A voir : “Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau”, un film engagé et passionnant sur le confinement

Dans un moment où la salle de cinéma n’existe plus, qu’est-ce qu’être un cinéaste aujourd’hui ? Et comment agir en tant que tel ? Se livrant avec ferveur sur plusieurs fronts depuis le début de la crise sanitaire, Clément Schneider apporte...

A voir : “Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau”, un film engagé et passionnant sur le confinement

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Dans un moment où la salle de cinéma n’existe plus, qu’est-ce qu’être un cinéaste aujourd’hui ? Et comment agir en tant que tel ? Se livrant avec ferveur sur plusieurs fronts depuis le début de la crise sanitaire, Clément Schneider apporte une réponse à ces questions. Elle est simple, définitive mais pas évidente : l’engagement. 

Auteur en 2018 d’un 1er film prometteur intitulé Un violent désir de bonheur avec Quentin Dolmaire, l’homme aux multi-facettes (réalisateur, producteur, co-président de l’ACID) a co-réalisé avec Joseph Minster pendant le 1er confinement de 2020 Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau, un film tourné via les webcams d’un logiciel de visioconférence. 

Le film se déroule en 2022 et imagine une société française où le confinement strict que nous connaissions en mars 2020 s’est installé dans nos vies. Anna est enceinte et pour que son compagnon Victor puisse la rejoindre avant qu’elle n’accouche, ils doivent se marier. Une procédure dématérialisée vient d’être mise en place, entrainant le mariage virtuel du couple. Mais la loi évolue et dévient un obstacle à la réunion des deux amants. Pour Victor, seul un choix s’impose. Il traverse la France pour rejoindre sa femme.  

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Grand souffle romanesque

Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau est d’abord un film militant qui fait de la désobéissance de son héros une nécessité, et par un écho, un idéal que l’on rêverait de projeter en soi. Le film rejoue de façon implacable comment l’expérience du confinement crée une adaptation naturelle chez les uns et les autres, comme mus par un instinct de survie. Il montre aussi comment les actions et les engagements s’anesthésient, les personnes étant par ailleurs parfaitement conscientes des restrictions de liberté qu’elles subissent. Vient ensuite la révolte. “Il y a quelque chose dans la façon dont Victor choisit de désobéir qui n’est pas ouvertement militante. Mais, précisément, c’était un trait contemporain dont on voulait tenir compte à l’écriture. Il va à l’encontre de l’état d’apathie dans lequel on est tous collectivement tombé et refuse la privation de libertés fondamentales”, nous explique Clément Schneider. 

Mais si ce moyen-métrage est à nos yeux si précieux, c’est parce qu’il parvient à développer, à partir du dispositif rachitique propre au film de confinement, un grand souffle romanesque et à bâtir un mélo dans la plus pure tradition des grands classiques sur l’amour contrarié (Elle et lui, Tout ce que le ciel permet, Les Parapluies de Cherbourg…). “Il fallait pour que l’on soit ouvertement militant, ne pas avoir peur d’être lyrique. Tous les grands films militants que l’on aime sont souvent poétiques et lyriques et n’ont pas peur d’une certaine emphase”, nous explique le réalisateur.  

“Le cinéma nous manquait, alors il fallait le faire renaître”

Il est donc ici intimement question de politique, mais dont le regard dépasse le simple commentaire, et surtout, où le cinéma prend toujours le pas sur le discours. Un choix que commente le cinéaste : “Nous avons construit le film sur cette idée qu’à la fin, on devait retrouver le cinéma. Il nous manquait, alors il fallait le faire renaître.”

De par les différents points de vue et personnages déployés, le film synthétise avec justesse les différents comportements et affects qui ont traversé la population pendant l’évènement (la délation, la révolte, la résignation) et en prophétise d’autres que nous avons connus par la suite (notamment l’affrontement générationnel entre les séniors et la jeunesse qui se sent sacrifiée). Le film jette également un regard pertinent sur le virtuel sans être univoque. En déjouant, là encore, le simple commentaire.  

Dans un discours très touchant prononcé par une des témoins pendant la cérémonie du mariage, le personnage avoue qu’elle regrette de ne pas pouvoir sentir l’odeur de transpiration, pourtant peu attractive, du marié. Du virtuel, le film parvient à recréer une véritable émotion propre à la cérémonie tout en exprimant dans un même mouvement le manque qu’il génère. La dématérialision prive du rapport tactile bien-sûr, mais gomme également les spécificités et aspérités des autres, ne propose que des échanges en surface, incomplets voire falsifiés. A l’image de cette scène où le marié révèle à sa femme qu’il était en caleçon incognito durant tout mariage. 

Lorsque l’on l’interroge sur la genèse du projet, Clément Schneider répond qu’elle découle de deux sentiments. D’abord, le besoin pour les deux cinéastes de fixer l’expérience du confinement et d’en garder une trace. Additionné à cela, un questionnement, disons éthique, quant à la place que doit occuper un cinéaste et de l’engagement qu’il doit fournir face à cette situation : “Qu’est-ce qu’on en fait, nous, en tant qu’artistes qui revendiquons une forme d’engagement ? Comment donner du sens à la période qu’on traverse en proposant une forme qui est une forme en soit, et qui n’est pas qu’un film de confinement ?” 

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Un véritable pari du point de vue technique

Le duo brasse les idées puis commence à expérimenter les outils de visioconférence. Ils découvrent alors leur potentiel, et notamment la possibilité de réunir simultanément plusieurs dizaines de correspondants. “On voyait quelque chose de l’ordre d’une superproduction cheap dans le fait de pouvoir, d’un seul coup, réunir pleins de gens qui pouvaient à l’échelle d’un temps donné se retrouver dans un même endroit. La possibilité d’être ensemble tout en étant séparés se rejouait devant nous, mais c’est aussi les impossibilités souvent inhérentes au plan de travail d’un film qui, tout d’un coup, disparaissaient. Dans la foulée, on a appelé nos amis comédiens en leur parlant du film. Ce qui est beau, c’est qu’ils ont tous répondu oui très vite. Il y avait quelque chose l’ordre des retrouvailles, de la fabrication. On sortait d’un moment où l’idée de faire du cinéma semblait tellement avoir disparu. On trouvait du plein dans un grand moment de vide. En parallèle, on a mis au point un protocole de tournage puisque chaque comédien était responsable d’une prise de vue. Cela engageait donc une vraie confiance à leur égard”, se souvient le réalisateur.

Element pas forcement apparent au visionnage, le film est un véritable pari d’un point de vue technique comme l’explique Clément Schneider : “Sur les scènes de conversations en mosaïque, Joseph et moi devions partir de la scène pour ne pas apparaître dans la discussion. Un peu comme un metteur en scène de théâtre qui laisse ses acteurs jouer la pièce sans poser son regard sur eux. Jusqu’à ce que les rushes nous parviennent après le confinement, on ne savait pas exactement ce qui avait été tourné dans les scènes. C’est intéressant parce que ça crée de la surprise et ça décomplexe beaucoup la sacralisation du tournage, tout en recréant par ailleurs des rituels propres au cinéma.” 

Une façon de faire à l’image de la séquence du mariage qui met en scène une vingtaine de personnages et donc tout autant de caméras dont il faut vérifier pour chacune l’enregistrement et la synchronisation avant la prise – soit l’équivalent du “moteur” et du clap que les équipes de tournage pratiquent sur un plateau de cinéma traditionnel. “Tout en se libérant du plateau, on a retrouvé des contraintes de plateau.” D’un point de vue dramaturgique, le dispositif impose aussi des ajustements. Le réalisateur prend l’exemple des voix qui ne peuvent se superposer dans une discussion sur un logiciel de visioconférence, et donc l’impossibilité de mettre en scène une dispute classique : “Cela impose un rapport à la dramaturgie d’une scène de conflit qui n’est évidemment pas le même que si on est dans un champ/contre-champ classique.”

Si le duo s’est autorisé à imaginer un récit autour de cet évènement, il était en revanche primordial pour eux de ne pas tricher avec tout ce que le dispositif au niveau technique pouvait générer comme accidents ou artefacts : “On ne voulait surtout pas cacher la pauvreté des images, bien au contraire. Il fallait jouer avec ces accidents du réel qui génèrent aussi un rapport au jeu très différent. On s’est dit qu’il fallait essayer de ne pas intervenir sur ça, car on aurait perdu quelque chose de l’ordre de la vérité.”

Agir et livrer un récit

Près d’un an après le tournage du film, alors que les salles de cinéma n’ont réouvert que partiellement de juin à fin octobre 2020, Clément Schneider s’investit dans une autre action, cette fois en tant que co-président de l’ACID. En collaboration avec le GNCR, l’association lance au début du mois de mars une action symbolique : celle d’ouvrir pendant un week-end 20 salles de cinéma. Alors que de nombreux théâtres sont en même temps occupés par des intermittent·es du spectacle, les deux associations souhaitent à leur tour rejoindre le mouvement pour manifester contre le refus du gouvernement d’ouvrir les lieux de culture.

Une manifestation, mais aussi un retour réjouissant vers le cinéma, comme l’explique Clément Schneider : “On a ressenti exactement la même joie que lorsque qu’on a tourné le film. ll s’est noué un lien d’une puissance folle, qui a à voir avec ce qui fait peuple et démocratie. On en est tous très convaincus.” Malgré la ferveur suscitée par l’évènement, le co-président de l’ACID reconnaît malgré tout un résultat en demi-teinte : “Il y a eu quelques répliques après, mais je dois faire le constat que cette action n’a pas totalement pris. L’idée était de lancer une impulsion, d’ouvrir une brèche, et que les exploitants de salles s’en emparent. On sera toujours prêts à les soutenir mais si eux n’en ont fondamentalement pas le désir et le manque, on ne peut pas faire beaucoup plus que ce qu’on a fait.”  

Que ce soit tourner un film puis le mettre en ligne gratuitement sur le web, agir pour la réouverture des salles, ou bien rendre disponible le temps du 1er confinement le catalogue des films produits par sa société de production (Les Films d’Argile), on retrouve dans ces différents gestes et actions de Clément Schneider un point commun. Agir bien-sûr, mais aussi, en tant que cinéaste, livrer un récit. En somme, “expliquer quelque chose de la mission que tu penses être la tienne”.