André Wilms, un dernier hommage
André Wilms était un ami idéal, car il faisait de l’amitié un chantier permanent. Profondément communiste au sens littéral et politique d’une mise en commun : des idées, des désaccords, des colères, parfois, des fous rires aussi, mais signant...
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André Wilms était un ami idéal, car il faisait de l’amitié un chantier permanent. Profondément communiste au sens littéral et politique d’une mise en commun : des idées, des désaccords, des colères, parfois, des fous rires aussi, mais signant sans barguigner le programme commun d’un amour radical, curieux et anxieux pour le genre humain dont il aimait dire en se marrant qu’il est un drôle de genre. Un compagnon de route en somme.
La notoriété auprès du grand public lui vint par le cinéma et singulièrement, en 1998, par son rôle mémorable de fantaisie dans La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez où il campait monsieur Le Quesnoy, patriarche catho et réac. Un rôle de haute composition quand on sait que la vie et les convictions d’André Wilms penchaient plutôt du côté de la famille Groseille, les prolos du film.
André Wilms fut autrement brillant au cinéma avec le Finlandais Aki Kaurismäki. Cinq films ensemble, cinq chefs-d’œuvre : La Vie de bohème (1992), Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (1994), Juha (1999), Le Havre (2011), L’Autre Côté de l’espoir (2017). Aki et André comme deux matelots en bordée à bord d’un beau bateau ivre : “Aki est l’un des rares metteurs en scène qui ne prend pas les acteurs pour des analphabètes, quoiqu’il y en ait beaucoup”, disait André. De son côté, Kaurismäki le distingua parce que, disait-il : “Tu as un pif à fumer sous la douche.”
Et puis, toujours au cinéma, beaucoup de seconds rôles qu’André Wilms eut le chic d’exhausser au 1er plan : un soldat homosexuel dans Europa Europa (1990) d’Agnieszka Holland ; un routier singulier dans Drôle d’endroit pour une rencontre (1988) de François Dupeyron ; un père présent-absent dans Le Sel des larmes (2020) de Philippe Garrel (2020). On en jugera une ultime fois le 23 février prochain avec le Maigret de Patrice Leconte, où André Wilms donne la réplique à Gérard Depardieu.
Homme de troupePour tous·tes celles et ceux qui suivirent les aventures du théâtre contemporain depuis le début des années 1970, André Wilms était surtout et par-dessus tout une autre sorte de star. Né le 29 avril 1947 à Strasbourg, son destin était de suivre la piste d’un CAP de stuqueur, métier consistant à mêler le plâtre et la filasse pour en faire des ornements. Dans un recoin de sa psyché, il lui resta peut-être quelque chose de cet artisanat du mélange. Comme il lui courait sans cesse sur la langue des mots, des expressions et pas mal de jurons du dialecte alsacien ou de l’allemand qu’il parlait couramment.
Au début des années 1970, il entre au théâtre par le plafond ou presque. Au Théâtre Sorano de Toulouse, il est engagé comme cintrier, tâche physique qui consiste à manipuler les perches sur lesquelles sont accrochés rideaux, décors et projecteurs. Parallèlement, il milite dans les rangs de la gauche prolétarienne, mouvement maoïste, ce qu’il lui fera dire rétrospectivement que lorsqu’il parlait de stalinisme radical, il savait d’expérience de quoi il parlait.
Engagé comme figurant, il passe une audition devant Klaus Michael Grüber qui le met en scène en 1975 dans une adaptation du Faust de Goethe, Faust Salpêtrière, considéré par sa destruction-reconstruction d’un classique comme une date fondatrice du théâtre moderne. Dont André Wilms, homme de troupe, devient alors une des figures majeures.
Après son engagement dans le Baal de Bertolt Brecht, mis en scène par André Engel, ce dernier lui offre une place prioritaire dans ses autres projets : En attendant Godot de Beckett, Hôtel moderne d’après Kafka, La Nuit des chasseurs d’après le Woyzeck de Georg Büchner. En 1976, André Wilms intègre le collectif du Théâtre national de Strasbourg (TNS), créé en octobre 1968, où il va rayonner jusqu’en 1983 avec son directeur Jean-Pierre Vincent qui le fait virevolter de Shakespeare à Brecht.
Dans les limbes du texteAuprès de Grüber dont il fut en France un propagateur, André Wilms poursuivit une collaboration active avec La Mort de Danton de Büchner ou Le Pôle de Nabokov. Dans les années 1990 toujours, il travailla ensuite avec Deborah Warner (La Maison de poupée) et Michel Deutsch (Imprécation II, IV et XXXVI), ou Heiner Goebbels (Max Black en 1998, Eraritjaritjaka en 2004). Toujours sur la brèche de l’avant-garde sans que cela soit un vain mot, Il a été l’un des 1ers partisans en France du dramaturge allemand Heiner Müller.
Pour sa dernière apparition sur scène en 2019 aux côtés, entre autres, d’Évelyne Didi, sa compagne au long cours qui lui avait donné un fils Elie, André Wilms joua dans La Fin de l’homme rouge, d’après l’essai de Svetlana Aleksievitch, mis en scène par Emmanuel Meirieu au théâtre Les Gémeaux de Sceaux.
Déjà très affaibli par la maladie qui lui rognait les poumons, il jouait assis mais parlait debout, tant sa voix, ni déclamatoire ni hurlement braillard, descendait dans les limbes du texte, non pas tant pour le jouer que pour le dire, simplement au plus près de son sens, haut et clair, même mezzo voce. Une délicatesse décalée (“Je joue de la main gauche”, disait-il) qu’on percevait aussi finement à l’écoute des innombrables lectures qu’il fit sur les antennes de France Culture.
André Wilms, c’était ça : la voix nue et humaine d’un homme de joie, tout de pudeur, d’humour fou et d’élégance.À cet égard, toujours sur France Culture, il est recommandé de se précipiter sur le podcast des entretiens qu’il accorda il y a quelques années à Martin Quenehen dans l’émission bien nommée À voix nue. André Wilms, c’était ça : la voix nue et humaine d’un homme de joie, tout de pudeur, d’humour fou et d’élégance. Quelques heures avant de décéder mercredi dernier, à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, aux dires de ses proches – la comédienne Anne-Lise Heimburger, ultime amour, et son autre fils, le metteur en scène de théâtre Mathieu Bauer), André Wilms demanda aux médecins : “Alors ça y est, je suis sur le pas de la porte ?”
Quelque part au bout du Finistère, André Wilms avait une maison. Là-bas aussi, pour celles et ceux qui l’aiment et l’admirent, la porte du camarade André restera à jamais entrebâillée.