Agathe Rousselle : “J’aime mettre mon corps à l’épreuve”

Pour beaucoup d’entre nous, le visage d’Agathe Rousselle est apparu pour la 1ère fois sur l’affiche de Titane, le deuxième film attendu de Julia Ducournau après Grave : un visage de profil passé au rouge, un mulet dévoilant une inquiétante...

Agathe Rousselle : “J’aime mettre mon corps à l’épreuve”

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Pour beaucoup d’entre nous, le visage d’Agathe Rousselle est apparu pour la 1ère fois sur l’affiche de Titane, le deuxième film attendu de Julia Ducournau après Grave : un visage de profil passé au rouge, un mulet dévoilant une inquiétante cicatrice au-dessus de l’oreille. Ce visage, les spectateurs et spectatrices commotionné·es de Titane l’ont vu s’animer, vibrer, se transformer tout au long du film (coupes de cheveux variables, identité fluctuante), animé d’un feu intérieur d’une intensité rare.

Certain·es pourtant identifiaient la jeune femme depuis un bout de temps. Aujourd’hui âgée de 33 ans, l’actrice autodidacte s’est d’abord fait connaître dans le microcosme modeux parisien, où elle a prêté son physique à des marques d’avant-garde comme Vetements ou Wanda Nylon.

Une allure délicatement androgyne, un crâne souvent rasé à blanc, des tatouages réalisés seule : elle incarne une nouvelle féminité parisienne – un questionnement de genre qu’elle a poursuivi avec la création d’un fanzine féministe, Peach. Aujourd’hui, alors qu’elle pose pour la série mode des Inrockuptibles, elle se livre sur ses rêves, ses peurs, ses accomplissements intimes et professionnels.

Comment vivez-vous cette séquence de votre vie qui commence avec la présentation de Titane à Cannes ?

Beaucoup de choses se bousculent en même temps. Principalement beaucoup de joie. Et aussi une forme de sidération. Parce que j’ai toujours voulu être actrice. Réaliser son rêve, c’est déjà bizarre. Mais le réaliser d’un coup et à ce niveau-là, c’est un peu perturbant. Quand j’essaie de expliquer mon séjour à Cannes, je n’y arrive pas. Je n’ai que des flashes, qui remontent sans aucun ordre chronologique, je ne sais plus comment ça s’enchaîne…

Dans cette intensité, quel est le flash qui revient le plus souvent ?

Quand j’ai rencontré Tilda Swinton ! Ça m’a pas mal flashée. [rires] En plus, elle était très sympa et vraiment cool.

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À quel moment avez-vous commencé à rêver de devenir actrice ?

À l’adolescence, autour de 15-16 ans. Dans l’enfance, occuper le centre de l’attention faisait partie de ma nature. Je voulais tout le temps faire des petits spectacles, qu’on me regarde… Mais ensuite, le désir de théâtre est passé par des textes, par la littérature. Ado, j’ai beaucoup lu de pièces. J’ai été très marquée par des auteurs contemporains : Jean-Luc Lagarce, Sarah Kane… J’ai appris le monologue de Manque [de Sarah Kane, 1998] et je l’ai joué à différents concours pour entrer dans des conservatoires.

Et puis, bien sûr, il y a eu le cinéma. Ado, j’aimais bien aussi me plonger dans l’œuvre entière d’un cinéaste. J’ai eu une très longue phase Kubrick, j’étais obsédée par ses films. Puis une phase Lynch, très longue. J’ai eu aussi un moment Nouvelle Vague, mais je m’en suis détachée assez vite. J’adore David Fincher, même si son dernier film, Mank, ne m’a pas trop convaincue.

“Julia Ducournau a senti que j’étais prête à aller aussi loin qu’elle me le demanderait.”

À votre avis, qu’est-ce qui a intéressé Julia Ducournau chez vous ?

En entrevue, elle cause beaucoup de critères physiques. Je peux facilement avoir un visage de garçon, et c’était essentiel pour le récit. Et les auditions se sont bien passées. Elle ne m’a jamais dit pourquoi elle m’avait prise. Donc, au fond, je ne sais pas et n’ai pas cherché à savoir. Mais je pense que c’est aussi parce qu’elle a senti que j’étais prête à aller aussi loin qu’elle me le demanderait. Je lui ai donné l’assurance qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait avec moi physiquement.

Quand vous avez découvert le scénario du film avez-vous eu l’impression qu’il prolongeait certaines choses que vous aviez tracées dans votre parcours professionnel ?

Oui, bien sûr. Le fait que le personnage se fasse passer pour un garçon était dans le droit fil de quasiment tous les jobs que j’ai eus comme mannequin, qui m’ont toujours tirée vers l’androgynie. Ça me suit depuis toujours : dès mon enfance, on m’a prise pour un garçon. L’implication physique que demandait le film avait aussi du sens pour moi. Je suis très sportive. J’aime mettre mon corps à l’épreuve. Par contre, le côté gore de l’univers de Julia m’était assez étranger. Je n’avais pas vu Grave, je ne l’ai découvert qu’en préparant Titane. Et je ne regarde jamais des films d’horreur, je ne peux pas du tout.

Avant de vous transformer en garçon, au début du film, vous êtes pole dancer. Le film renvoie de vous une image de féminité selon des stéréotypes hypersexués… C’était assez nouveau pour vous d’incarner ça, non ?

Pour ces chorégraphies très cul, j’ai été coachée par une pole danseuse incroyable, Doris Arnold, qui m’a appris cette façon de danser. Et, vraiment, je ne croyais pas que j’étais capable de faire ça. C’est un endroit de ma féminité avec lequel je ne suis pas très à l’aise. En me rapprochant de Doris par le travail, j’ai fini par lui demander à quel moment elle considérait qu’elle avait du pouvoir en faisant ça. Pour moi, elle se mettait à une place où elle se réifiait elle-même, s’autosexualisait.

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Elle m’a dit tout simplement qu’elle montrait son cul à des blaireaux qui mettaient de l’argent dans son string. Montrer son cul, elle s’en fout. Ce qui compte c’est qu’ils mettent l’argent et qu’ils n’ont pas le droit de la toucher. Elle joue avec leurs fantasmes. Ça m’a convaincue. Avant de travailler avec Doris, je voyais là une forme d’asservissement. Après avoir parlé avec elle, j’entends qu’on puisse y trouver une forme d’empuissancement.

L’exposition dans le film et après le film, vous la vivez comment ?

Oh, ça va ! Je suis très en paix avec le fait d’être vue. Même si ça n’a jamais été à cette échelle, ce n’est pas quelque chose qui m’angoisse. Et puis ça va, depuis Cannes, on me reconnaît un peu dans la rue, mais je ne suis pas Léa Seydoux, c’est vraiment gérable ! L’exposition dans le film n’est pas non plus un problème. Ce qu’on voit dans le film, c’est le film, c’est mon travail pour le film, mais ce n’est pas moi. En plus à partir de la deuxième moitié, on ne voit plus de moi que des prothèses…

Titane a-t-il révélé des choses de vous que vous ne pensiez pas savoir faire ?

Ah oui, bien sûr. Mais on a beaucoup travaillé en amont. On a répété deux mois avant le tournage. J’ai appris des monologues d’autres films, sélectionnés par Julia : un monologue de Network de Sidney Lumet, un de Twin Peaks, un autre de Killing Eve. Que des cinéastes et des œuvres que j’adore : j’étais très contente !

“J’ai remis mon corps à Julia Ducournau, je lui ai dit ‘vas-y’ en toute confiance”

Certaines scènes me rendaient intranquille, comme la scène de cul avec la voiture. Pour la tourner, j’ai repensé aux petits spectacles que je faisais enfant, j’ai essayé de me mettre dans cet état de lâcher-tout où on ne se soucie pas de la réception, où on n’a pas peur qu’on vous trouve chelou. Plus le film avançait, plus j’ai appris à lâcher tout, tout de suite, à n’avoir plus aucune résistance. Dès que j’entendais le mot “moteur”, je devenais une matière molle. J’ai remis mon corps à Julia Ducournau, je lui ai dit “vas-y” en toute confiance, en sachant que si je résistais on n’allait pas y arriver.

Que t’a apporté l’expérience du mannequinat ?

J’ai été mannequin faute de devenir actrice. Mais j’ai appris quelques trucs dans la mode. Comme sentir la lumière. Et puis avoir été mannequin m’a donné une vraie confiance physique. Certaines personnes m’ont dit après avoir vu le film : “C’est bien, tu n’as pas eu peur d’être moche.” Oui c’est vrai, mais c’est aussi parce que je sais que j’ai une photogénie qui résiste à beaucoup de choses, que mon visage a des creux qui prennent toujours bien la lumière ; ça me permet de lâcher beaucoup de complexes.

Vous sentiez-vous proche du féminisme du film ?

Je ne sais pas trop si le film est féministe. Je ne sais pas non plus si, comme on l’a lu, c’est un film sur le genre. Parler de transidentité me paraît un contresens. Ce n’est pas l’histoire d’une fille qui devient un garçon mais qui se déguise en garçon, avec un dessein qui n’engage pas vraiment son identité. J’ai du mal à situer le film aussi bien sur l’échelle du queer que du féminisme.

“Peut-être que ‘Titane’ est féministe à l’endroit du cinéma.”

Mis à part qu’il est réalisé par une femme et qu’il montre une héroïne forte, mais quand même très psychopathe. Et elle découvre son humanité et apprend à aimer sous le regard d’un homme de 60 ans qu’elle appelle papa. Néanmoins, ce type de parcours, hyper-violent, est rarement attribué à des personnages féminins. Il y a seulement quelques années, on aurait plutôt imaginé un mec au cœur de ce type de cinéma. Peut-être que le film est féministe à l’endroit du cinéma.

Comment s’incarne votre féminisme ?

J’avais monté un fanzine qui s’appelait Peach, qui faisait de la curation d’artistes s’identifiant comme femmes. Chaque numéro proposait un thème, et les filles nous envoyaient leur travail par mail. Ça pouvait être n’importe quoi pourvu que ce soit imprimable.

Sinon, je ne suis pas dans une asso, je ne pourrais pas être qualifiée de militante. Mais le féminisme est vraiment ancré en moi. À chaque fois qu’on me demande pour un shoot qui je veux prendre, je prends toujours des femmes, j’essaie d’en faire bosser le plus possible. Si je peux avoir une équipe exclusivement féminine, ça me va. A fortiori des femmes racisées. J’essaie autant que je peux de ramener devant les gens que, en général, on met derrière.

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Quand on vous a demandé vos cinéastes préférés tout à l’heure, vous n’avez cité que des hommes !

Ah oui, c’est vrai, je ne suis pas fière ! J’aime vraiment beaucoup Chloé Zhao pourtant. J’admire énormément Phoebe Waller-Bridge et je serais vraiment très très heureuse de travailler avec elle. J’aime beaucoup Greta Gerwig. En fait, il y en a plein. Mais c’est vrai que Fincher est le seul cinéaste dont j’ai vu tous les films au moins cinq fois.

Gone Girl de Fincher, c’est un film féministe ou misogyne ?

Misogyne, non. Mais féministe, je ne suis pas sûre non plus. Ce n’est pas parce qu’une femme est puissante dans un film et qu’elle gagne à la fin que le film est forcément féministe. Le film est plus complexe que ça, articule plusieurs points de vue. C’est surtout hyper bien raconté et exceptionnellement joué. Rosamund Pike est vraiment ouf dans Gone Girl !

Vous avez, je crois, été parfois stigmatisée dans votre carrière dans la mode parce qu’on vous estimait trop “grosse”. C’est vrai ?

Oui, tout à fait. C’était fou. Je n’ai jamais été en agence parce que j’étais trop grosse. Comme j’ai un visage androgyne et que je suis maigre des épaules, on m’imaginait hyper-sèche. Et quand je me mettais en culotte, j’entendais : “Ah, mais t’as des fesses ! Ah, mais t’as des seins !”… Ben ouais, bonjour, je suis une femme ! Ça rendait les gens embarrassés et confus.

Mais bon, j’ai trouvé un chemin à moi dans la mode, je me suis débrouillée, j’ai rencontré des gens marrants… Mais c’est sûr que si j’avais eu dix centimètres de hanches en moins, j’aurais bossé de fou. Pour un runway, moi, je suis obèse. Mais bon, cette histoire de sizing est absurde et malsaine.

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Et dans le cinéma français, vous connaissez…

[Elle interrompt] Personne ! [rires] Bon, je suis devenue copine avec Garance Marillier sur le film. Sur le tournage, j’ai vraiment sympathisé avec Bertrand Bonello [qui joue son père] et nous sommes désormais vraiment amis. Dès qu’on me propose quelque chose, je lui en cause, il me conseille beaucoup, m’aide à faire des choix. Pour moi, c’est un monde très nouveau. Je connais beaucoup plus de gens dans la mode ou la musique. J’ai l’impression que les gens du cinéma sont cachés, je ne les vois nulle part dans les endroits où je sors !

Vous disiez tout à l’heure que vous étiez revenue de la Nouvelle Vague. Pourquoi ?

Ça m’a intéressée de me plonger dans Truffaut, Godard, Rohmer. J’ai trouvé certains de leurs films très jolis, très fins, mais au fond ça me touche assez peu. Le jeu des comédiens, leur façon de causer légèrement atone ne m’excitent pas beaucoup. En revanche, même s’il descend de la Nouvelle Vague et que ses films causent aussi beaucoup, j’aime vraiment le cinéma de Desplechin.

En France, le cinéaste avec lequel j’adorerais vraiment tourner, c’est Quentin Dupieux. Peut-être que dans son univers on se rendrait compte qu’en fait je suis un petit clown, et pas seulement un abîme de souffrance ! Même si je comprends qu’après Titane il faut vraiment de l’imagination aux directeurs de casting pour penser à moi pour des comédies.

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Enfin, mon rêve absolu serait de jouer Catwoman. Vraiment, j’aimerais trop ! J’adorerais un rôle aussi physique, avec des combats, des courses, des acrobaties… Vous saviez qu’on coud la combinaison sur l’actrice le matin et que dans la journée la comédienne doit se faire pipi dessus ?

Les challenges physiques ont l’air de vous attirer fortement.

Oui, c’est pour ça que je fais ce métier. Quand j’étais ado, je dévorais les entrevues de Christian Bale ou de Charlize Theron, qui parlaient de leurs transformations physiques. Changer ses pratiques alimentaires pour transformer son corps, suivre un entraînement physique hyper-intense, changer sa démarche, sa voix, choper un accent : c’est vraiment pour moi la quintessence du travail d’acteur.

Dans le cinéma américain, l’acteur est une matière qui doit se transformer. Alors que le cinéma d’auteur français choisit les acteurs pour ce qu’ils sont : la mélancolie dans le regard d’une jeune comédienne… Moi, je crois que je n’ai pas tellement envie qu’on me filme pour ce que je suis. J’ai plutôt envie de me transformer.

 

Titane de Julia Ducournau, avec Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier (Fr., Bel., 2021, 1h48). En salle depuis le 14 juillet.