À (re)découvrir : “Peaux de vaches” de Patricia Mazuy ressort en salle

Dans la scène inaugurale de Peaux de Vaches, Stévenin, ivre comme un coing, susurre à son frère : “Faut qu’on se tire de ce pays pourri, j’te jure”, et rêve de “vahiné et danse du ventre” avant que la ferme dans laquelle ils se trouvent ne...

À (re)découvrir : “Peaux de vaches” de Patricia Mazuy ressort en salle

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Dans la scène inaugurale de Peaux de Vaches, Stévenin, ivre comme un coing, susurre à son frère : “Faut qu’on se tire de ce pays pourri, j’te jure”, et rêve de “vahiné et danse du ventre” avant que la ferme dans laquelle ils se trouvent ne prenne feu. Il y a une pulsion pyromane qui habite le cinéma de Mazuy (puisqu’on retrouve l’incendie dans le splendide Travolta et moi), une cinéaste qui ne veut pas tant mettre le feu à ce “pays pourri” qu’à une certaine façon de figurer la France, province et campagne filmées à plat, sans une once d’imaginaire.

Foutre le feu à un décor, comme le font ses héros, c’est purifier le cinéma français de tous ses tics et habitudes, et repartir de zéro, reconstruire la maison-cinéma plan par plan. Avec pour horizon, le western, puisqu’au fond Mazuy n’a fait que ça : filmer des vaches comme on filme des chevaux, et des corps d’acteurs et actrices comme des cow-boys de passage, qui partent, reviennent. Mazuy c’est moins le western bêtement singé qu’une tension très française vers un horizon américain ardemment désiré.

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C’est ce qui la rapproche énormément du cinéma (trois films) de Jean-François Stévenin : rêve d’Amérique, camaraderie sans machisme aucun, désir de s’enfuir qui s’épuise en surplace, jeux d’enfants très sérieux – la dernière réplique est d’ailleurs pour le gosse, “mon jouet !”

C’est en visionnant Doubles messieurs qu’elle ambitionne d’écrire un film pour l’acteur-cinéaste, qui campe ici Roland, condamné à une longue peine de prison suite à l’incendie qui provoque la mort d’un vagabond. Ellipse de dix ans : à sa sortie, il revient sur les lieux du drame ; l’exploitation agricole reconstruite est tenue par son frère Gérard (Jacques Spiesser), marié à Annie (Sandrine Bonnaire), avec qui il a une petite fille. Roland s’installe chez elles·eux, corps étranger qui redistribue les cartes des jours et des nuits et contraint tout le monde, même l’enfant, à jouer avec lui.

Accents cassavetiens

Stévenin, c’est l’incendie initial sans cesse répété, un dé qu’on jette au milieu de chaque séquence sans savoir quel chiffre sortira… Engueulades, bagarres dans la boue, douceur inespérée et mauvaise blague, mais jamais rien de grave, car tout se fait sur fond de tendresse infinie qui donne au film des accents cassavetiens : le conflit est là pour redire l’affection, l’attirance, l’amitié éternelle. On sent le film fait pour et sur l’imaginaire-Stévenin, l’acteur qui a traversé les plus grandes filmographies sans jamais ne représenter que lui-même, jamais embourgeoisé, parvenant à garder les mains vides. Il est l’acteur “partout et nulle part”, comme le dit Daney à Mazuy, perpétuellement de passage, et c’est ce que montre superbement le film, le charisme singulier du visiteur (“Je suis resté un petit peu…”) dont on pressent le vide qu’il laissera derrière lui.

Et Peaux de vaches d’avancer comme un bateau ivre, avec la conscience de l’échéance, dans une atmosphère de dernière récré avant les vacances.

Peaux de vaches de Patricia Mazuy, avec Jean-François Stévenin, Sandrine Bonnaire, Jacques Spiesser (Fr., 1989, 1 h 27, reprise). En salle le 25 août.

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