À Paris, les statues de femmes sont rares, mais en plus elles sont problématiques

POLITIQUE - Ni de micro pour Dalida. Ni de plume pour Georges Sand. Comment savoir que la première a vendu plus de 120 millions de disques de son vivant et que la deuxième était une écrivaine engagée? Les poitrines en revanche sont exposées...

À Paris, les statues de femmes sont rares, mais en plus elles sont problématiques

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POLITIQUE - Ni de micro pour Dalida. Ni de plume pour Georges Sand. Comment savoir que la première a vendu plus de 120 millions de disques de son vivant et que la deuxième était une écrivaine engagée? Les poitrines en revanche sont exposées et la tenue est lisse. Sexisme, invisibilité, contre-représentation. Voilà bien le problème que posent les statues, déjà peu nombreuses, censées rendre hommage à des femmes célèbres à Paris.

Dans cette balade au cœur du matrimoine parisien, Charlotte Soulary, autrice de “La guide de voyage” et fondatrice de l’association du même nom est notre éclaireuse. D’une statue à l’autre, elle nous expose ses contradictions avec la réalité représentée. Dans la capitale, à moins d’être une sainte ou une reine de France, la place de la femme laisse à désirer.

fait partie de notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron appelle à la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective. 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les places, squares, jardins et rues parisiennes ne comptent pas moins de 300 statues pour seulement 40 statues de femmes. “Dans l’Histoire, il n’y a pas moins de femmes célèbres que d’hommes célèbres pourtant”, relève notre guide. La mémoire et ce que les sociétés masculines en ont gardé évincent bien souvent, volontairement ou non, la moitié de l’humanité. “Les statues sont censées pouvoir rééquilibrer ça”, explique Charlotte Soulary.

Sauf que...

Nombreuses sont-elles, ces statues, justement à invisibiliser davantage les femmes ou à véhiculer des préjugés sexistes à leur égard. C’est ce que tente de nous montrer Charlotte Soulary, dont le travail vise à faire progresser l’égalité femmes-hommes à travers le voyage. 

Comme vous pouvez le voir dans notre reportage ci-dessus, les rares statues qui représentent des femmes à Paris ne bénéficient ni de la même exposition ni de la même représentation que celles à la gloire de personnages masculins. Notre balade commence par l’exemple flagrant de l’Hôtel de Ville, dans le 4e arrondissement. Sur la façade la plus visible du bâtiment: seulement des hommes célèbres. Les seules représentations féminines sont deux nymphes, nues, allégories de la science et des arts. 

Pour espérer voir des femmes, des vraies, il faut aller sur l’aile droite du bâtiment. C’est là qu’ont été placées Madame Vigée Le Brun, Madame Rolland, Madame de Sévigné et quelques autres...Une petite dizaine au total. Sauf que cette aile n’est accessible que par le jardin des Combattants-de-la-Nueve, petit square très souvent fermé au public...

Voilà donc comment l’Hôtel de Ville le plus célèbre de France traite par exemple la femme qui a été la première peintre à vivre de son art de son vivant et qui nous livre encore aujourd’hui les meilleures représentations de Marie-Antoinette...Pauvre Madame Vigée Le Brun que le grand public ne peut admirer. “Cette disposition contribue à invisibiliser les femmes dans l’espace public”, déplore notre guide.

Quand elles sont visibles, elles ne disent rien

Il y en a bien d’autres que l’on peut voir facilement. À l’entrée du jardin du Luxembourg, dans le 6e arrondissement, se trouve en effet, majestueuse, George Sand. Celle-ci, impossible de la rater. C’est en revanche sa vie entière et ce pour quoi on lui élève une statue que l’on pourrait louper en la regardant...

Pas une plume ou une action représentant sa renommée. Elle est sculptée portant une robe, rêveuse, alanguie, un livre nonchalamment tenu à la main. Pour une écrivaine féministe et engagée, Aurore Dupin, qui s’est fait connaître sous un pseudonyme d’homme et qui portait des pantalons pour mieux se fondre dans les cercles intellectuels de l’époque...“C’est dommage”, constate Charlotte Soulary, quelque peu désabusée.

Olympe de Gouges, la Comtesse de Ségur ou encore Dalida... Autant de figures féminines connues pour leur talent, leur travail ou leurs avancées féministes peu visibles et mal représentées comparées à leurs homologues masculins ou aux statues de saintes et de reines.

“On sera toujours plus attentif à ça aujourd’hui par définition”, explique Laurence Patrice, adjointe à la maire de Paris en charge de la mémoire. ”À l’époque, la statuaire classique répondait à des codes différents”, rappelle-t-elle. 

L’enfer pavé de bonnes intentions...

Une représentation, toutefois, trouve grâce aux yeux connaisseurs de notre exploratrice. Il s’agit de la statue de Maria Deraismes, square des Épinettes dans le 17e arrondissement. L’oratrice est montrée haranguant la foule sur un piédestal. Debout, en action, c’est l’une des rares représentations lors de notre balade où l’on mesure pleinement la puissance de celle que la statue vise à garder à la postérité. Derrière, gravé, un petit texte en dit un peu plus sur l’action de cette autrice, militante et co-fondatrice de la Société pour la revendication des droits civils des femmes en 1869.

Mais là, d’un coup, le bât blesse. Maria Deraismes est présentée ainsi: “orateur éminent”. Au feutre, quelqu’un a tenté de corriger à même la pierre: “oratrice”. S’il vous plait. “Ce mot pourtant existait dans la langue française à l’époque où cette statue a été érigée. Mais voilà, encore du masculin qui invisibilise à nouveau”, déplore Charlotte Soulary.

Woolf, Gréco, Halimi au programme des prochains hommages

Notre guide, elle, rêve de voir Louise Michel, s’élever en grand dans la capitale. “Debout, le poing levé”, nous explique-t-elle, “avec peut-être cette inscription [issue de ses Mémoires, NDLR], ‘Notre place dans l’Humanité ne doit pas être mendiée, mais prise.’”

“Nous n’avons pas vocation à faire des statues partout, mais pour les projets à venir on aura clairement une vision plus moderne des choses”, conclut Laurence Patrice de la Mairie de Paris. Des projets qui laissent la place un peu plus belle aux femmes sont en cours dans la capitale: une bibliothèque Virginia Woolf dans le 13e, un hommage à Juliette Gréco, à Gisèle Halimi et au couple de femmes résistantes déportées revenues des camps travailler dans un centre social du 18e arrondissement, Suzanne Leclezio et Yvonne Ziegler.

La façon dont seront représentées ces femmes et leurs actions, les inscriptions et la disposition de la statue seront particulièrement importantes. Une Dalida bis ne serait pas souhaitable: “Quand on représente une femme aussi mal, il aurait mieux valu s’abstenir. Sinon c’est contre-productif”, prévient Charlotte Soulary.

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