A Sundance, le cinéma donne vie à des périodes invisibilisées de l'histoire

Dans un souci vériste (ou plus probablement pour complaire aux exigences des distributeurs), ses organisateur·rices avaient pris soin d’instaurer une jauge pour chaque projection, nous occasionnant à deux reprises la désagréable sensation d’être...

A Sundance, le cinéma donne vie à des périodes invisibilisées de l'histoire

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Dans un souci vériste (ou plus probablement pour complaire aux exigences des distributeurs), ses organisateur·rices avaient pris soin d’instaurer une jauge pour chaque projection, nous occasionnant à deux reprises la désagréable sensation d’être refoulé d’un évènement virtuel. Malgré ce petit désagrément, cette expérience de festival en ligne fut plutôt une réussite technique, et si la sélection nous a paru un peu plus pauvre que celle de l’an dernier — étant entendu qu’il est impossible de tout voir et que des perles nous ont forcément échappé —, il y avait parmi la soixantaine de longs-métrages disponibles, toutes sections confondues (américaine, internationale, fiction, documentaire, en plus de courts-métrages et de films plus expérimentaux) suffisamment de belles découvertes pour ne pas regretter le voyage — de la chambre au salon.

Triomphe pour un remake familier

CODA n’est pas à proprement parler une "belle découverte" mais, reparti auréolé de toutes les récompenses possibles (Grand Prix, Mise en scène, Public, Prix spécial pour l’ensemble du casting) et acheté pour un montant record par une plateforme (le Graal à Sundance), il apparaît comme un cas d’école. Le film se penche sur une famille de marins-pêcheurs où tout le monde est sourd, sauf la cadette. En terminale, elle se prend de passion pour le chant et, sur les conseils de son professeur de chorale, entend s’inscrire à l’université, et ainsi quitter le cocon familial, à la tristesse de ses parents et de son frère qui, d’évidence, ne peuvent goûter aux beautés de ses cordes vocales. Le pitch est familier ? Normal, c’est celui de la Famille Bélier, transposée dans le Massachusetts. Et pour une fois, le remake n’a pas à rougir vis-à-vis de l’original. Relativement fidèle au scénario de son modèle, le film de Sian Heder (Tallulah, Orange is the New Black) lui est légèrement supérieur pour une raison très simple : plutôt que Michel Sardou, c’est Marvin Gaye et Tammi Terrell, ou encore David Bowie et Joni Mitchell que l’on peut entendre dans la bouche de la jeune comédienne Emilia Jones. Question de goût, argueront certains, à qui l’on laissera volontiers La Maladie d'amour, en échange de You’re All I Need To Get Back.

Pour le reste, CODA (Children Of Deaf Adults, ou enfants d’adultes sourds : les Américains ont des acronymes pour absolument tout) flotte dans les eaux tièdes du feel good movie sundancien, se laissant regarder sans déplaisir ("quand la musique est bonne, bonne, bonne, bonne…") mais sans que rien ne dépasse de sa carapace molle de téléfilm Disney. Ce n’est cependant pas le géant de Burbank qui en a arraché les droits, pour un montant record de 25 millions de dollars (on en était resté à 22,5 l’an dernier pour l’autrement plus enthousiasmant Palm Springs, toujours inédit en France), mais un autre géant, sis à Cupertino : Apple. Ainsi s’affirme encore un peu plus, irrépressiblement, la domination des plateformes sur le marché du cinéma indépendant, cinéma qui peine encore à profiter de cette nouvelle donne pour se renouveler esthétiquement.

Summer of Soul, l'autre Woodstock

Pour écouter de la bonne musique, il y avait bien mieux que CODASummer of Soul (Or When The Revolution Could Not Be Televised), le documentaire d’Ahmir "Questlove" Thompson, le brillantissime leader des Roots, sur ce qu’on nomme aussi "le Black Woodstock". Lors du mythique été 1969, alors que toute la jeunesse (blanche) américaine s’extasiait dans la boue devant l’élite mondiale du rock, à 150 kilomètres de là, à Harlem, une autre jeunesse, essentiellement noire et portoricaine, s’endiablait au son des meilleurs bluesmen, chœurs de gospel, et soul singers que la Terre ait jamais porté.

Tous les dimanches après-midi, six semaines durant, de juin à août, 300 000 personnes (en tout), se donnèrent rendez-vous au Mount Morris Park, pour y écouter Nina Simone, Stevie Wonder, Sly and the Family Stone, Max Roach, B.B. King, Gladys Knight & the Pips, The Staple Singers,  5th Dimension, Mahalia Jackson…

Et personne ne le sait, à part ceux qui l’ont vécu, et quelques spécialistes. Et personne ne le sait, parce que l’Histoire a estimé que ce n’était pas important. Pourtant tout a été filmé. Des dizaines d’heures de rush, qui pourrissaient quelque part en attendant qu’une bonne âme se penche à leur chevet. Le documentaire, qui a remporté le Grand Prix et le Prix du public dans sa catégorie, est une réussite éclatante, pas seulement pour la qualité de ses captations (ceux qui préfèrent Sardou peuvent bien entendu passer leur chemin), mais aussi par sa capacité à les remettre en contexte. A travers les images de ce festival méprisé, oublié, Thompson parvient à raconter une portion énorme de l’Histoire américaine, elle aussi méprisée, oubliée.

1969 est en effet une année charnière dans la lutte pour les droits civiques des Noirs américains, et c’est à partir de ce moment-là que les choses commenceront à changer, notamment dans les colonnes du New York Times, apprend-on d’une journaliste qui s’est battue au sein de la rédaction à l’époque. En pleine guerre du Vietnam, juste après la réélection de Nixon et tandis que la répression contre toute dissidence battait son plein, le Harlem Cultural Festival aura joué un rôle à la fois de catalyseur politique (en accueillant sur scène des orateurs tels que Jesse Jackson), et d’exutoire des passions (en offrant un peu de répit et de joie à une population harcelée). Le film n’a pas encore de distributeur, mais les offres ne manquent pas.

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Le Messie noir et son Judah, dans un beau film triste

Le service d’ordre du festival était assuré par les Black Panthers. Les mêmes qui allaient perdre leur plus charismatique leader six mois plus tard, le 4 décembre 1969. Fred Hampton, leader du parti à Chicago, fut ainsi froidement abattu par la police, dans son sommeil, aux côtés de sa femme enceinte, à 21 ans. C’est cette histoire que raconte, avec force, Judah and The Black Messiah, l’autre film évènement de Sundance, hors compétition. Produit par Ryan Coogler (d’un Black Panther à l’autre), réalisé par un de ses poulains (Shaka King), le film est à la fois un biopic du dissident (joué Daniel Kaluuya), qui voulait mener une révolution noire et marxiste en Amérique, et un thriller dévoilant comment il s’est fait piéger par son chauffeur et ami, Bill O’Neal (Lakeith Stanfield), petite frappe qui travaillait en sous-marin pour le FBI.

Sur les deux plans, Shaka King s’en tire avec brio, donnant chair à ce héros un peu oublié (Kaluuya est extraordinaire, et ne tombe pas dans les pièges du rôle à biopic) dont le destin résonne particulièrement à l’heure de Black Lives Matter, tout en offrant à son meilleur ennemi (Stanfield, toujours aussi fascinant à regarder, toujours un peu ailleurs) une partition humaine et complexe. C’est un beau film triste, qui a le courage de revenir sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire américaine, sans chercher à l’édulcorer. Il sortira en février sur HBOMax aux Etats-Unis, et en salle en France à une date encore indéterminé. Nous aurons l’occasion d’y revenir longuement.

Un documentaire d'animation poignant

Un dernier mot sur Flee, autre beau film triste, qui a remporté le Prix du meilleur documentaire international — et qui faisait partie de la sélection fantôme de Cannes 2020. Le film raconte l’épopée d’un réfugié afghan au Danemark, ami du réalisateur Jonas Poher Rasmussen, qui a recueilli son témoignage, l’a filmé, et l'a animé, comme Ari Folman l’avait fait pour Valse avec Bachir. Et comme ce dernier, Flee est une déflagration émotionnelle. La distance offerte par l’animation, dont on comprend peu à peu l’impérieuse nécessité pour le protagoniste, décuple paradoxalement la force du récit. Elle lui donne un souffle épique que des images réelles n’auraient sans doute pas réussi à créer. Et c’est, là encore, un pan d’Histoire négligée (la guerre menée par les Soviétiques en Afghanistan) qui éclaire une actualité brûlante (l’immigration en Europe et le droit d’asile). On espère que le film, distribué par Haut et Court, trouvera bientôt le chemin des salles françaises.

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