Accompagner des élèves en situation de handicap, une profession féminisée et maltraitée - BLOG
AESH — Cette année, le 8 mars a pris une dimension particulière, puisqu’il s’agissait du “8 mars des premières de corvée”. Parmi toutes les professions qui concernent majoritairement des femmes, que la grève féministe exige de revaloriser,...
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AESH — Cette année, le 8 mars a pris une dimension particulière, puisqu’il s’agissait du “8 mars des premières de corvée”. Parmi toutes les professions qui concernent majoritairement des femmes, que la grève féministe exige de revaloriser, il en est une sur laquelle nous voulons apporter un éclairage particulier: les AESH (Accompagnant. e. s des élèves en situation de handicap).
Il y a quelques semaines, les AESH se sont mobilisés dans toute la France à l’occasion du 16° anniversaire de la loi du 11 février 2005 sur le handicap visant l’inclusion des élèves en situation de handicap. La particularité des AESH est d’être une profession extrêmement féminisée (plus de 92% de femmes). Alors nous allons faire un focus sur ces salariées que chacun s’accorde à reconnaître comme indispensables.
On dit souvent que l’État et particulièrement l’institution Éducation nationale est le plus grand pourvoyeur de précarité. C’est aussi l’une des institutions les plus maltraitantes. Faudrait-il ajouter que l’éducation nationale pratique la discrimination et le sexisme à grande échelle par le traitement fait aux AESH? La question mérite d’être posée. Pour plus de facilités, nous emploierons le féminin tout au long de cette tribune, même si des hommes sont concernés, mais en très forte minorité (moins de 8%).
Petit historique du métier d’AESH. Connues au départ sous le nom d’AVS dont la majorité sont en contrats aidés limités à 2 ans, elles sont devenues par le décret de 2012 AESH, avec la mise en place d’un contrat CDD débouchant au bout de 6 ans sur un CDI, évolution du fait des besoins de main-d’œuvre et du fort turn-over de ces travailleuses, mais aussi des mobilisations de parents et de collectifs d’AVS pour pérenniser les emplois….
Aujourd’hui, elles sont 6 fois plus nombreuses qu’en 2012. Ce sont près de 100.000 AESH qui accompagnent les élèves de la maternelle au lycée. Mais de nombreux élèves ne sont pas accompagnés, par manque d’AESH, et les différents rectorats peinent à trouver de nouvelles AESH. Comment s’étonner qu’il y ait une telle crise de recrutement?
En effet, on ne peut que constater que ces salariées cumulent précarité et misère. Les contrats sont à très grande majorité à temps partiel, et le salaire à l’indice le plus bas (au SMIC). Résultat le salaire est en moyenne de 760 euros par mois, pour 24 h d’accompagnement élèves (contrat à 62%)! Ce n’est qu’avec le CDI (soit après 6 ans de CDD, auxquels s’ajoutent souvent 2 ans de CUI — Contrat Unique d’Insertion - non pris en compte) qu’elles peuvent accéder à une très légère augmentation de salaire. Et quelle carrière! Au bout de celle-ci elles peuvent espérer avoir 150 euros de progression par rapport au début, et c’est tout! En effet, le décret précise qu’elles ne peuvent être rémunérées au-delà de l’indice 400, soit 1874,4 euros brut (1469 euros net) et comme la très grande majorité est à temps partiel à 62% cela veut dire une rémunération maximum de 910 euros en fin de carrière! Ajoutons qu’elles ne bénéficient pas des primes REP ou REP+ lorsqu’elles exercent dans les établissements de l’éducation prioritaire. Pas question non plus de prime informatique ou COVID alors même que du fait de leur proximité avec les élèves et de certains handicaps qui rendent le port du masque compliqué, elles sont particulièrement exposées.
En fait, les AESH cochent toutes les cases d’une discrimination indirecte, telle que le décrit Rachel Silvera, économiste et spécialiste du genre dans son ouvrage Un quart en moins. Elle définit ainsi les emplois à prédominance féminine: c’est-à-dire ceux où les femmes sont très largement surreprésentées, par exemple les infirmières ou les secrétaires, majoritairement des “fonctions support” (ressources humaines, administration, communication, etc.), considérées comme moins essentielles que les fonctions “cœur de métier”, ils ouvrent à moins de possibilités d’évolution de carrière et sont historiquement moins valorisés que ceux à prédominance masculine. De plus, ils requièrent souvent un ensemble de compétences peu formalisables (telles que les “compétences relationnelles”) et peu reconnues, car réputées “innées” chez les femmes.
Pour évaluer les emplois à leur juste valeur, Rachel Silvera retient 4 grands facteurs qui doivent être redéfinis: les qualifications requises, la complexité-technicité du poste, les responsabilités engagées et les conditions de travail. Si nous examinons chacun de ces facteurs à l’aune du travail d’AESH, il est très clair que ce métier requiert une expertise et un savoir — faire réels, en distorsion complète avec le salaire dérisoire proposé.
Les qualifications
À moins de bénéficier déjà d’une expérience de neuf mois auprès de personnes en situation de handicap le diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social DEAES) ou le Bac sont exigés. Une parenthèse sur le DEAES: il est présenté comme un diplôme de niveau 5, mais il met en œuvre de véritables compétences complexes qui nécessitent autonomie et prise de responsabilité, à l’opposé de simples tâches d’exécutant. Notons aussi qu’un grand nombre d’AESH sont diplômées, ou ont une expérience qualifiante, par ex dans le secteur de la santé ou du social; elles ont parfois connu des parcours difficiles (maladie, handicap ou accident de la vie) qui les ont fait renoncer à une première carrière. Cette expérience ou ces diplômes ne sont pas pris en compte dans la carrière.
La complexité-technicité
Les AESH doivent être en capacité d’accompagner tout type de handicap physique, mental ou psychologique, et avec le PIAL (dont nous reparlerons) parfois en même temps! Elles doivent soutenir l’élève dans tous les cours (y compris en langues, en maths…). Elles doivent faire preuve d’empathie, de discrétion, elles doivent se coordonner avec les enseignant. e. s. Elles se sont pour la plupart autoformées, au vu de la formation initiale dérisoire de 60 h dispensée par l’Éducation nationale. Les compétences exigées sont très variées et d’une grande technicité. Il suffit de citer la circulaire de 2017 qui définit les activités de l’AESH et son rôle pour se rendre compte que ce travail est difficile, complexe et nécessite une grande expertise. En effet il s’agit (entre autres) de: “stimuler les activités sensorielles, motrices et intellectuelles de l’élève en fonction de son handicap, de ses possibilités et de ses compétences, utiliser des supports adaptés et conçus par des professionnels, faciliter l’expression de l’élève, l’aider à communiquer, contribuer à l’adaptation de la situation d’apprentissage, en lien avec l’enseignant, par l’identification des compétences, des ressources, des difficultés de l’élève, contribuer à définir le champ des activités adaptées aux capacités, aux désirs et aux besoins de l’élève, sensibiliser l’environnement de l’élève au handicap et prévenir les situations de crise, d’isolement ou de conflit…”. À cela s’ajoute la possibilité d’effectuer dans certaines conditions des gestes techniques, voire médicaux.
Le travail invisible des AESH
De plus il apparaît clairement qu’un grand nombre de ces tâches dépasse le lieu de la classe proprement dite, avec l’élève, et nécessite un travail préparatoire ou de coordination avec les équipes et les acteurs de l’école. Nora (le prénom a été changé) AESH dans un collège de Toulouse témoigne:″ De ma propre initiative, je réalise des aides techniques à mes élèves, porteurs de troubles “dys” — Ces supports visuels leur permettent de contrer leurs difficultés et de compenser leurs faiblesses de mémoire de travail, souvent fragilisée et mise à mal lors de situation de double tâche. Ils peuvent ainsi utiliser un répertoire en anglais, des sous-mains en grammaire, conjugaison et des fiches résumant le plan des cours.
Lors des activités scolaires, mon rôle principal est d’aider à la compréhension des consignes: je commence l’exercice avec l’élève tout en verbalisant ce que je fais pour qu’il puisse comprendre ce qui est attendu et ainsi poursuivre l’exercice. Pour la compréhension des problèmes en mathématiques, je passe par des schémas, voire des manipulations: compas, équerre, rapporteur.
Je reste toutefois vigilante sur le fait que ma mission est distincte de celle de l’enseignant, et je ne peux en aucun cas me substituer à lui: ne pas faire écran entre l’élève et lui.”
Encore une fois tout cela pour un salaire au SMIC et à temps partiel, qui ne prend pas en compte tout ce travail invisible!
Les responsabilités engagées
Comment peuvent-elles être ainsi minimisées, puisqu’il s’agit de l’accompagnement des élèves les plus fragiles du système scolaire? Le travail d’AESH est tout simplement d’utilité publique, et c’est lorsqu’elles manquent que s’impose l’idée qu’elles sont indispensables.
Laissons ici la parole à la FCPE 75: “L’an dernier, 400 AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap) manquaient sur l’Académie de Paris. […]
Ce déficit ne va pas aller en décroissant si on ne trouve pas des solutions innovantes pour recruter et qu’on n’améliore pas SENSIBLEMENT le statut de ces personnels
Concrètement, quelles répercussions sur les enfants et leurs familles: désarroi, angoisse, solitude, incompréhension, impatience, burn-out, phobie scolaire, isolement de l’enfant dans sa classe du fait de l’absence de son AESH…”
Les conditions de travail
Quant aux conditions de travail, on peut véritablement parler de pénibilité, puisque les AESH sont confrontées à de grandes souffrances, parfois et même très souvent à de la violence, lorsque l’élève exprime son mal être et sa souffrance morale ou psychologique par de l’agressivité, allant jusque des coups à l’égard de son accompagnante qui doit alors le canaliser, voire l’isoler et servir ainsi quelque peu de bouc émissaire…
Deux éléments d’actualité aggravent leurs conditions de travail.
La mise en place des PIAL et la mutualisation à outrance: Avec les PIAL, la pénibilité est renforcée. Les PIAL (Pôles inclusifs d’accompagnement localisé) c’est la concrétisation de la rentabilité comme dogme. Le PIAL simple concerne un établissement ou une école qui mutualise les moyens en accompagnement des élèves notifiés. Le PIAL interdegrés pousse la logique de la mutualisation encore plus loin.
En effet, les moyens sont accordés à un établissement scolaire (“tête de réseau PIAL”, en général un collège auquel sont raccrochés des établissements et des écoles. Un PIAL interdegrés peut comprendre plus de 30 écoles et établissements! Conséquence très pratique, une AESH voit le nombre d’élèves accompagnés augmenter: on a pu observer jusqu’à 11 élèves de handicaps différents, et jusque 5 élèves de handicaps différents dans la même classe!
Les emplois du temps sont régulièrement changés, en fonction des besoins [si une AESH est absente par exemple]. Elles doivent faire preuve d’une adaptabilité encore plus grande. Pour les élèves, cette logique aboutit à la diminution drastique des heures d’accompagnement: le rectorat de Toulouse par exemple considère qu’un élève est accompagné avec 5 h par semaine. Les conditions de travail déjà bien compliquées se dégradent. Cette gestion comptable et déshumanisée entraîne une perte de sens du métier, car le saupoudrage empêche un accompagnement de qualité. Les AESH sont découragées, souvent épuisées, parfois prêtes à démissionner quand ce n’est pas déjà fait.
La situation: la crise sanitaire, un facteur aggravant
Alors que dans les établissements de santé accueillant des personnes en situation de handicap, les personnels bénéficient d’un protocole sanitaire renforcé [masque FFP2 par ex…], rien de tel pour les AESH. Elles sont pourtant particulièrement exposées du fait de leur proximité avec l’élève et de certains handicaps qui rendent le port du masque compliqué. Pire, elles doivent encore souvent s’imposer pour obtenir que des masques leur soient fournis, au même titre que les enseignants.
Et il faudrait aussi évoquer l’infantilisation, la culpabilisation, le manque d’intégration. Quelques exemples: souvent les AESH n’ont pas de casier, on les oublie pour la convocation à des réunions, y compris lorsqu’elles concernent l’élève suivi! Elles subissent la dévalorisation quotidienne de la part de la hiérarchie voire de certain. e. s enseignant. e. s par méconnaissance du travail de l’AESH, manque de formation ou parce que la présence de l’AESH et des élèves accompagnés peut déranger. Plus généralement, les conditions de travail sont déjà très compliquées au sein des classes avec la surcharge des effectifs, conditions de travail auxquelles il faut rajouter la gestion du COVID, ce qui peut entraîner des difficultés et des tensions subies souvent de plein fouet par l’AESH…
Ce tableau est très noir, mais malheureusement réaliste. Et la seule nuance de clarté vient des AESH elles-mêmes lorsqu’elles parlent du métier, qu’elles aiment malgré tout, par attachement aux élèves. Un témoignage parmi d’autres: J’adore mon métier ça serait dommage de quitter un emploi qu’on aime à cause du salaire… Mais il faut bien vivre, payer ses factures......
Les AESH sont donc emblématiques d’une profession féminisée dont la reconnaissance et la revalorisation s’imposent pour que cesse ce scandale qui consiste à maintenir dans la misère ou la dépendance des salariées investies, indispensables, dont le travail est complexe et difficile
Laissons pour conclure la parole à Rachel Silvera:
La revalorisation des emplois à prédominance féminine et la reconnaissance des parcours professionnels dans ces filières ne sont pas qu’une question d’égalité de salaires. Il s’agit plus largement de donner plus de place dans la société aux emplois qui se consacrent au “souci des autres”.
Le 11 février, les AESH ont montré leur détermination et leur colère. Elles ont toute leur place dans ce “8 mars des premières de corvée” et dans la lutte pour l’égalité réelle et la justice. Une question d’une urgence qui s’impose et qui doit avoir des réponses!
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