A l'Otan, Macron et Erdogan se rencontrent après des mois d'injures
DIPLOMATIE - Depuis deux ans, la litanie des griefs entre Ankara et Paris a pris des proportions dignes du Bosphore, le détroit qui sépare les continents asiatique et européen à Istanbul. Les divergences ont aussi bien touché à la “santé mentale”...
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DIPLOMATIE - Depuis deux ans, la litanie des griefs entre Ankara et Paris a pris des proportions dignes du Bosphore, le détroit qui sépare les continents asiatique et européen à Istanbul. Les divergences ont aussi bien touché à la “santé mentale” d’Emmanuel Macron, qu’aux velléités belliqueuses de Recep Tayyip Erdogan, aux conflits en Libye, en Syrie, au Nagorny Karabach, en passant par l’achat de missiles russes S-400 par Ankara, Charlie Hebdo et le vote de la loi séparatisme dans l’Hexagone.
Autant de sujets qui ont fait du terrain entre la France et la Turquie un véritable champ de mines et qui interrogent sur la façon dont l’entretien prévu entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan ce lundi 14 juin, juste avant le sommet de l’Otan, pourrait bien se dérouler. “Il faut beaucoup de sang-froid après des paroles aussi violentes. Mais ce que dit au fond Emmanuel Macron est vrai: même si les divergences sont profondes il faut quand même se causer”, assure au HuffPost, Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE en Turquie et chercheur au Carnegie Europe.
En conférence de presse jeudi 10, le président de la République avait notamment justifié cet entretien par le besoin “de se causer”. “Nous avons mené parfois des controverses, et nous les assumons, mais quels que soient les désaccords, on doit toujours se causer”, a-t-il défendu.
Pour Marc Pierini, comme pour Jean Marcou, professeur à Science-Po Grenoble, spécialiste de la Turquie également joint par Le HuffPost, la tension entre les deux pays avait atteint un tel degré qu’il n’y avait de toute façon presque pas d’autre choix “que de rebondir”. “Il y a des limites à la dégradation dans le cadre d’accords internationaux qui lient la France et la Turquie. Il y a l’Otan bien sûr, mais la Turquie est aussi présente au Conseil de l’Europe. Ça ne pouvait pas aller plus loin”, détaille Jean Marcou.
Paris et Ankara pour un “retour à la normale”
De fait, cet entretien arrive aussi après plusieurs mois de “réchauffement” ou “d’accalmie” entre les deux pays. Le départ de Donald Trump et l’arrivée de Joe Biden ont entraîné une recomposition dans les relations internationales et dégagé en partie le chemin pour une reprise du jeu diplomatique dans sa forme plus classique. “C’est une énorme perte pour Recep Tayyip Erdogan. C’est Trump qui avait cédé et autorisé le retrait de troupes américaines au nord-est de la Syrie, provoquant un tollé. Joe Biden, c’est en revanche le retour d’un dialogue transatlantique confiant”, rappelle Marc Pierini. C’est aussi l’ancien président républicain qui avait joué la montre pour repousser l’imposition de sanctions à Ankara après l’achat de missiles russes.
Vis-à-vis de Paris, “ce retour à la normale”, comme le qualifie Marc Pierini, s’est traduit par une tentative de séduction via une tribune du ministre turc des Affaires étrangères dans L’Opinion, une rencontre avec son homologue Jean-Yves Le Drian la semaine dernière, ou encore une réunion en visioconférence entre Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron en mars dernier. Ankara participe également à des discussions avec la Grèce concernant la situation en Méditerranée orientale, où une frégate française avait été visée par des radars de tirs turcs à trois reprises en juin dernier.
“Plus généralement d’ailleurs, c’est un réchauffement des relations turco-occidentales, pointe Jean Marcou. On assiste à une sorte de repolarisation dans le monde, et la Turquie qui avait pris l’habitude de faire le grand écart notamment avec la Russie, va devoir choisir”. Paris n’était pas seule dans sa lassitude rappelle d’ailleurs Marc Pierini: “Même en Allemagne, Ankara a commencé à agacer après ses sorties sur le ‘nazisme de Berlin’”.
« La #Turquie est un partenaire terriblement ambivalent au sein de l’OTAN »@MarcPierini1@Carnegie_europe#Erdogan#ObjectifMonde@TV5MONDEINFOpic.twitter.com/v6YYn1GoW8
— TV5MONDE (@TV5MONDE) June 10, 2021
Sur le plan intérieur, Recep Tayyip Erdogan a également tout intérêt à calmer les mécontentements dans un contexte économique et sanitaire morne après la pandémie de Covid. “L’AKP est visé par des accusations de corruption, la pollution par la morve de mer arrive en pleine période touristique, et surtout alors que la Turquie intervenait peu militairement, elle a multiplié les opérations ces dernières années, ce qui inquiète les Turcs”, détaille Jean Marcou.
Autre horizon plus lointain: les élections présidentielles qui se dérouleront en 2023 et qui marqueront le centenaire de la République de Turquie. “C’est un peu le moment où Erdogan deviendra l’équivalent d’Atatürk [le père fondateur de la République turque, NDLR]. Finalement pour les Occidentaux, Recep Tayyip Erdogan est parti pour rester donc autant normaliser au maximum les relations sans baisser la garde”, ajoute de son côté Marc Pierini. Le tout dans un contexte où la Turquie est de plus en plus mise à l’indexe concernant la situation des droits de l’Homme sur son territoire.
Macron peut-il faire confiance à Erdogan ?
Cet entretien et le sommet de l’Otan marqueront-ils l’entrée d’un nouveau logiciel diplomatique du côté d’Ankara? “L’an dernier, Recep Tayyip Erdogan a réussi une suite de coups, avec une politique étrangère très tactique qui illustre bien sa personnalité. Mais ça a été presque trop bien joué parce que le résultat fin 2020, c’est un isolement très fort de la Turquie, y compris avec le monde arabo-musulman, et face à des pays comme l’Iran ou la Russie. En revanche, même si cela se passe bien avec Macron et à l’OTAN, certains dossiers sont détachables et resteront des dossiers de contentieux”, note Jean Marcou qui pointe notamment du doigt le projet de loi séparatisme en France.
Pour Marc Pierini, le changement de pied de la Turquie ne se fera pas du jour au lendemain. L’ancien ambassadeur prévoit plutôt une “avancée par des petits pas”, mais dit ne pas s’attendre à “un demi-tour sur la question de la Syrie ou des missiles russes S-400”, lesquels ont par ailleurs couté à Ankara sa place dans un programme de fabrication d’avions furtifs américains. Ces deux points seront cruciaux lors du sommet de l’OTAN mais aussi lors de la rencontre avec Emmanuel Macron. “Quand on est membres de la même organisation, on ne peut pas décider de prendre des équipements qui ne permettent pas d’interopérabilité, on ne peut pas décider de mener des opérations unilatérales qui sont contraires aux intérêts des coalitions qu’on a bâties”, avait lui-même indiqué le président français jeudi.
Emmanuel Macron disposera de plusieurs leviers pour se faire entendre auprès de son homologue ce lundi, et en 1er lieu le poids de la France dans l’UE, aussi bien dans le dossier gazier en Méditerranée Orientale que dans l’actualisation de l’union douanière entre Bruxelles et Ankara. À plus long terme, anticipe Jean Marcou, Recep Tayyip Erdogan pourrait donner des gages de bonnes volontés sur le terrain africain et pourquoi pas une collaboration militaire alors qu’Emmanuel Macron a annoncé une transformation profonde de l’opération Barkhane au Sahel? “La France est très seule en Afrique dans sa lutte contre le terrorisme, elle y a peu de soutiens. Or la Turquie développe ses bases au Tchad et en Somalie. Si les relations se réchauffent, elle pourrait jouer un rôle au sein d’une coalition”.
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