Andrea Laszlo de Simone aux Trans Musicales : des adieux à la scène tout simplement sublimes

Il y avait longtemps que nous n’avions pas vu un concert faire autant l’unanimité. Ou plutôt deux concerts : ses dates du mercredi 3 et du jeudi 4 décembre au TNB (Théâtre national de Bretagne) bruissant du même écho dithyrambique. Andrea,...

Andrea Laszlo de Simone aux Trans Musicales : des adieux à la scène tout simplement sublimes

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Il y avait longtemps que nous n’avions pas vu un concert faire autant l’unanimité. Ou plutôt deux concerts : ses dates du mercredi 3 et du jeudi 4 décembre au TNB (Théâtre national de Bretagne) bruissant du même écho dithyrambique.

Andrea, comme tout le monde l’appelait dans un évident besoin de proximité, prenant une allure christique en ouverture de la 42e ouverture des Trans Musicales, comme un doux messie passant du baume sur les cœurs meurtris et blessés par deux ans d’angoisse, de deuil et de vide pour cause de Covid-19 mondialisé. Rien de moins. Il faut dire que sa décision d’arrêter les concerts et de présenter ses deux dates aux Trans comme les dernières les parèrent d’exclusivité et filèrent un sacré FOMO (fear of missing out, la peur de manquer un événement) à pas mal de gens restés sur le carreau.

Moment de grâce

Alors oui, il y eut quelques problèmes de son, sa voix mal balancée par rapport à l’orchestre l’accompagnant (onze personnes). Mais étrangement, cet écueil n’abîma en rien leur prestation, toute destinée à expliquer quelque chose de profondément impalpable, déroutant, et fascinant : la vie. Figure chevelue et moustachue aux faux airs de Frank Zappa masquant un jeune âge (35 ans), Andrea Laszlo de Simone n’est pas démonstratif.

Il tourne un peu sur lui-même, cigarette aux lèvres (avec laquelle il chante, parfois), déboutonne quelque peu sa chemise (il finira torse nu le mercredi soir comme l’indique la très belle photo de Titouan Massé ci-dessus), mais donne le principal : le jaillissement de ses chansons à la beauté élégiaque, tendres comme un paysage embrassé de rosée matinale, délicates comme un baiser déposé sur des paupières closes, foudroyantes comme une rencontre avec lui, Andrea, être réservé et passionné, mystère turinois propulsé tête d’affiche des Trans Musicales sur la foi d’un disque passé de bouche à oreille avant de conquérir les cœurs médiatiques : Immensità.

Immensità, disque immense et pourtant ramassé : quatre morceaux dessinant un ciel étoilé comme une réflexion existentielle, un déchirement et une renaissance. Disque sentimental aux arrangements fous, nostalgique sans se fourvoyer, ressuscitant une certaine pop italienne mais la sublimant d’orchestrations transcendantales, de percées électroniques, ferveur intemporelle comme la plus pure des histoires d’amour, libre, incandescente, impressionnante, comme notre relation à l’existence, inutile et foudroyante. “Nous ne sommes que des coquilles dispersées sur le sable”, chante-t-il sur le morceau final, Conchiglie. “Mistero” (“mystère”), répète-t-il sur le morceau du même nom, nudité de sa voix, tragédie de son envolée de violons.

Je ne suis pas né pour la scène”

Andrea Laszlo de Simone est un être étonnant. Rencontré dans l’espace presse quelques heures avant son concert du jeudi soir, il assure ne jamais avoir eu envie de partager sa musique. C’est Daniele, son ami et actuel manager, “ce bâtard”, qui lui expliqua que tant de beautés ne pouvaient être gardées pour soi. Andrea, lui, n’y voyait que son intimité exposée dans une démarche cathartique, composée la nuit, lorsque le calme se fait. “Écrire de la musique me rend heureux. Ça me permet de ne pas aller chez le psy ou me faire masser !”, explique-t-il en riant. Sa musique sortira sur le label italien Fourty-Two Records, avec un 1er album, Uomo Donna, paru en 2017, immense lui aussi.

A Paris, Matthieu Gazier du label Ekleroshock (Polo & Pan, Limousine…) partage son bureau avec un mec spécialisé dans la recherche musicale pour le cinéma, qui parcourt des playlists de musique italienne. Un beau jour retentit dans l’open space un certain Andrea Laszlo de Simone, alors inconnu au bataillon. Matthieu Gazier bloque immédiatement, l’écoute en boucle puis décide de le contacter. Rendez-vous est pris à Paris, puis à Milan où il assiste à l’un de ses concerts. Le contrat est signé, Ekleroshock sera le label d’Andrea pour la France mais aussi les États-Unis, ou encore le Royaume-Uni. Puis viendra le tourneur, AEG.

Quelle équipée pour quelqu’un qui assure ne chercher ni la reconnaissance, encore moins le live ! “Je ne suis pas né pour la scène, répète-t-il. Ce n’est pas mon métier. Je suis doué pour la recherche, pas pour l’exposition.” Aucun plaisir, donc ? “Si, c’est le seul moment où je peux entendre toutes les parties instrumentales que j’ai écrites jouer en même temps, ensemble. Je fais les albums seul. Donc ça me rend très heureux.” Et puis, Andrea ne supporte pas de s’éloigner de ses deux enfants, la prunelle de ses yeux – un euphémisme tant il en cause constamment. Rien ne lui paraît plus important que de passer tout son temps avec eux et de ne se mettre à composer qu’une fois les avoir couchés. “La musique est un acte égoïste féroce. Je ne pense pas aux autres quand j’en fais. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs.

Memento Mori

Andrea ne pourrait pas vivre sans en créer, de musique, mais il n’en écoute pas. “C’est comme quand tu es petit et que tu joues aux Lego. Tu ne veux pas regarder les autres y jouer. Tu veux y jouer, toi. Moi je ne veux pas écouter de la musique, je veux en faire.” Né à Turin d’un père calabrais et d’une mère venant des Pouilles, l’un branché jazz, l’autre musique classique, il apprend à jouer auprès de son frère de cinq ans son aîné, fan, lui, de Queen. Puis il forme un duo de rock anecdotique, Anthony Laszlo, avec son pote Anthony Sasso.

La musique l’habite, sans qu’il envisage d’en “faire carrière”. Mais voilà, Andrea a un talent indéniable, qu’il exprime bientôt en solo, sur Uomo Donna puis Immensità. “Ah ce n’est pas un EP, Immensità, nous rétorque-t-il, c’est un album ! Il est tout à fait complet et immense à mes yeux, même s’il ne comporte que quatre morceaux, comme quatre chapitres. C’est un discours sur la perte. D’un parent, d’un travail… du temps. C’est l’histoire de la vie, de la renaissance. Le 1er chapitre, c’est le moment de la journée ou de ta vie où tu es positif, car tu penses que tout est possible. Puis arrive le deuxième chapitre où la réalité te surprend, tu comprends que ce n’est pas vrai, que tout n’est pas possible. C’est douloureux… Tu te sens perdu et là, c’est le troisième chapitre. Le quatrième étant la renaissance, qui te porte jusqu’au rêve. Moi ce sont mes enfants qui me permettent de renaître.” Une vision de la journée comme de la vie que l’on partage tout à fait, les meilleurs moments étant le matin lorsque le rêve baigne encore l’esprit du champ des possibles, et la nuit qui enveloppe.

Depuis, Andrea sort des singles : Dal giorno in cui sei nato tu, en 2020, qu’il a écrite pour son fils mais dédié aussi à sa fille, née au même moment. Puis Vivo en 2021, sur lequel il cause de la nécessité de profiter de la vie avant qu’elle ne vous emporte. “Le final de la vie n’est jamais beau. Il peut être mieux qu’un autre mais il ne sera jamais beau, c’est ainsi. Il faut l’apprendre petit et non au milieu de ta vie, sinon tu risques de ne plus savoir pourquoi tu vis…”

Souffler l’amour

Ce sont des films, comme ceux de Vittorio de Sica, qui l’ont profondément marqué. “Je remercie aujourd’hui mes parents de me les avoir montrés lorsque j’étais petit. Ils ont eu le courage de m’enseigner les valeurs de l’expression artistique. Ils ne m’ont pas appris que l’art était un divertissement crétin, plutôt qu’il s’agit d’une catharsis douloureuse. C’est ça, le rôle d’une œuvre ; sinon, ça ne sert à rien.

Il embraye : “Avec le Covid-19, nous redécouvrons soudain que la vie est difficile, alors que nous avions basculé dans la publicité et son langage. Je sais que je vais mourir donc je veux être heureux de vivre, je veux faire ce que je veux faire tant que ça ne fait de mal à personne. C’est la manière juste de vivre à mes yeux. Or quand je crée de la musique, j’ai une liberté totale, immense. Je peux faire ce que je veux de façon dictatoriale, sans faire de mal aux autres. C’est génial.

Après avoir signé la bande originale des Promesses de Thomas Kruithof (avec Isabelle Huppert et Reda Kateb, prévu pour janvier 2022), Andrea planche sur le clip de son prochain single avant, potentiellement, un album l’année prochaine… On n’en saura pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il ne s’arrêtera jamais de créer de la musique, qu’il souhaite partir de Turin pour s’installer au bord de la mer, qu’il compte continuer de fumer près de 60 cigarettes par jour, qu’il exprime une exaltation plus qu’une mélancolie, que c’était l’anniversaire de sa fille le jeudi 4 décembre, ce qui l’émut beaucoup, qu’il finit par chanter dans un bar de nuit avec toute son équipe, visiblement ravi de ces deux dates au Théâtre national de Bretagne, où près de 900 personnes l’acclamèrent chaque soir. Andrea souffle l’amour, tout simplement.