À mes p'tits vieux, dont j'ai autant adoré que détesté prendre soin - BLOG
SANTÉ —Moi, Julie, ex agente polyvalente (ça fait un peu “Ex-agent du FBI”, non?) dans une résidence pour personnes âgées (ah non! Sans rien du tout de FBI finalement) (apparemment, dans la vraie vie, on dit “Agent polyvalent”, car agent est...
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SANTÉ —Moi, Julie, ex agente polyvalente (ça fait un peu “Ex-agent du FBI”, non?) dans une résidence pour personnes âgées (ah non! Sans rien du tout de FBI finalement) (apparemment, dans la vraie vie, on dit “Agent polyvalent”, car agent est un nom masculin, mais en 6 mois, je n’y ai pas vu un homme, alors “Agente polyvalente” ce sera), j’ai découvert un métier que j’ai autant adoré que détesté.
Je l’ai adoré pour le contact humain, le soutien sans faille que l’on apporte chaque minute, chaque heure et chaque jour aux résidents, les bons petits plats préparés pour eux avec amour et, pour une touche plus personnelle, bercés aux sons des mantras, les moments de partage privilégiés avec celui. celle qui le veut, les échanges avec les familles présentes et aimantes de certains résidents, les fous rires, blagues à profusion et la bonne humeur du personnel en blouse rose, violette, bleue ou verte. N’en déplaise à ceux. celles qui aiment l’uniformité.
Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Mais je l’ai aussi détesté.
Fort, très fort.
Être si mal payée pour faire un métier essentiel, vital et indispensable
Un métier si intense et engageant aussi bien physiquement qu’émotionnellement, souffrant d’un manque cruel de reconnaissance.
Les agentes polyvalentes, comme leur titre l’indique, sont polyvalentes = qui a plusieurs fonctions, plusieurs activités différentes.
En effet, je n’en ai pas manqué pendant mes 6 mois là-bas: la cuisine, le ménage, le repassage, l’entretien des parties communes, etc. ça, c’est pour la partie contractuelle.
Pour la partie “Backstage”, par exemple, aller ouvrir le portillon pour les visites, pendant le confinement Saison 2, était devenu presque pire que de nettoyer les toilettes communes, car certaines familles pouvaient se montrer très dures, m’assénant une pluie de réflexions acerbes sur le protocole de visite mis en place.
J’avais fini par comprendre que, derrière leurs paroles difficiles, c’était une valse de sentiments entre peur et inquiétude, pour la santé de leur parent, qui se dansait, par rapport à une situation sanitaire inédite.
Alors pour ne pas risquer de leur répondre, à mon tour, sous le coup de l’émotion, j’avais décidé de mettre en place une technique imparable: les ignorer avec un large sourire de façade, comme pour dire “Saperlipopette, si tu n’es pas content, je te laisse voir cela avec de plus hautes instances.
Moi, mon travail est de prendre soin de ton père/ta mère, de m’assurer qu’il.elle ne manque de rien et soit en forme. Et déjà, rien que pour ça, tu devrais me serrer dans tes bras, me faire un bisou et me dire que je déchire” (oui bon, tout ça dans le monde des Bisounours où la Covid n’existe pas).
Autre salle, autre ambiance.
Mme V., qui, après m’avoir ouvert sa porte, soulève sa jupe dans un mouvement vif et rapide pour me montrer sa couche, mettre les mains dedans et me dire: “elle n’est pas bien mise, ça fuit!”.
“Alors non pas du tout, Mme V., votre couche est au top, il n’y a rien qui dépasse, asseyez-vous, je vais vous donner vos cachets.”
Elle s’assoit pour les prendre, avale les cachets plus vite que l’éclair pour finalement se retrouver avec une gélule qui fait fausse route.
Elle commence à s’étouffer. Un peu, un peu plus. Commence à “perdre conscience” et moi je commence à blêmir aussi.
Je suis toute seule.
Allez Julie, allez ne la lâche pas!
Finalement le cachet prend ses petites jambes et retrouve le bon chemin.
Je sors de son appartement, il est 9 h 2, j’ai cru que c’était sa fin, j’ai les larmes aux yeux.
La journée va être longue.
Et aussi, qui va retrouver dans son lit, Mme E. avec des excréments séchés du haut des hanches au bas des pieds, voir la suite de ces mêmes excréments qui fait une trace continue jusqu’à ses toilettes, puis finalement, en ouvrir la porte pour découvrir un vrai champ de bataille à l’image d’une crèche dans laquelle les petits se baladeraient sans couche toute la journée.
Et bien sûr, après ça, il faut se remonter les manches, s’armer de tous les “SUR” que l’on peut trouver: SURchaussures (j’en prendrai 8), SURblouses (mettez-moi en 3), paires de gants (une bonne dizaine feront l’affaire) pour finalement prendre SUR soi et tout nettoyer.
Comme me le signale ma responsable, cette superbe blonde élancée aux yeux bleus, que l’on pourrait aisément imaginer sur le plateau des Miss, venue en renfort pour m’aider:
La chance que l’on a, c’est que la merde séchée ça sent beaucoup moins fort!
Et enfin la même madame E., incapable de se lever de son fauteuil, tellement fragile et amaigrie et moi, me disant: “si elle reste là, elle ne va pas passer le week-end et moi je n’ai pas envie d’arriver demain matin et de la retrouver inanimée dans son lit.”
Problème: je suis encore seule ce midi là pour gérer la structure et c’est l’heure de servir le déjeuner aux résidents (imaginez-les tous là et la pitance en retard, tapant sur la table avec les couverts: On a faim, on a FAIM, on a FAIMMMM!!)
Une vocation et une super collègue
Heureusement, il y a toujours une super collègue qui arrive à la rescousse pour gérer Mme E. et l’arrivée des pompiers.
Et quand on pense que c’est fini, eh bien non.
Il faut convaincre (encore et encore et toujours!) les pompiers de la transporter à l’hôpital, car pour eux, il s’agit de l’état normal d’une personne de 92 ans, mais pour nous, l’heure est bien plus grave, on le sait. Heureusement, ma collègue c’est un roc, les hommes. femmes en uniforme, elle les connaît, elle travaille ici depuis l’ouverture de la résidence. Alors à force d’arguments, les pompiers finissent par l’emmener.
Le lendemain, l’infirmière me dira: “Tu as bien fait! Si ce n’était pas toi qui l’avais fait à midi, ce serait moi qui aurais appelé les pompiers à 16 h quand j’ai eu les résultats de sa prise de sang. Son taux de potassium est trop bas, elle risque un arrêt cardiaque.”
Et des histoires comme cela, je pourrais en écrire des kilomètres, certains plus drôles que d’autres, vous l’aurez constaté.
Cette expérience m’a permis de réaliser la vocation que j’ai à m’occuper des p’tits vieux, principalement leur préparer de bons repas et échanger avec eux sur la météo ou sur les mêmes photos de leurs petits enfants.
Je sais que ce n’est pas la fibre de tous.tes bien sûr. Je comprends que l’expérience artistique “Caca forever” en a peut-être refroidi quelques un.es.
Nous vivons dans un drôle de monde où travailler avec l’Humain et prendre soin de lui n’est ni valorisé, ni valorisant et encore moins reconnu à sa juste valeur.
J’avais déjà bien en tête cette triste vision du monde qui tourne complètement à l’envers, mais il y a quelques semaines, cette vérité/réalité m’a heurtée de plein fouet, me donnant une gifle incommensurable, me laissant, depuis, inconsolable par KO technique.
N’oublions pas que derrière toutes ces structures, il y a des Hommes et des Femmes passionné. es qui finalement ne demandent pas grand-chose de plus qu’un sourire, un merci, un geste bienveillant et, vraiment, si vous insistez une augmentation du SMIC et/ou une prime, parce que, nom d’une pipe, on n’est vraiment pas cher payés!
Prenez soin de vous, faites un test PCR et allez faire un vrai Hug à vos anciens pour la nouvelle année.
(Je vous promets, ils en ont bien besoin).
Ce billet est également publié sur la page Facebook de Julie.
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