Adoptée et en quête de mes origines ethniques, les tests génétiques généalogiques dits "récréatifs" ont changé ma vie - BLOG
Adoptée lorsque j’étais bébé, d’apparence métisse sans connaissance de mon appartenance ethnique, j’ai été en quête de mes origines toute ma vie." data-caption="Adoptée lorsque j’étais bébé, d’apparence métisse sans connaissance de mon appartenance...
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Ce récit comporte des considérations relatives aux concepts d’ethnicité et d’appartenance ethnique. Il ne faut pas y voir de jugement à caractère raciste ou xénophobe. Dans ce témoignage je vous relate mon histoire, celle d’une personne métisse en quête de son identité. La recherche de signes d’appartenance à une ethnie chez moi-même, et chez autrui, a fait partie intégrante de ma vie et de mon histoire.
FAMILLE - J’avais un léger espoir que le projet de loi de bioéthique autorise, avec encadrement, le recours aux tests ADN généalogiques dits “récréatifs”. Hélas, ce projet de loi adopté par le causement le 29 juin dernier, dont la mesure phare est l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, confirme l’interdiction du recours à ces tests, qui sont pourtant accessibles sur Internet via des entreprises étrangères.
À quoi bon s’extasier d’avoir de lointaines origines italiennes, britanniques ou ibères me direz-vous? On n’est pas certain que ce soit fiable. Et au fond, qu’est-ce que cela change de savoir cela?
J’entends bien le caractère “récréatif” imputé à ces tests au regard d’un examen génétique qui serait demandé par un médecin à des fins médicales, ou ordonné par un juge dans le cadre d’une enquête judiciaire. Toutefois, en ce qui me concerne, ce n’est pas “pour le fun” que j’ai eu recours à un test génétique généalogique. Adoptée lorsque j’étais bébé, d’apparence métisse sans connaissance de mon appartenance ethnique, j’ai été en quête de mes origines toute ma vie.
Vous avez envie de expliquer votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Pour comprendre ce que les tests ADN généalogiques m’ont apporté, il faut revenir au tout début de mon histoire.
Grandir sans connaître ses origines
Adoptée alors j’étais âgée de 6 mois par un couple français, j’ai grandi au sein d’une famille aimante en Bretagne, dans une ville où il y avait assez peu de “personnes de couleur” dans les années 1980-90. On m’a dit assez tôt que j’étais née à La Réunion, sans autre information. J’étais la seule petite fille “café au lait” de ma famille, de ma classe, de mon groupe de copines, de l’école de danse… “Personne de couleur”, “café au lait”, et même “colonie” pour causer de mon île d’origine -Ce vocabulaire très daté, teinté de racisme ordinaire, je l’ai entendu plus d’une fois. Probablement dès l’âge de 8 ans, je rappelais gentiment aux anciens de mon entourage que l’on ne devait plus dire “colonie” pour causer de La Réunion, mais D.O.M. (département d’outre-mer), et ce depuis 1946. Ai-je souffert du racisme dans mon enfance? Je ne crois pas. Le racisme ne prend pas toujours la forme d’une hostilité frontale et primaire. Si je ne l’ai pas ressenti, je l’ai en revanche intériorisé.
Pendant longtemps, je n’ai su que très peu de choses de mon histoire. Autant mes parents me parlaient avec fierté et émotion de leur parcours pour adopter: ils ne pouvaient pas avoir d’enfant, ils avaient attendu trois longues années après l’obtention de leur agrément avant que l’on ne leur propose un enfant à l’adoption. En revanche, je sentais bien que la question de mon origine suscitait un certain malaise. À propos de “la femme qui m’avait mise au monde” à La Réunion, on ne savait rien. Quelle importance? J’étais la merveilleuse petite fille des îles qui était venue enchanter leur vie. Devant tant d’amour -et face à une question qui de toute évidence dérangeait-, j’ai enfoui mes interrogations, tel un petit mouchoir au creux de la poche. Elles n’ont pourtant jamais cessé de me hanter.
Jusqu’à ce que je me rende moi-même à La Réunion, bien des années plus tard, tout ce que j’ai appris, tout ce que j’ai pu découvrir sur l’île et sa population, je l’ai lu dans les livres.
Dans ma jeunesse, il était d’autant plus difficile d’ignorer la question de mes origines que ma couleur de peau appelait invariablement des questions: “De quelle origine es-tu?”. La pire question étant: “Tu es métisse?”. “Comment ça, tu ne sais pas si tu es métisse?”. Parfois je bottais en touche, parfois je répondais “Je suis bretonne, pourquoi cette question?”. Mais au fond, j’avais honte de ne pas savoir répondre à une question si simple.
Non, je ne savais pas si j’étais métisse. Car ce que j’avais lu sur les origines de la population réunionnaise, probablement dans un dictionnaire, ne répondait aucunement à la question. De ce que j’avais compris, la population de La Réunion s’était construite au fil des vagues d’immigration successives, du temps de l’esclavage et de la Compagnie des Indes orientales. À la Réunion, on pouvait distinguer différents groupes ethniques: les Cafres (originaires de Madagascar, d’Afrique de l’Est et de l’ouest), les malbars (originaires principalement du sud de l’Inde, hindouistes), les yabs (originaires d’Europe), les zarabs (originaires du nord de l’Inde dont le Gujarat, musulmans sunnites), les chinois (originaires du sud de la Chine) et les zoreils (métropolitains installés à La Réunion).
J’ignorais à l’époque que ces groupes ne sont plus toujours homogènes, et qu’il existe d’autres communautés au sein de l’île (karanes, komor…). Il apparaît que les 1ers enfants nés à La Réunion étaient déjà métisses, et ce brassage ethnique s’est perpétué au fil du temps. La plupart des Réunionnais puisent donc leurs origines au sein de plusieurs groupes ethniques.
J’en ai passé des heures à me regarder dans la glace, à scruter la couleur de ma peau, la texture de mes cheveux, la forme de mes yeux, de mon nez… En quête d’une réponse.
Dans mes voyages, chercher des fragments de moi
Dès mes 18 ans, j’ai eu envie de voir le monde. J’ai d’abord été fille au pair, puis étudiante en Eramus à Londres. J’étais ébloui par la capitale anglaise et son cosmopolitisme. Je voyais enfin des personnes de toutes les couleurs: des Anglais, des Écossais, des Irlandais, des west indus (Terme désignant les Antilles britanniques, et par extension la population originaire de cette zone et les Afro-Caribéens en Grande-Bretagne).
, des moyen-orientaux, des Sud-Africains, des Indiens, des Pakistanais, des Philippins, etc. Ce que j’ai aimé cette ville de Londres! Même si je n’échappais pas, là-bas non plus, à la sempiternelle question: “Where are from, apart from France ?” (“D’où viens-tu, en dehors de la France?”)
J’ai vécu ensuite plus de 10 ans à Paris et ai voyagé à New York, au Vietnam, en Inde et en Égypte notamment. Dans les grandes métropoles, Londres, Paris et New York, rien ne me plaisait plus que d’arpenter les quartiers dits “ethniques”: Château d’Eau, La Chapelle, le passage Brady, le XIIIe arrondissement et Belleville à Paris (Château d’Eau, comme Château rouge, sont les quartiers dits “africains” de Paris, La Chapelle et le passage Brady sont les quartiers “indiens”, le XIIIe et Belleville sont les quartiers “chinois”); Brixton (un quartier de la communauté afro-caribéenne) à Londres ou Chinatown à Manhattan.
Ai-je cherché des traces de moi-même et de mes origines dans chacun de ces endroits? C’est évident.
J’ai une expérience pour le moins singulière du voyage. Évidemment toutes les personnes qui adorent voyager vous diront la même chose. Ce que je veux dire, c’est que partout où je suis allée, j’ai cherché une forme d’appartenance. En scrutant les visages, en goûtant toutes les cuisines que je pouvais, en cherchant à capter ci et là des bribes de culture, je pense qu’une partie de moi cherchait une sorte de révélation mystique de type: “C’est là, c’est d’ici que je viens.” ou bien “Ce sont eux, c’est ma famille”.
Évidemment, je n’ai jamais eu cette révélation. J’étais toujours décalée, incapable de me fondre parfaitement dans la masse. Et pour cause, les seuls qui me ressemblent vraiment, mais qui ne se ressemblent pas entre eux, ce sont les Réunionnais.
Un jour enfin, La Réunion
J’ai bien conscience de l’absurdité de ma démarche. Pourquoi tourner ainsi autour du pot? Après tout, j’ai toujours su d’où je venais. Il m’a fallu attendre d’avoir 28 ans pour me décider enfin à visiter mon île. Pourquoi pas avant cela? Parce que j’avais peur, très certainement.
En 2005, j’ai effectué des démarches auprès du CNAOP (Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles) afin d’avoir accès à mon dossier d’adoption. Et là, surprise! Il n’y avait pas de secret me concernant. Tout est donc allé très vite, j’ai eu le nom de ma mère biologique, et j’ai pu la localiser assez rapidement à La Réunion. Je me suis donc envolée vers mon île de naissance, dans l’océan Indien.
Il faudrait tout un livre pour décrire ce chapitre très particulier de ma vie. À La Réunion j’ai rencontré ma mère biologique, mais aussi cinq demi-frères et sœurs biologiques. Si aujourd’hui j’ai une affection immense pour mes frères et sœurs de La Réunion (ma mère biologique est décédée depuis), sur le moment ce fut un véritable tsunami émotionnel. Il m’a fallu des années pour digérer ce voyage et ces rencontres.
Le test ADN
Vers 2017-2018, je commence à entendre causer des tests ADN permettant de retracer sa généalogie et son origine ethnique. Incroyable. Tout ce que j’avais toujours cherché, toute ma vie. Là encore, j’ai attendu 2019 pour enfin sauter le pas.
Comme indiqué précédemment, même s’ils rencontrent un succès important ces dernières années, les tests ADN récréatifs restent interdits en France. D’autre part, il faut rappeler que l’ADN est une donnée à caractère personnel et que révèler celle-ci à une entreprise n’est pas exempt de risque.
Bien qu’ayant rencontré une partie de ma famille réunionnaise (je ne connais pas mon père biologique), je n’ai toujours pas de réponse précise concernant mon appartenance ethnique. Ma famille de La Réunion se dit simplement créole, avec certainement des origines africaines. À part moi, personne ne semble intrigué par les yeux verts de mon frère, par les différences de carnation entre nous tous, par nos enfants qui peuvent être si dissemblants au sein d’une même fratrie (les miens n’échappent pas à la règle).
Je comprends que cette obsession pour l’ethnicité, devenue mortifère, ne concerne que moi. Elle m’a dévoré toute ma vie. C’est ma névrose, mon poison. D’où vient-elle au fond? De deux choses, je pense, de l’abandon bien sûr, une plaie béante qui ne peut jamais cicatriser totalement, et surtout du nombre incalculable de fois dans ma vie où l’on m’a demandé: “De quelle origine es-tu?”. Je n’ai eu de cesse que d’essayer de répondre à cette question. Alors la voici, la réponse:
Pour les grandes répartitions, les tests me disent ceci: Africaine à 51%, Européenne à 28% et Asiatique à 21%*. À l’intérieur des continents, je retrouve dans les résultats d’analyse toute l’histoire du peuplement de La Réunion: Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, France, Grande-Bretagne, Inde, Pakistan, Asie du Sud-est (possiblement via des origines malgaches) et d’autres contrées encore. Ces découvertes passionnantes m’ont replongé dans les livres d’histoire sur La Réunion. Je n’ai pas guéri ma névrose, mais je l’apaise avec ces analyses de généalogie génétique. Sans compter qu’un jour, elles me mèneront peut-être à retrouver la trace de mon père biologique.
Alors, test “récréatif”, vraiment? Pas tant que cela.
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*Statistiques issues d’une analyse de généalogie génétique de mon ADN fournie par Family Tree DNA (2019)
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