À Canal +, la terreur en interne après les affaires Sébastien Thoen et Stéphane Guy

TÉLÉVISION - “On ne peut rien faire, car on sait que sinon on est le prochain à se faire couper la tête!” Après les licenciements de Sébastien Thoen et Stéphane Guy, Le HuffPost a cherché à comprendre ce qui se passait en interne à Canal +...

À Canal +, la terreur en interne après les affaires Sébastien Thoen et Stéphane Guy

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

L'ombre de Vincent Bolloré plane sur Canal +, celle de “l’ennemi invisible, qui décide mais qu’on ne voit jamais”, comme le décrivent certains salariés.

TÉLÉVISION - “On ne peut rien faire, car on sait que sinon on est le prochain à se faire couper la tête!” Après les licenciements de Sébastien Thoen et Stéphane Guy, Le HuffPost a cherché à comprendre ce qui se passait en interne à Canal + et s’est (presque) heurté à un mur. Un silence de la plupart des salariés qui en dit long sur leurs craintes de perdre leur emploi comme les deux figures des antennes de Canal + éjectées manu militari ces dernières semaines. 

À l’origine de ces tensions, une parodie de “L’Heure des Pros” de CNews réalisée mi-novembre pour Winamax par les anciens humoristes “d’Action discrète” de Canal +. Parmi eux, Julien Cazarre et Sébastien Thoen, deux visages bien connus des amateurs de sport sur la chaîne cryptée. Leur parodie du talk de Pascal Praud n’a pas du tout été du goût de l’homme d’affaires Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Canal. 

“Cette séquence est arrivée alors que Julien Cazarre venait de critiquer sur YouTube la direction de Canal +. C’est remonté aux oreilles de Didier Lahaye (directeur adjoint des sports à Canal +) et ça ne lui avait pas du tout plu”, explique au HuffPost une source en interne. Des propos qui ont été le prétexte pour justifier le licenciement de Sébastien Thoen. “On n’accepte pas qu’on dénigre au sein du groupe et en s’affichant avec cette personne (Julien Cazarre, ndlr), il légitimait tous ces dénigrements”, déclarera Gérald Brice-Viret, le patron des antennes de Canal+ sur Europe 1 le 9 décembre. 

À ce moment-là, en interne, on est consternés par la tournure que prend cette affaire. ″À cet instant, Vincent Bolloré préfère plomber Canal + plutôt que d’entendre des critiques contre sa chaîne info”, souligne un autre salarié qui préfère rester anonyme. “Une chaîne qui n’est pourtant pas la ‘chaîne premium’ de notre groupe! C’était sidérant”.

Une lettre de soutien lourde de conséquences

Les salariés réagissent et 150 d’entre eux signent une lettre de la Société des Journalistes (SDJ) pour apporter leur soutien à celui qui collaborait chaque semaine dans le “Canal Sports Club”.

Une lettre qui n’est pas sans conséquence pour ses signataires. “Dès que l’affaire a éclaté il y a eu une pression sur la rédaction pour tenter d’étouffer l’histoire”, poursuit ce salarié de la chaîne.

Au cours d’une réunion Zoom, Gérald-Brice Viret, Thierry Cheleman (directeur des sports à Canal) et Franck Cadoret (directeur général) mettent les points sur les I et dénoncent l’attitude scandaleuse des signataires qui “auraient dû venir les voir pour avoir des explications”. 

“Gérald-Brice Viret était ensuite anormalement présent à la rédaction des sports. Certains ont reçu des pressions et on leur a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas qu’ils se trompent de combat”, nous assure-t-on.

Un management par la peur qui n’est pas sans rappeler celui à CNews lors de l’arrivée de l’éditorialiste Éric Zemmour en quotidienne en octobre 2019. À l’époque, la nouvelle fait grincer les dents de nombreux journalistes qui réfléchissent à la possibilité ou non de faire grève. Pour la direction, “se battre contre Zemmour c’était se battre contre le groupe, se battre contre son propre camp”, résumait d’ailleurs l’un d’entre eux au HuffPost.

“On ne peut plus compter sur notre direction pour nous défendre”

À Canal+ – comme à CNews d’ailleurs – la grève n’a pas eu lieu et Sébastien Thoen a dû se contenter essentiellement de soutiens en privé... À l’exception de Stéphane Guy, une des rares figures de l’antenne à évoquer publiquement l’affaire. Avant le match Montpellier-PSG le 5 décembre, il avait rendu hommage à son “ami”, estimant qu’il n’avait “pas eu la sortie qu’il aurait méritée”. 

Un clin d’œil payé très cher par le commentateur, immédiatement mis à pied puis licencié le 24 décembre, pour “manquement à l’obligation de loyauté”, comme l’a indiqué son avocat au site “Les Jours”. Le coup de grâce à la rédaction des sports, où plusieurs journalistes le décrivent comme étant “un modèle”, “très protecteur avec les jeunes”, “corporate” et “toujours le premier à défendre la boîte”. 

“En le licenciant, la direction envoyait un message fort: à partir du moment où Stéphane était mis à la porte, ils ont démontré qu’ils étaient prêts à mettre n’importe qui dehors”, avance un autre salarié de la chaîne qui préfère lui aussi rester anonyme par peur de représailles.

La rédaction semble plongée dans un profond malaise et ceux qui passent à l’antenne pèsent leurs mots encore plus que par le passé lorsque les projecteurs sont braqués sur eux.

“On se dit c’est qui le prochain? Si on se met à critiquer un président de club, il suffit qu’il ait le 06 de Bolloré, qu’il aille se plaindre et derrière il a notre tête”, poursuit un autre salarié. Certains disent du milliardaire breton qu’il est “l’ennemi invisible”, celui qui prend les décisions, mais “qu’on ne voit jamais”.

Une terreur menée en interne que Vincent Bolloré lui-même semble assumer, comme lors d’un comité d’entreprise en septembre 2015 déjà, peu après son arrivée à la tête du groupe. “La haute direction d’une grande maison mérite un peu de terreur, un peu de crainte,” pouvait-on lire dans le procès-verbal de ce CE que “Les Jours” s’étaient procuré. La terreur fait bouger les gens.

L’affiche symbolique accrochée sur la porte du bureau de Stéphane Guy

Certains ont bien tenté de rendre hommage à Stéphane Guy, commentateur incontournable du PAF en employant subtilement certaines de ses expressions à l’antenne, notamment durant des rencontres de football pendant les fêtes. Mais même en faisant cela, ces derniers craignent désormais des sanctions. “On a tous tellement peur qu’on se dit que si on fait une référence trop prononcée à Stéphane Guy on risque le blâme”, explique un journaliste.

D’autres ont multiplié des allusions symboliques, en accrochant sur la porte d’entrée de l’ancien bureau du journaliste une affiche avec les paroles de l’hymne de Liverpool :“You’ll never walk alone” (tu ne marcheras jamais seul). Tout un symbole. Des citations de Coluche ont aussi été affichées dans la rédaction. Un clin d’œil au journaliste qui avait cité l’humoriste lors de cette fameuse minute d’hommage qui lui a coûté son poste.

À la défiance, s’ajoute aujourd’hui le sentiment de résignation qui traverse les équipes, comme l’explique cet employé qui a décidé de quitter l’entreprise fin décembre après plus de 20 ans de boîte.

Au moment de la procédure disciplinaire, on savait que tout était déjà joué et que personne n’aurait l’intention de défendre l’intérêt de Stéphane Guy. Mais le plus triste c’était de se dire qu’il n’y avait personne qui pesait suffisamment dans la direction de Canal pour dire: ‘attention, ce qu’on fait c’est mauvais pour notre image et on va droit dans le mur’. On a compris qu’on ne pouvait plus compter sur notre direction pour nous défendre.”

“Dans cette affaire, il y a aussi une certaine lâcheté de nos dirigeants face à l’actionnaire”, abonde un collègue du service des sports, qui comme plusieurs regrette de ne jamais avoir eu des explications de la direction sur l’éviction brutale de Stéphane Guy.

Quand le télétravail “casse” la grève

Si pour l’heure la possibilité d’une motion de censure ou d’une grève est écartée, certains salariés ont tout de même manifesté leur opposition aux pratiques de Canal. Environ soixante d’entre eux se sont affichés devant le siège de l’entreprise le 5 janvier avec un masque de Stéphane Guy, les yeux crevés. “Avec cette action silencieuse et anonyme, nous voulons signifier que nous sommes tous des Stéphane Guy potentiels, tous susceptibles d’être sanctionnés”, expliquait la SDJ de Canal + dans un communiqué.

L’un des manifestants présents confie d’ailleurs que la peur d’être identifié était telle, que les masques ont tous été imprimés hors des murs de Canal +, chez un imprimeur ou à leur domicile. Une solution pour empêcher la direction de rechercher dans les historiques d’impression des sessions des employés.

Un autre participant de ce happening ajoute que certains ont pris soin de s’habiller avec des vêtements qu’ils ne portent pas d’habitude à Canal + et se sont changés discrètement pour ne pas être reconnus par les caméras de vidéosurveillance. Ambiance...

Dans les faits, le rendez-vous n’a pas rassemblé la foule espérée. Il a été plombé par... la pandémie de coronavirus et le télétravail. “Si tout le monde avait été présent à Lumière (le nom d’un des sièges de Canal + à Boulogne-Billancourt, ndlr) cela aurait été différent et la manifestation aurait rassemblé plus de monde”, confie une source syndicale. “Mais avec environ 30% des collaborateurs présents en physique, mener une mobilisation à l’heure actuelle est impossible”. À cela il faut ajouter le fait que le mardi est souvent un jour de repos pour ceux qui ont travaillé les week-ends à la couverture des manifestations sportives.

Les manifestants principalement issus de la rédaction des sports, se sont rassemblés le 5 janvier une dizaine de minutes devant les locaux de Canal+ à Boulogne-Billancourt, sans prendre la parole ni montrer leurs visages.

Depuis, silence radio ou presque à la SDJ. Sollicitées par Le HuffPost, plusieurs de ses membres bottent en touche sur le sujet après les coups de pression reçus de la direction. “C’est très sensible vis-à-vis de la direction, qui nous reproche notre déloyauté. Nous avons donc décidé en réunion de maintenir une expression unique et collective via la SDJ pour maîtriser notre communication, explique un journaliste précisant que cette consigne a été instaurée après la mise à pied de Stéphane Guy.

Les déboires de Téléfoot font ricochet... sur Canal

Une consigne qui en dit long sur la crainte des salariés de perdre brutalement leur emploi. D’autant que la conjoncture n’est pas tellement favorable dans ce secteur, déjà très fragile en temps normal. À la crise du coronavirus, il faut ajouter celle de Mediapro, le groupe sino-espagnol, incapable d’honorer son contrat des droits TV avec la Ligue de Football Professionnel. Cet échec cuisant pour le football français va mettre sur le carreau la centaine d’employés (dont un peu moins de cinquante journalistes) de la chaîne Téléfoot. 

“Les places sont chères dans le climat actuel et on sent que la direction de Canal est prête potentiellement à laisser partir la moitié des journalistes sportifs car derrière ils savent qu’ils peuvent constituer derrière un vivier avec de nouveaux talents facilement”, avance une source syndicale.  

D’autant que Canal + a entamé une partie de poker avec la ligue de football pour tenter de redevenir (potentiellement) le diffuseur principal du football français. Et si le groupe Bolloré y parvenait, il aurait alors besoin de petites mains pour confectionner encore plus de programmes de Ligue 1 et de Ligue 2. Autant de raisons de marcher dans le rang pour les soldats de Canal +. “J’ai l’impression que ça ne dérangerait pas la direction de baisser en qualité si en échange ils gagnaient une équipe plus docile et qui respecterait sagement la ligne Bolloré en restant dans le rang”, ajoute d’ailleurs un journaliste. 

″Ça commence à atteindre ma santé mentale”

Parmi les témoignages recueillis par Le HuffPost, celui de cette ancienne salariée de l’entreprise, partie comme 319 autres de ses collègues avec le plan de départ volontaire en décembre 2020 est particulièrement frappant.

“Il fallait que je parte, je sentais que ça commençait à atteindre ma santé mentale”, confie-t-elle. “Notre maison est en train d’être taillée à la hache et finalement l’affaire Thoen/Guy ça n’a fait que conforter mon choix. J’en avais marre de venir travailler avec la boule au ventre tous les jours dans une entreprise que j’ai aimée et où la culture d’entreprise a radicalement changé en quelques années. Dans tous les étages, il n’y a pas une personne qui adhère aux nouvelles valeurs de l’entreprise”. 

“Les employés qui ont une cinquantaine d’années et ont connu les heures glorieuses de Canal ont une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête”, ajoute un quinqua partagé entre l’envie de quitter le navire et la peur de ne pas être en mesure de trouver du travail ailleurs.

Sollicité par Le HuffPost, le groupe Canal n’a pour l’heure pas donné suite à nos demandes d’interview.

À voir également sur Le HuffPost: Pour “Thalassa”, Georges Pernoud avait fait construire sa péniche sur-mesure