2021 : où en est le rock made in USA ?
La question s’est une fois encore posée à l’aune de la sortie du Greatest Hits des White Stripes, en février dernier : quel est le dernier grand tube de l’histoire du rock ? Depuis combien de temps un morceau tout droit sorti du garage d’un...
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La question s’est une fois encore posée à l’aune de la sortie du Greatest Hits des White Stripes, en février dernier : quel est le dernier grand tube de l’histoire du rock ? Depuis combien de temps un morceau tout droit sorti du garage d’un groupe de postadolescent·es flingué·es à la colle n’a pas été repris par des foules hurlantes dans une immense beuverie globalisée, effaçant le temps de quelques minutes les lignes de partage de l’ordre social ?
Pour certain·es, ça ne fait pas un pli, le Seven Nation Army (2003) des “Bandes Blanches” est de cet acabit – une affaire qui nous ramène dix-huit ans en arrière. D’autres évoquent Reptilia (2003) des Strokes, Take Me Out (2004) des Ecossais de Franz Ferdinand, ou Are You Gonna Be My Girl (2003), complètement pompé sur le Lust for Life d’Iggy Pop, des Australiens de Jet.
Pour quelques autres, Lonely Boy (2011) des Black Keys pourrait être cet artefact rare de la guitare culture, haut perché au classement Billboard, quand les plus téméraires balaieront toutes ces propositions d’un revers de main, arguant que Smells like Teen Spirit (1991) de Nirvana demeure ce classique intergénérationnel, jamais dépassé, qui a mis à l’amende la pop mainstream.
Que le souvenir de ces instants lointains et suspendus ne vienne surtout pas nourrir l’idée selon laquelle le rock serait enterré quelque part entre Graceland et le Père-Lachaise ; ils ne sont que la partie émergée d’un genre qui a plus à offrir qu’une guitare électrifiée en guise de totem.
Alors, trente ans après la sortie de Nevermind, quid du rock made in USA ? Si le grunge semble toujours figurer le dernier grand courant populaire du rock américain – la figure calcinée de Kurt Cobain infiltrant aujourd’hui des genres musicaux connexes comme l’emo rap, la carte du rock aux Etats-Unis fait état d’une activité intense, avec ses têtes d’affiche (Big Thief, DIIV, Parquet Courts, Ty Segall, Kurt Vile, The War on Drugs), ses espoirs (Snail Mail, Fake Fruit, Phoebe Bridgers), ses revivals en tout genre et ses transhumances d’artistes venant chambouler un écosystème aux racines profondément ancrées dans ce territoire mystique. La preuve en cinq grandes tendances de rock.
Les vétérans
Guitare, basse, batterie. Enregistré durant la période de confinement avec Mick Jagger, le titre Eazy Sleazy témoigne de la polyvalence de Dave Grohl, infatigable cogneur du Midwest, qui monta les Foo Fighters après le suicide de Cobain en 1994. Dix albums plus tard – le dernier, Medicine at Midnight, est sorti en février dernier –, le groupe du kid de Warren, Ohio, est une institution à la puissance de frappe phénoménale qui rappelle à quel point la déflagration grunge aura déterminé l’avenir du rock.
Dans le sillage de l’explosion en plein vol de Nirvana, le punk rock californien en skateboard s’invitera en prime time sur MTV. On y croise Green Day, ou encore Bad Religion et The Offspring, les formations de Greg Graffin et Dexter Holland continuant en 2021 à sortir des disques et à écumer les salles.
Au mitan des années 1990 jusqu’au début des années 2000, apparaîtront également des produits dérivés de la mouvance grunge (Puddle of Mudd, la Canadienne Avril Lavigne), quand des groupes estampillés “nu metal” (Korn, Limp Bizkit, Linkin Park), à tendance contestataire (Rage Against the Machine), post-hardcore (At the Drive-In), ou stoner (le Queens of the Stone Age de Josh Homme) prendront au pied de la lettre le terme “musique amplifiée”.
Aux côtés de Homme et de QOTSA, d’ailleurs, Dave Grohl enregistrera le mythique Songs for the Deaf (2002), avant de monter quelques années après le power trio Them Crooked Vultures, avec l’ex-Led Zep John Paul Jones. Parallèlement à ces saillies électriques, les scènes rock indépendantes ayant émergé sur le cratère laissé par le grunge, qu’elles ratissent des territoires désolés (Bill Callahan, Bonnie “Prince” Billy, Lambchop) ou plus pop (Beck, Pavement, Stephen Malkmus, Liz Phair), continuent leur exploration de la psyché rock made in USA.
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Emo/Indie rock
La scène se déroule le 24 avril 2020, en direct de chez Post Malone. Le rappeur a enfilé une robe et invité ses potes, dont Travis Barker (batteur de Blink-182), le temps d’un tribute à Nirvana d’une puissance sidérante, validé tour à tour par Courtney Love et Krist Novoselic. Cette tendance des années 2010-2020 à faire resurgir les archétypes du grunge, fil rouge reliant les générations X et Z, a d’abord nourri la folie des rappeurs tels que Lil Uzi Vert, XXXTentacion, Playboi Carti, avant d’infuser à nouveau la sphère des groupes à guitare. Comme lorsque la guitariste Phoebe Bridgers (boygenius, Better Oblivion Community Center) explose sa Danelectro sur le plateau du Saturday Night Live (c’était en février dernier).
De ce grand fourre-tout estampillé “rock alternatif” dans les années 1980, la jeunesse emo électrifiée a tiré une manière d’exprimer son rapport contrarié au monde avec un instinct pop assez bluffant et, surtout, une attitude (ça compte aussi). A l’image de la jeune Lindsey Jordan, 21 ans au compteur, et de son projet Snail Mail signé chez Matador (l’un des labels incontournables du rock indépendant depuis trente ans), ou de Sophia Regina Allison, alias Soccer Mommy, qui, à seulement 23 ans, a sorti l’année dernière son quatrième album. Les nostalgiques de la série Parker Lewis ne perd jamais et autres amateur·trices de skateboard et de college rock pourront déguster leur pizza froide en se passant les disques de groupes comme Camp Trash ou Home Is Where, deux formations floridiennes. Sans oublier ceux des enfants chéris de la jangle pop, Real Estate.
Postpunk/New wave
Pour la faire courte, avant d’être un label qualité, le postpunk est d’abord un point de rupture dans l’histoire : une poignée de gens modernes en ont assez des excès machos de Led Zep et compagnie (un point commun avec Kurt Cobain) et rejettent une pratique du rock encore trop sous haute influence blues. L’un des épicentres de cette révolution copernicienne est d’ailleurs le New York City de la fin des années 1970. C’est encore là-bas que l’on retrouve aujourd’hui les formations Parquet Courts, Bodega, Wives, ou encore The Men et DIIV (même si ces derniers ont filé depuis à Los Angeles).
Particulièrement érudits, ces groupes inscrivent leur musique dans l’héritage bruitiste de Sonic Youth, la grâce de Television, la fantaisie des Feelies et le côté arty des Talking Heads. Parmi les autres influences régulièrement citées par cette génération de trentenaires, on croise le chemin des postrockeurs de Slint et des Pixies. Du côté de Los Angeles, Girlpool, duo formé par Harmony Tividad et Avery Tucker, taille, lui, sa route dans une veine punk-shoegaze désarmante de sincérité.
Soft rock/Néo-sixties/Pop
Epicentre du cool de 2001 (The Strokes, LCD Soundsystem, The Rapture) jusqu’au mitan des années 2010, New York City a connu une fuite des cerveaux importante au profit de la grande cité californienne. C’est d’ailleurs là-bas que l’on retrouve Allah-Las, héritiers de Love, des Byrds et d’une certaine idée d’un été qui ne finit jamais. Si leur goût pour les harmonies sixties blanchies par le soleil ne se dément pas d’album en album, ces jeunes gens ont aussi rouvert la boîte de Pandore en diffusant sur le site de leur Reverberation Radio des vieilleries seventies smooth, manigancées dans ces années-là par des geeks de studio (de Gerry Rafferty à Steely Dan).
Le label de Brooklyn Mexican Summer exhumera de son côté quelques pépites inconnues du genre dans des compilations rétrospectives, preuve du regain d’intérêt pour ces oldies FM. Le pape du genre serait sans doute Michael Collins, l’homme derrière le projet Drugdealer. Comptons aussi Dent May, le Néerlandais Benny Sings (signé sur le label de L.A. Stones Throw) ou encore le Canadien d’Echo Park, Mac DeMarco, que tout le monde s’arrache. Sans oublier le travail de Jonathan Rado, du groupe Foxygen, sur les albums de l’Australien Alex Cameron et des glam rockeurs de The Lemon Twigs.
Country/Néofolk/Americana
La tendance au revival, quand elle s’accompagne d’une revisite complète, peut donner le sentiment que les sillons d’un genre ne finissent jamais de se creuser. C’est le cas de la country, que l’on aurait tort de prendre pour de la musique de cowboy Marlboro. La ville de Nashville est même devenue le terrain de jeu des Black Keys, de Jack White et d’artistes bohèmes comme Jonathan Wilson, venu récemment se confronter aux musiciens de session du coin pour mettre en boîte son dernier album.
Du côté d’Atlanta, on retrouve la jeune Faye Webster, un temps signée sur le label rap Awful Records, qui use de la pedal steel comme d’un ronronnement de fond pour délivrer une country-folk classieuse et ouverte à des influences plus r’n’b.
Plus au sud, c’est Esther Rose qui convoque les fantômes de Hank Williams quand, dans un registre plus folk et baroque, Jessica Prattx, en Californie, semble raviver la mémoire de Karen Dalton. A Los Angeles, les membres de Mapache défendent une country-folk sous influence mexicaine et hawaïenne, et plus au nord, à Chicago, le génie Ryley Walker synthétise blues, folk et jazz dans des compositions aux formes libres.
De façon plus générale, les fantasmes d’Americana de l’outlaw country de Townes Van Zandt et du country-folk de John Prine, sans oublier les figures tutélaires de Neil Young et Bob Dylan, continuent d’inspirer, notamment, l’immense Kurt Vile. Kevin Morby, exaltant soul blanche et country-folk, est établi depuis quelques années à Kansas City, avec Katie Crutchfield, autre grande artiste plus connue sous le nom de Waxahatchee. Enfin, dans une veine plus dépouillée, mais sans renier une certaine tension électrique, le groupe Big Thief est un autre des grands représentants du genre, quand le Californien Ty Segall demeure l’une des icônes contemporaines du néopsychédélisme.