A l’occasion de la sortie de “Machines of Loving Grace”, rencontre avec Para One

Touche-à-tout de génie, roi de la boucle qui claque et des machines qui tapent, un pied dans le hip-hop, l’autre dans le club, compositeur des bandes originales des films de Céline Sciamma, producteur pour Bonnie Banane, Para One n’est jamais...

A l’occasion de la sortie de “Machines of Loving Grace”, rencontre avec Para One

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Touche-à-tout de génie, roi de la boucle qui claque et des machines qui tapent, un pied dans le hip-hop, l’autre dans le club, compositeur des bandes originales des films de Céline Sciamma, producteur pour Bonnie Banane, Para One n’est jamais là où on l’attendrait.

La preuve avec Spectre : Machines of Loving Grace, 1er volet d’un triptyque multidisciplinaire, et quatrième album en forme de virage musical surprenant et mystique sur les traces d’un secret de famille et donc de lui-même.

Machines of Loving Grace s’éloigne totalement du dancefloor auquel tu étais habitué. Sont-ce tes adieux à la musique de club ?

Para One – Plutôt un pas de côté. Jusqu’à ce que ce soit possible, j’étais encore tous les week-ends derrière les platines pour faire danser les gens. J’ai toujours pratiqué cette double activité, avec notamment les musiques de film qui étaient le contrepoint de cette culture festive de la danse et du corps. Avec cet album, j’ai voulu développer un aspect contemplatif de mon travail, qui laisse plus de place à l’imaginaire.

C’est un album très complexe qui a mis longtemps à mûrir ?

Très longtemps ! J’ai mis sept ans à le faire. Le disque est lié à mon 1er long-métrage que je viens de terminer, Sanity, Madness and The Family. C’est la bande originale, et le film explique sa genèse. J’ai voulu explorer les sources intimes de l’inspiration musicale en enquêtant sur un secret de famille à l’occasion de l’écriture du film. J’ai évolué dans cette opacité du souvenir qui m’a ramené à des musiques entendues ou rêvées depuis l’enfance. D’une certaine façon, c’est un retour à la musique pré-genre, celle qu’on invente lorsqu’on n’a aucune connaissance, seul devant un piano sans savoir en jouer. Même si, bien sûr, il convoque énormément de références accumulées entretemps.

Tu as découvert ce secret de quelle manière ?

En enquêtant sur un membre de ma famille et sur la maladie mentale de ma sœur, j’ai découvert beaucoup plus que ce que je pensais pouvoir trouver et ça a prolongé l’aventure très longtemps d’où le temps fou à réaliser ce projet. J’ai grandi dans un milieu très religieux où la spiritualité se mélangeait à la santé mentale, c’est typique du renouveau charismatique très important dans les années 1970 en France, avec beaucoup de communautés en marge de l’Eglise catholique inspirées par une spiritualité très nord-américaine. J’y ai développé plein d’intuitions enfant que je comprends mieux aujourd’hui et que j’ai enfin pu traduire de manière sonore, par exemple. C’est vrai que quand on me demande pourquoi je n’ai pas fait ce projet plus tôt, la réponse c’est qu’il y a tout un système de caches où je découvre des identités, des secrets, et je comprends pourquoi je n’avais accès que de manière très intuitive en fait à ma propre histoire.

C’est la 1ère étape d’un projet plus global qui s’appelle Spectre ?

Spectre, c’est une trilogie. L’album qui sort n’en est que la 1ère partie. Sanity, Madness & The Family en est le deuxième chapitre et il y a enfin un live, Operation of The Machine. Les trois volets de l’œuvre fonctionnent ensemble, mais sont abordables séparément. Ils sont censés s’enrichir et se compléter les uns les autres. Une manière pour moi d’enfin tout mettre au même endroit, après vingt ans à explorer des pistes parallèles.

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Quelles en sont les influences principales ?

Il y a un double trajet, à la fois vers l’Ouest à travers l’Atlantique puisque j’ai été inspiré par Steve Reich, Philip Glass ou Terry Riley ainsi que par les transpositions d’accords typiques de la techno de Detroit dans son aspect le plus mental, mais aussi vers l’Orient. Les chœurs bulgares, le gamelan indonésien et finalement le taiko japonais ont été des sons qui m’ont longtemps obsédé. J’en ai découvert une partie en regardant des films tels qu’Akira ou Ghost In The Shell, le reste en voyageant au fil des ans, en me rendant sur place et en rencontrant les musiciens qui jouent sur le disque. Cette arrivée en extrême orient a été une bouffée d’oxygène, une sortie du carcan de la musique occidentale très normée et codifiée. L’idée était de travailler avec eux et de comprendre leur approche de la musique. Il n’était pas question que je m’attribue leur patrimoine d’une manière ou d’une autre, mais plutôt d’inventer une musique de fiction, une forme de gospel pour une autre planète. Je cherchais leur son et l’authenticité de leur approche rythmique pour que je puisse écrire avec.

Le film documente leurs pratiques, montre leurs visages, les rend visibles, donne un nom à tous ces gens qui composent et jouent cette musique. Il n’était pas question de venir et de sampler un morceau des voix bulgares par exemple, où alors dans ce cas-là, je ne serais pas allé à Sofia mais au Quai Branly et j’aurais demandé à avoir accès à la médiathèque. Ça s’apparente d’une certaine manière aux collages que faisaient Brian Eno et David Byrne sur My Life In the Bush of Ghosts, ce genre de disque de sampling absolu où existe vraiment l’idée de prendre des éléments et d’en faire son propre collage sans prétendre à aucun moment documenter quoi que ce soit.

Pourquoi avoir eu besoin de Céline Sciamma pour écrire ce film ?

On formait déjà un binôme quand on était tous les deux à la Fémis, avant d’écrire mes 1ers courts métrages ensemble. Surtout, elle a une pratique du scénario bien plus avancée et bien différente de la mienne, car je suis influencé par le cinéma d’art et d’essai qui se concentre beaucoup sur l’association d’images, le montage et l’écrit alors que Céline se situe vraiment dans les personnages et la fiction. J’avais besoin de trouver pour ce film son propre rapport à la fiction et à la réalité. Si j’avais été tout seul, j’aurais sans doute perdu pied. Il y a une vraie rationalité dans l’approche de Céline et c’est aussi une amie extrêmement proche et avec qui j’ai partagé des moments très importants avec ma famille. Céline était là comme un calque, un échafaudage, qu’on a fini par enlever, mais sa présence est partout dans le projet car elle m’a accompagné tout du long, même si j’ai fini par avoir la force et le courage de créer ma propre forme. Elle m’a aidé à m’assumer, à me libérer de ce que je pensais qu’on attendait de moi, y compris dans ma pratique artistique.

C’est un disque très différent du Para One que l’on connaît.

C’est un projet qui a presque une vertu thérapeutique. J’ai grandi dans une famille très spirituelle où les musiques sacrées avaient énormément de place, et ça a clairement influencé ma manière de composer de la musique, sauf que les circuits dans lesquels je me retrouvais jusque-là, entre le hip-hop et la dance, n’étaient pas vraiment les endroits rêvés pour exprimer ce genre d’influences, même si je me rends compte aujourd’hui que même si je n’ai pas souscrit à cette forme de spiritualité subie, il en reste quand même quelque chose. Il y a des morceaux sur le disque qui sont presque du registre du thriller, une musique d’enfermement et d’angoisse, mais aussi des titres qui sont censés évoquer une libération que j’ai finie par trouver en composant cet album car il est finalement assez détaché des genres que j’ai abordés jusque-là.

Tu dirais que c’est un disque complexe ?

J’ai toujours eu, depuis très jeune, une attirance pour les disques ambitieux et étranges qui n’avaient aucun intérêt commercial. Aujourd’hui, alors qu’on consomme de plus en plus vite la musique, qu’on y injecte moins d’argent, que ce sont quasiment des circuits courts qui se sont mis en place, je me suis posé la question de savoir où étaient les disques avec de l’ampleur, de l’ambition, de la prise de risque, du temps passé, de l’argent dépensé, ces disques que j’ai tant aimés et admirés lorsque j’étais adolescent. Je pense qu’il est de ma responsabilité aujourd’hui, passé la quarantaine, de réinvestir l’argent que je gagne en faisant danser les gens dans des projets ambitieux et ça été aussi le déclic : prendre un billet d’avion, aller sur place, rencontrer les musiciens, enregistrer avec eux. Bref, prendre tous ces risques, y compris financiers, pour faire exister un projet qui d’une certaine manière ne pourrait pas survivre dans le monde actuel. Disons aussi que je n’ai pas envie de refaire à l’infini les mêmes choses même si avec mes machines, je continue à la musique comme je l’ai toujours fait à composer des beats de rap et de dance. C’est une pratique presque quotidienne, ça a toujours été un plaisir depuis l’adolescence et ça s’est transformé en projet et en collaborations multiples avec des rappeurs ou pour des remixes. Je les garde, j’y reviens, ce sont des points de départ, d’ailleurs dans ce disque certaines maquettes auraient pu être des morceaux club. Cela s’entendra quand je ferais la version live, il suffit par exemple de rajouter un kick sur un titre comme Atlantis et ça devient de la techno.

Mais là, j’ai vraiment voulu faire un pas de côté, prendre une certaine distance pour trouver de nouvelles textures et approches musicales, ce qui ne m’interdit absolument pas de prendre mon pied à remonter sur scène en tant que DJ et faire danser les gens. Ce disque n’est pas un point final, c’est au contraire l’envie de poser de nouvelles bases.

Para One Spectre: Machines Of Loving Grace (Animal 63/Believe)

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