"Affaire du Siècle": avant le procès de l'État français, cette affaire néerlandaise a ouvert la voie
ENVIRONNEMENT - L’État français sur le banc des accusés dans une affaire à l’ampleur inédite sur le territoire. Ce jeudi 14 janvier, le procès de “L’Affaire du Siècle” contre l’inaction climatique supposée du gouvernement s’ouvre au tribunal...
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ENVIRONNEMENT - L’État français sur le banc des accusés dans une affaire à l’ampleur inédite sur le territoire. Ce jeudi 14 janvier, le procès de “L’Affaire du Siècle” contre l’inaction climatique supposée du gouvernement s’ouvre au tribunal administratif de Paris. Avec, dans les yeux des organisations qui l’ont intenté, l’espoir d’une conclusion à la néerlandaise.
L’histoire juridique récente en France ne manque pas de procès climatiques. Mais ils sont le plus souvent intentés à de grandes entreprises, sur des faits bien précis (mauvaise gestion des déchets, eaux usées, etc.). L’Affaire du siècle, elle, se veut d’une portée bien plus large: forts de plus de 2 millions de signatures, les requérants (Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) veulent “mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations en matière de
lutte contre le changement climatique” et exigent également la réparation du “préjudice écologique dans le délai le plus court possible”.
En somme, ils entendent prouver que “l’État n’en fait pas assez” en termes d’environnement, pour reprendre les mots de Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France à l’AFP. Tout un programme et une bataille judiciaire sans doute longue à venir: aux Pays-Bas, il a fallu pas moins de 8 ans pour que l’État néerlandais soit définitivement condamné.
Du tribunal de La Haye à la Cour Suprême
L’affaire Urgenda, du nom de la fondation qui l’a initié, commence en réalité en novembre 2012, lorsque la fondation, appuyée par près de 900 signatures citoyennes, écrit au gouvernement pour lui faire part de ses doléances: réduire de 40% les émissions de GES fin 2020, par rapport à celles de 2019. Jugeant la réponse officielle décevante, ils attaquent l’État en justice un an plus tard.
Le 24 juin 2015, le tribunal de 1re instance de La Haye tranche en faveur des militants écologistes et oblige le gouvernement néerlandais à adopter une politique climatique plus contraignante avec un objectif principal: réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici fin 2020 par rapport à 1990. Cette première victoire marque le début d’un très long combat judiciaire, au cours duquel l’État néerlandais interjettera en appel une première fois - en vain - avant d’en référer à la Cour suprême en janvier 2019.
Il faudra attendre quasiment un an, pour qu’en décembre de la même année la plus haute juridiction du pays confirme la décision du tribunal de La Haye: “L’essence même du jugement de la Cour Suprême est que le verdict du tribunal régional vis-à-vis de l’État (...) est autorisé à demeurer”, écrit la Cour Suprême le 20 décembre 2019.
“L’affaire Urgenda contre le gouvernement néerlandais était la toute première à l’échelle mondiale où les citoyens ont pu prouver que leur gouvernement avait l’obligation légale d’anticiper les dangers causés par le changement climatique”, se félicite l’association. Au final, le gouvernement retiendra 30 des 54 propositions faites par l’association pour atteindre son objectif. Un vrai succès pour les Pays-Bas, mais pas uniquement.
Si cette victoire est importante pour les défenseurs de l’environnement, c’est aussi parce qu’elle consacre un grand principe: la responsabilité d’un État en particulier dans le réchauffement de la planète et ce, même si les émissions de gaz à effet de serre sont mondiales.
Faire reconnaître “la carence fautive” de l’État
Faire reconnaître la responsabilité d’un État n’est pas évident. D’autant plus lorsque le sujet abordé est aussi large que le climat, avec des considérations qui touchent autant au développement économique d’un pays qu’aux droits humains.
Mais c’est justement sur ce point qu’a misé la fondation Urgenda - imitée par les requérants de l’Affaire du Siècle. Une partie de leur argumentation consiste en effet à montrer qu’en ne prenant pas de mesures suffisamment fortes pour limiter les émissions de GES, le gouvernement néerlandais a contrevenu à plusieurs textes nationaux et internationaux pourtant ratifiés, dont la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans son argumentation, la fondation estime en effet que le réchauffement climatique menace le “droit à la vie” défini par l’article 2 de la CEDH et que les Etats sont censés protéger. Toutefois, pour faire le lien entre cette menace sur “le droit à la vie” et le rôle de l’État, il faut réussir à expliquer en quoi les agissements de l’État représentent une menace pour les générations actuelles et futures.
Dans le jargon juridique, on parle “d’action en responsabilité”. “Classiquement, cette action suppose la réunion de trois conditions: une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux”, explique Yann Aguila, avocat à la cour d’appel de Paris et président de la commission environnement du Club des juristes dans un article paru en 2019 sur le site Dalloz.
La faute, dans le cas de l’affaire Urgenda, mais aussi française qui se fonde sur les mêmes arguments, est assez simple à établir: à défaut d’avoir agi de façon suffisamment concrète et efficace, le gouvernement met en danger la santé et l’avenir des habitants de son pays. Le préjudice - ici écologique - est aussi assez facile à démontrer, grâce aux nombreuses études scientifiques.
Les requérants français pourront d’ailleurs s’appuyer sur une récente décision du Conseil d’État: saisi par la commune de Grande-Synthe qui s’estime menacée de submersion sur le littoral du Nord, il a fixé un ultimatum à l’État pour démontrer ses efforts climatiques. Leur dossier comporte également une centaine de témoignages de Français qui pâtissent déjà des conséquences du réchauffement climatique.
Condamner un État pour une faute mondiale?
En revanche, la difficulté vient lorsqu’il faut établir le “lien de causalité” entre la faute et le préjudice. L’État néerlandais a ainsi fait valoir qu’il était impossible de l’accuser de mettre en danger l’avenir de ses citoyens à cause des GES, puisque les émissions sont mondiales. Comprendre “pourquoi je serais condamné pour quelque chose dont tout le monde est responsable”.
Mais en vain. “Le changement climatique est un grave danger. Tout report des réductions d’émissions exacerbe les risques liés au changement climatique. Le gouvernement néerlandais ne peut pas se cacher derrière les émissions d’autres pays. Il a le devoir indépendant de réduire les émissions de son propre territoire”, a déclaré, lors du procès en appel, la présidente de la juridiction.
Cette décision n’a pas empêché l’État français de reprendre la même argumentation. Dans son mémoire de défense, il a rejeté la demande de réparation d’un préjudice écologique, notant que l’État ne peut être tenu seul responsable du changement climatique alors que la France représente environ 1% des émissions mondiales.
En termes de réparation, les requérants de l’Affaire du Siècle ne demandent qu’un euro symbolique pour “préjudice moral”. Ils réclament surtout des mesures à échéance immédiate pour atteindre l’objectif fixé par l’Accord de Paris, mais aussi pour “les objectifs de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d’augmentation de l’efficacité énergique” fixés par une série de lois et décrets au niveau français et européen.
Malgré le précédent des Pays-Bas, le succès de l’action française est loin d’être assuré. “Il faut être conscient que les procès climatiques conduisent rarement à une condamnation”, note Mathilde Hautereau-Boutonnet, professeure spécialiste du droit de l’environnement sur Dalloz. “Alors que certains demandeurs se retrouvent face à l’impossibilité de démontrer leur intérêt à agir et le lien de causalité entre le comportement du défendeur et les dommages en jeu, certains juges - en particulier américains - refusent tout simplement de juger, estimant qu’il s’agit là d’une question politique.”
Le pari est donc risqué, et les organisations à l’origine de la plainte le savent: “Si on perd, ce sera alors facile pour l’État de dire ‘on a gagné en justice, alors arrêtez avec vos demandes incessantes’”, admet Jean-François Julliard. Mais une victoire permettrait de mettre la pression pour renforcer l’ambition du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, espère-t-il.
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