"Allen v. Farrow": les réalisateurs du documentaire racontent leur travail

WOODY ALLEN - 4 août 1992: le jour où la vie de Dylan Farrow a basculé. La fillette de sept ans affirme que son père adoptif, Woody Allen, l’a agressée sexuellement dans le grenier de la maison de campagne de Mia Farrow (sa mère, alors épouse...

"Allen v. Farrow": les réalisateurs du documentaire racontent leur travail

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Dylan Farrow, Woody Allen et Ronan Farrow.

WOODY ALLEN - 4 août 1992: le jour où la vie de Dylan Farrow a basculé. La fillette de sept ans affirme que son père adoptif, Woody Allen, l’a agressée sexuellement dans le grenier de la maison de campagne de Mia Farrow (sa mère, alors épouse du réalisateur), dans le Connecticut.

Un événement tragique disséqué dans un documentaire en quatre épisodes diffusé sur HBO depuis le dimanche 21 février et disponible en mars sur OCS en France. Réalisé par Kirby Dick et Amy Ziering (The Hunting Ground, On the Record), il donne la parole à Dylan, Mia et Ronan Farrow et d’autres membres de la famille, aux enquêteurs et aux témoins, qui reviennent sur les détails entourant ces accusations. Bien que Woody Allen, qui continue de nier les faits, n’ai pas participé au projet, sa carrière et sa relation avec Mia Farrow y sont analysés en détail.

Photo non datée de Dylan et Mia Farrow.

Allen v. Farrow est un réquisitoire solidement étayé contre le réalisateur oscarisé. Films de famille, documents judiciaires, témoignages et bandes audio privées brossent le portrait d’un homme qui a fait taire sa victime et utilisé son pouvoir et sa position à Hollywood pour ne pas répondre de ses actes.

“Il est très difficile de croire que quelqu’un que vous respectez et que vous aimez profondément soit capable de faire quelque chose d’aussi horrible à un enfant”, dit Mia Farrow dans le deuxième épisode, après les images montrant la jeune Dylan lorsqu’elle décrit le comportement de Woody Allen. “La seule chose que vous pouvez faire, c’est soutenir votre enfant et la protéger.”

Au moment de l’agression présumée, Mia Farrow avait neuf autres enfants: ses trois fils biologiques, nés de son deuxième mariage avec André Previn (Matthew, Sascha et Fletcher), ses cinq enfants adoptifs (Soon-Yi, Lark, Daisy, Moses et Tam) et le fils biologique qu’elle a eu avec Woody Allen (Ronan). Elle a, par la suite, adopté quatre autres enfants: Thaddeus, Frankie-Minh, Isaiah et Kaeli-Shea. Quelques mois avant que l’affaire n’éclate, Woody Allen avait admis avoir eu une relation sexuelle avec la fille de Mia Farrow, Soon-Yi, âgée de 21 ans, qu’il épouserait en 1997.

Allen v. Farrow couvre cette affaire, ainsi que le traumatisme et les réactions violentes dont la famille Farrow a fait l’objet pendant des années, et encore après que Dylan a reparlé de son histoire dans une tribune parue dans le New York Times en 2014 et, plus récemment, en plein mouvement #MeToo.

Dans l’entretien ci-dessous, Kirby Dick et Amy Ziering évoquent leur collaboration avec la productrice de documentaires d’investigation Amy Herdy pour gagner la confiance de Dylan Farrow et revenir sur la controverse autour de Woody Allen. 

Dylan Farrow dans “Allen v. Farrow.”

En tant que cinéastes, vous avez réalisé des documentaires édifiants sur les victimes et les survivants d’agression sexuelle. Pourquoi est-il important pour vous de faire connaître leurs histoires?

Amy Ziering: Notre travail, qui est celui de toute une vie, s’est déroulé de manière très organique. J’ai l’impression que nous n’avons pas choisi ces histoires mais que ce sont elles qui nous ont choisis. Pour Invisible War, par exemple, nous venions de lire un article en ligne sur les témoignages de femmes dans l’armée américaine, et nous avons commencé à enquêter sur le sujet. Le film a été étonnamment très bien accueilli lorsque nous avons l’avons montré dans les universités, et les étudiants sont venus nous voir en nous disant d’aller jeter un œil à ce qui se passait du côté du Bowdoin College, de Harvard ou de l’Université de Californie du Sud. C’est comme cela que le projet The Hunting Ground est né. Dès sa sortie, nos téléphones portables n’ont pas arrêté de sonner et les gens nous ont conseillé d’aller recueillir la parole des victimes #MeToo.

Ce documentaire a vu le jour un peu de la même manière. Nous n’avions pas prévu de travailler sur l’affaire Woody Allen-Mia Farrow mais, dans le sillage de #MeToo, les victimes sortaient du silence et nous avons mis en place un vaste dispositif pour interroger un maximum de personnes. Et puis Amy Herdy, qui est une productrice de documentaires d’investigation absolument extraordinaire, nous a montré une interview de Dylan Farrow. En la voyant, nous nous sommes rendu compte que, contrairement à ce que nous pensions, nous ignorions énormément de choses sur cette histoire.”

Lorsque Dylan Farrow a reparlé de son histoire en 2017, c’était en plein mouvement #MeToo. Beaucoup de gens se sont alors demandé ce qui se passait vraiment à Hollywood et comment certaines personnes pouvaient échapper à la justice.

Kirby Dick: Je crois qu’il est important de rappeler qu’il s’agit du cas d’inceste le plus médiatisé de ces cinquante dernières années aux Etats-Unis, ce qui a influencé la manière dont les médias l’ont couvert et aussi le regard du public. En étudiant l’affaire, les idées fausses qui l’entourent, et la manipulation des faits par Woody Allen, nous avons pensé que notre film pourrait aider le public à mieux comprendre où se trouve la vérité.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans cette histoire et vous a donné envie de faire une série documentaire?

Kirby Dick: J’ai d’abord été réticent à l’idée d’accepter le projet parce que je pensais que l’histoire avait été largement couverte, et que quasiment tout avait été rendu public. Mais j’avais tort. Quand nous nous sommes rendu compte que certains éléments n’étaient pas connus, que des informations avaient été dissimulées, nous nous sommes dit qu’il y avait urgence. Depuis trente ans, les gens regardent cette histoire sous un seul angle. Le public n’a vu que la partie émergée de l’iceberg.

Amy Ziering: Et puis, nous n’étions pas simplement motivés par l’idée de raconter cette histoire spécifique mais plutôt par la possibilité qu’elle nous permette de braquer les projecteurs sur des problèmes cruciaux, tels que l’inceste, la misogynie et le fonctionnement de la justice. C’est une histoire de famille, une tragédie familiale qui, par certains aspects, rappelle l’affaire O.J. Simpson, et en dit long sur notre société.

Dylan Farrow, Woody Allen et Ronan Farrow.

Le public n’a jamais eu accès à autant d’informations sur Dylan Farrow, son histoire, ses souvenirs, ses vidéos personnelles. J’imagine qu’il n’a pas été simple de gagner sa confiance. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec elle?

Amy Ziering: Je pense qu’il est important de souligner que nous avons mis du temps à gagner la confiance de chacun de nos intervenants, c’est-à-dire toutes les personnes proches de l’affaire, car on ne leur avait jamais vraiment donné une plate-forme équitable dans les médias. Pire, la famille a toujours été présentée de manière à dissimuler les faits et entraver la recherche de la vérité. Ils étaient donc tous très inquiets, et pas seulement Dylan.

Nous avons eu la chance qu’elle finisse par accepter, après beaucoup d’hésitations. Et je pense que ce qui l’a en grande partie convaincue, ce sont nos documentaires précédents. Les gens se disent en les regardant: “Ils n’ont pas d’arrière-pensée, de préjugés. Ils abordent les choses avec beaucoup d’intégrité et ne font pas dans le sensationnel.” C’est ce qui l’a aidée, selon moi, à s’ouvrir à nous.

Le processus a-t-il été similaire avec Mia Farrow? Au vu de la misogynie que vous évoquiez plus haut et du pouvoir de Woody Allen à l’époque, on ne l’a considérée que sous l’angle de la “femme bafouée”. Tandis que la carrière de Woody Allen se poursuivait, la sienne s’est effondrée. J’imagine qu’il n’a pas été facile pour elle de revivre tout cela.

Amy Ziering: Mia Farrow a accepté parce que Dylan l’a implorée de parler, lui a demandé de la soutenir dans cette démarche. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait envie de faire. Mais elle voulait soutenir sa fille. Ca a été un traumatisme terrible pour elle, car elle ne faisait pas confiance aux médias qui l’avaient jusqu’ici traitée très injustement.

Comment cela s’est-il passé avec Woody Allen? Avez-vous réussi à entrer en contact avec lui?

Kirby Dick: Amy Herdy l’a contacté plusieurs fois par différents moyens. Évidemment, nous aurions adoré organiser une interview avec lui afin qu’il nous fasse part, devant la caméra, de ce qu’il pense de cette affaire. Il en va de même pour Soon-Yi. Nous espérions qu’il accepte, mais nous ne nous faisions pas d’illusions. Il accorde très rarement des interviews, même pour ses films. Son refus ne nous a donc pas vraiment surpris.

Néanmoins, le documentaire donne aussi son point de vue, notamment grâce à ses mémoires publiées en 2020, Soit dit en passant, dans lesquelles il revient longuement sur l’affaire, et dont il existe une version audio, narrée par Woody Allen lui-même. Il parle de sa rencontre avec Mia, de leur décision d’adopter Dylan, et de tous les événements qui ont suivi, non seulement dans les années 1990, mais jusqu’aujourd’hui. Il est donc présent tout au long de la série.

Ce livre audio a dû représenter une mine d’or pour vous.

Amy Ziering: Oui, Kirby Dick était très content.

Mia Farrow dans “Allen v. Farrow.”

Vous avez eu aussi accès à des vidéos personnelles. Comme vous l’avez dit, cela va changer le regard de nombreuses personnes sur ce qu’elles pensaient savoir.

Amy Ziering: Nous avons eu beaucoup de chance que Mia Farrow soit une vidéaste hors pair, avec un très bel œil, avant l’avènement des téléphones portables. Elle avait un gros caméscope, l’un des premiers sur le marché, avec lequel elle filmait sa famille. Ce qui est intéressant avec les images dont on dispose, c’est qu’on peut se faire sa propre opinion en les regardant, indépendamment de ce que les gens en disent. On y voit une famille aimante, des adultes dans leurs rôles de parents, à tous égards, en dépit de ce qui s’est dit, on y voit Mia Farrow et Woody Allen très présents dans la vie de tous les enfants, dans laquelle il est entré quand ils étaient tout petits et pour qui il a toujours été une figure paternelle. On le voit de nos propres yeux, grâce aux images de Mia Farrow. Elle a accepté de nous les montrer, puis nous a donné la permission d’en utiliser une partie dans la série.

On voit les images d’une famille heureuse mais aussi le comportement étrange de Woody Allen vis-à-vis de Dylan. Elle, et toute la famille, disent qu’il était obnubilé, qu’il avait toujours besoin d’être près d’elle. Lorsque vous avez découvert les films et écouté les interviews, avez-vous été surpris?

Amy Ziering: Complètement. Tout nous a surpris. C’était choquant.

Kirby Dick: On n’en revenait pas. Les médias avaient parlé de comportement sexuel inapproprié, qui ne s’était produit qu’une seule fois. En fait, plusieurs personnes ont été témoins de ce comportement inapproprié, qui a duré de nombreuses années. Il est entré en thérapie en partie à cause de cela, bien avant l’agression dans le grenier. L’une des choses qui, à mon avis, est très frappante dans le premier épisode, c’est le cheminement psychologique de Mia Farrow. On découvre avec elle, au fur et à mesure, ce qui se passe entre Woody Allen et Dylan. On voit une relation très tendre entre un père et sa fille se transformer en quelque chose qu’elle ne peut pas accepter. Le premier épisode est un drame psychologique saisissant, qui donne le frisson.

Contrairement à d’autres critiques, je ne dirai pas que la série est partiale. Elle donne la version Farrow de l’histoire et modifiera sans doute l’image que les gens peuvent avoir de Woody Allen.

Mia Ziering: Je ne pense pas que l’on puisse parler de “version Farrow” de l’histoire. Nous racontons l’histoire tout court. Ce qui est très dangereux dans notre société, c’est la croyance selon laquelle il existe systématiquement plusieurs versions d’une même histoire. Je fais souvent un parallèle avec le dérèglement climatique. L’ensemble des scientifiques disent qu’il est en train de se produire; il y a pourtant des gens qui ont tout intérêt à dire qu’il n’existe pas, parce qu’ils profitent de ce mensonge. Ce qui conduit les médias à inviter chaque fois quelqu’un qui explique que le dérèglement climatique est une réalité, et quelqu’un qui le nie. Lorsqu’un crime est commis, ce n’est pas une question d’opinion mais une question de faits. La série révèle que nous n’avons pas entendu une version de l’histoire mais une réécriture, une manipulation de cette histoire par celui qui est accusé d’un crime.

Nous n’avions aucune arrière-pensée, aucun parti pris. Nous avons simplement mené l’enquête et nous aurions été contents de découvrir autre chose. Ce que nous avons trouvé n’avait jamais été raconté. Notre documentaire relate l’histoire dans son ensemble, racontée du point de vue de Woody Allen dans son livre et les conférences de presse qu’il a données, et dont l’autre versant a été révélé grâce à notre travail d’enquête et aux témoins oculaires: baby-sitters, nounous, amis, parents proches, Mia, Dylan et ses frères et sœurs. C’est ainsi que je vois les choses.

Dans la réalisation de documentaires d’investigation, il y a une part de plaisir à découvrir la vérité. Avez-vous eu une “révélation” au montage lorsque les pièces du puzzle ont commencé à s’assembler?

Kirby Dick: Rien ne coule jamais de source. Il faut toujours creuser davantage. Mais nous avons fait des découvertes étonnantes à plusieurs reprises, notamment après avoir pris connaissance du travail d’Amy Herdy. Je pense que ce qui nous a le plus marqué c’est de voir comment on avait essayé d’étouffer l’enquête, en particulier celle de New York qui, encore aujourd’hui, poussent les gens à dire qu’elle a exonéré Woody Allen. Elle l’a fait parce que l’enquêteur, qui croyait Dylan et disposait de nombreuses preuves contre le cinéaste, a été empêché à plusieurs reprises par les autorités new-yorkaises (jusqu’au bureau du maire) de faire son travail. C’est quelque chose que le public ignore. Quand les gens vont regarder la série, ils vont tomber des nues, se rendre compte qu’ils ne connaissaient qu’une partie de l’histoire.

Amy Ziering: Tout le monde va être très surpris. Il y a les enregistrements d’appels téléphoniques privés entre Woody Allen et Mia Farrow. On entend leurs voix, leurs conversations à l’époque. C’est extrêmement révélateur. Nous avons aussi parlé à énormément de personnes sur la nature de la relation entre Woody Allen et Soon-Yi, sur la réaction de ses frères et de ses sœurs. C’est édifiant.

“Allen v. Farrow” est diffusé le dimanche à 21h00 sur HBO et sera disponible en mars sur OCS. Cet entretien a été condensé.

Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.

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