, explique Paul Slovic, psychologue à l’Université de l’Oregon. “Premièrement, il ne gère pas très bien les nombres en ampleur. Si nous parlons de vies, une vie est extrêmement importante et précieuse et nous ferons tout pour protéger cette vie, sauver cette vie, sauver cette personne. Mais nos sentiments ne sont pas accrus de manière proportionnelle au fur et à mesure que les chiffres augmentent”.  

Empathie pour une personne, une histoire 

Si un nombre élevé de morts peut nous indifférer, cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes sans cœur ou profondément égoïstes. C’est qu’il résonne moins en chaque individu que la mort d’une seule personne. 

Les chercheurs le démontrent à travers une expérience simple. Aux participants d’une étude, ils ont montré soit la photo d’un enfant pauvre, soit la photo de deux enfants pauvres. Ils leur ont ensuite demandé s’ils souhaitaient faire un don. Et il s’est avéré que les participants ont moins donné d’argent lorsqu’ils ont vu deux enfants qu’un seul.

Pour Paul Slovic, c’est parce que les êtres humains ont plus de facilité à comprendre et être empathiques envers un seul individu. “Si vous voyez un enfant, vous pouvez vous concentrer sur lui. Vous pouvez penser à qui il est, à quel point il ressemble à votre propre enfant. Vous pouvez vous concentrer plus intensément sur une personne que deux. Avec deux enfants, votre concentration commence à diminuer, tout comme vos sentiments”, explique le chercheur. 

C’est notamment pour cette raison que la photo du petit garçon réfugié de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé sans vie sur une plage turque, avait en 2015 fait le tour du monde, et sensibilisé aux drames que vivent des milliers de réfugiés bien plus que tous les chiffres sur le sujet. 

Âge des morts du Covid  

En ce qui concerne l’épidémie de Covid-19, un autre facteur pourrait entrer en jeu, et il s’agit de l’âge des personnes décédées. C’est ce que souligne cet article de The Atlantic, qui s’appuie sur une étude publiée en 2018 et intitulée “Moral Machine experiment”. Dans celles-ci, les participants sont invités à regarder des images d’une voiture hors de contrôle se dirigeant vers des groupes d’individus, ou parfois d’animaux, différents. Par exemple, on vous dirait dans cette expérience que la voiture hors de contrôle va tuer trois petites filles et deux hommes adultes si elle poursuit sa route à gauche, alors que si elle va vers la droite, elle entraînera la mort de deux vieilles dames et deux femmes plus jeunes. 

L’un des résultats probants de cette étude avait déjà été démontré par le dilemme du tramway en philosophie: la plupart des personnes vont tenter de maximiser le nombre de personnes sauvées. Mais cette variante montre que ce sont surtout les vies de jeunes personnes qui sont priorisées. The Atlantic souligne ainsi que les bébés, les enfants, les femmes enceintes, sont parmi les plus épargnés théoriquement, contrairement aux personnes plus âgées, aux côtés des criminels ou des chats et des chiens. 

“Toutes choses étant égales par ailleurs, la priorité des gens est d’épargner une personne plus jeune pour sacrifier une personne plus âgée”, souligne le psychologue Azim Shariff, un des auteurs de l’étude.  

Le philosophe Éric Chevet analyse de son côté que “notre culture actuelle, avec son culte narcissique de la performance et du bonheur obligatoire, valorise d’ailleurs la jeunesse, la santé, le dynamisme. Nous avons donc bien des difficultés à accepter notre finitude et notre vulnérabilité, et à donner une place à la fin de vie. La mort est occultée.” 

L’une des conséquences de cette occultation de la mort, ou de l’engourdissement psychologique qui en serait à l’origine, est un moindre élan de la part des individus, des populations, pour apporter leur aide suite à des catastrophes à grande échelle. Ainsi, il serait plus aisé, pour nous, d’aider une personne malade en particulier, que de participer à un effort collectif pour en sauver une parmi des milliers.

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