Andrew Savage (Parquet Courts) : “Je veux jouer ma musique pour le maximum de gens possible”

“Le passé de New York ne cesse de disparaître”, assène Andrew Savage un soir de septembre 2023. Le cofondateur de Parquet Courts est à Brooklyn quand on lui passe un coup de fil, mais plus pour longtemps. Disons qu’il est en transit, de passage,...

Andrew Savage (Parquet Courts) : “Je veux jouer ma musique pour le maximum de gens possible”

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“Le passé de New York ne cesse de disparaître”, assène Andrew Savage un soir de septembre 2023. Le cofondateur de Parquet Courts est à Brooklyn quand on lui passe un coup de fil, mais plus pour longtemps. Disons qu’il est en transit, de passage, sans domicile fixe jusqu’à nouvel ordre dans sa propre ville, celle où il a passé les quinze dernières années de sa vie et dont les effluves auront puissamment marqué sa musique, son art et sa poésie.

Même s’il affirme ne pas envisager un monde dans lequel il ne se sentirait plus chez lui à New York, Andrew est déjà ailleurs. Un pied en Europe, il reste dans l’attente d’un visa qui lui ouvrira les portes d’une nouvelle vie en France. Prend-il ses jambes à son cou de peur que son passé de New-Yorkais ne s’efface, lui aussi, comme Manhattan dans la brume sur une photo de Neal Boenzi ?

“Quand les gens pensent à Parquet Courts, ils pensent à New York”

Les musicien·nes, et les artistes en général, ont de la chance. Ils et elles peuvent signifier un changement radical dans leur vie par l’entremise d’une œuvre qui fera office de pierre blanche et ainsi maintenir l’illusion de maîtriser un bout de leur destin en lui coupant l’herbe sous le pied. En s’attelant à l’enregistrement de Several Songs about Fire, son deuxième album en solo, six ans après Thawing Dawn (2017), Andrew met carrément le feu au plancher et se débarrasse des oripeaux d’une époque qui a rompu les ponts avec le présent, comme figée dans la mémoire, et dont il a ressenti le besoin de s’échapper pour ne plus y être ramené sans arrêt.

“À un moment donné, je me suis rendu compte qu’il était beaucoup question de feu dans ces chansons. C’est le genre de truc qui arrive quand tu commences à enregistrer un disque, tu ne sais pas réellement de quoi tu causes jusqu’à ce que tu entres vraiment dans le processus. Mais tout est là, dans le brouillard de ton inconscient. Et que fait le feu, si ce n’est dévorer le passé ? On est tous associés à des lieux, la psyché de l’endroit nous habite.

Quand les gens pensent à Parquet Courts, ils pensent à New York. C’est normal, nous venons de là, et la ville a une énorme influence sur notre travail. Mais, moi, j’aimerais n’être associé à aucun endroit pour le moment. Je veux évoluer, changer mes perceptions et la façon dont j’appréhende la pratique de l’art.”

Contrairement à son 1er album, qui ressemblait davantage à une collection de fonds de tiroirs de qualité n’ayant jamais trouvé leur place chez Parquet Courts ou dans ses projets précédents, Several Songs about Fire est davantage maîtrisé, contenu dans un espace-temps suffisamment défini pour prétendre à une certaine forme de cohérence narrative. Le 1er morceau aurait été écrit en 2020, et les autres au cours des mois qui ont suivi, sur la route, au cours de la tournée mondiale de Parquet Courts, parti défendre son dernier album, Sympathy for Life (2021).

La rencontre avec John Parish

À l’issue de ce tour, en septembre 2022, Andrew ne fait pas de break, il monte dans le tourbus avec la musicienne Cate Le Bon pour assurer, en solo, les 1ères parties de la Galloise : “Sur cette tournée, il ne s’agissait que de moi et de ma guitare. J’étais juste ce type qui ouvrait pour Cate, je pouvais me permettre d’essayer des choses. La pression était remisée au second plan. Je me contentais de monter sur scène. C’est quelque chose que je n’aurais pas pu faire avec Parquet Courts, qui suscite plus d’attente sur scène. Les gens connaissent les morceaux, chantent les paroles, tu ne peux pas modifier tes chansons comme ça”, poursuit-il.

Pour la faire courte, quelques semaines plus tard, Andrew se retrouve à Bristol pour mettre en boîte son album sous le nom de A. Savage. Ce A. lui permet de tordre légèrement la réalité, suffisamment en tout cas pour mettre la distance nécessaire entre lui et lui-même, sans compromettre la marge d’appropriation de l’auditeur·rice. Les musicien·nes aiment bien les sobriquets, ça permet de compartimenter sans jamais se renier, tout en grappillant des espaces de liberté laissés en jachère.

“On ne devrait pas avoir peur d’être influencé par ses contemporains”

En studio, il retrouve le producteur John Parish, compagnon de route historique de PJ Harvey, “un homme perspicace, à l’éthique de travail admirable”, selon les termes de Savage, ainsi que Cate (qui assure sur le disque les parties de piano et une ligne de basse reconnaissable entre mille) et la brochette de musiciens qui ont partagé la route avec eux.

Cate Le Bon est une personnalité centrale dans l’histoire de la confection de ce disque, pas seulement parce qu’elle est l’une des amies les plus proches d’Andrew, mais parce qu’elle est aussi la musicienne contemporaine qui a le plus d’influence sur lui.

Histoire d’un manteau vert

Le titre Riding Cobbles est d’ailleurs directement inspiré du travail de la Galloise, et plus particulièrement de l’album Hippo Lite (2018) de Drinks, le duo qu’elle forme avec Tim Presley, l’homme derrière le groupe White Fence. “On ne devrait pas avoir peur d’être influencé par ses contemporains, nous précise Andrew. En fait, ça devrait toujours être comme ça. Il y a plusieurs exemples dans l’histoire du rock, comme celui de Jimi Hendrix qui reprend Sgt. Pepper’s deux jours après la sortie de l’album lors de son concert à Londres. Dans le hip-hop, c’est quelque chose qui se fait beaucoup.

Mais aujourd’hui, on a tendance à mythifier les génies solitaires, on imagine les artistes qui sortent un disque en solo isolés, comme coupés du reste du monde, seuls sur leur petite île, avec leurs petites chansons brillantes. C’est une posture, une façade. La vérité, c’est que les musiciens qui jouent sur mon disque sont là pour une raison bien précise. J’aurais pu tout faire dans mon coin, mais je voulais que cet album sonne comme celui d’un groupe uni dans une même pièce. Faire un disque, ce n’est pas seulement exécuter des notes.”

“C’était le plus beau manteau que j’aie jamais vu”, se souvient-il

Several Songs about Fire est donc le résultat d’un pacte informel, le genre que l’on scelle sur un comptoir trempé de bière. Un soir, après un show à New York City, Andrew, Cate et les autres musiciens du groupe se retrouvent dans un rade de Brooklyn. Cate porte un manteau vert, qu’elle promet d’offrir à Andrew à condition que les deux entrent en studio pour faire de la musique ensemble. “C’était le plus beau manteau que j’aie jamais vu”, se souvient-il.

Dans Sailor & Lula (1990) de David Lynch, Nicolas Cage disait au sujet de sa veste en peau de serpent : “Cette veste est le symbole de mon individualité et de ma liberté personnelle.” Pour Andrew, et ce n’est pas anecdotique, elle représente ce que l’on choisit de garder et ce que l’on décide de jeter au feu. Il en fait d’ailleurs une chanson, My New Green Coat, un titre synthétisant le propos de l’album, mais qu’il a failli ne pas mettre en boîte : “On avait assez de chansons pour le disque, et puis j’ai joué la demo de ce morceau. Tout le monde était d’accord pour dire qu’il fallait à tout prix l’enregistrer.”

Mort d’un sans-abri

L’autre moment fort du disque, c’est David’s Dead. L’histoire d’un SDF qu’Andrew croisait en bas de chez lui depuis toujours, retrouvé mort un matin dans le dénuement le plus total : “En quinze ans à New York, je n’ai vécu que dans deux appartements, dont l’un pendant douze ans. La chanson cause de ça, de mon bloc, des choses qui changent. La seule constante, c’était que David était toujours là. Quand il est mort, les changements que tu ne vois pas parce qu’ils sont progressifs sont devenus évidents. Ça m’a fait réfléchir. Peut-être qu’il était temps de bouger. D’une certaine manière, je crois que je voulais l’honorer.”

David’s Dead ne cause pas seulement de la petite vie d’Andrew, elle explique aussi quelque chose de la violence aux États-Unis. Les armes qui pullulent, Trump, la violence sociale et symbolique. “L’Amérique a offert des choses au monde, mais ses racines capitalistes sont brutales, dévoile Andrew. La démocratie est fragile aujourd’hui aux États-Unis. Combien de personnes ont des flingues ? C’est effrayant.” Qu’attend-il de sa nouvelle vie ?

“Quand j’aurai fini de tourner, j’aimerais trouver un endroit que je pourrais appeler ‘home’ à nouveau”

“Je veux jouer cette musique pour le maximum de gens possible, partir en tournée. Je ne vis nulle part aujourd’hui, je ne paye pas de loyer. Je suis comme un nomade. Dans le fond, j’ai beaucoup tourné ces dernières années. Je n’ai même fait que ça, je suis donc à l’aise avec l’idée de n’être qu’un type sur la route. D’une manière générale, si tu veux être musicien aujourd’hui, ta vie dépend de ta capacité à jouer live. C’est une part fondamentale du rock’n’roll. Pour l’instant, je suis in between homes, mais quand j’aurai fini de tourner, j’aimerais trouver un endroit que je pourrais appeler home à nouveau.”

Une autre condition pour Andrew quand la question d’enregistrer ce disque est devenue de plus en plus pressante : il fallait que chacune des chansons qui le composent puisse être aussi bien jouée en groupe que seul à la guitare. Like a rolling stone. En creux, cette promesse lui garantit le pouvoir du mouvement. Comme un journal de bord ou un recueil de chroniques, Several Songs about Fire, dont le sous-titre pourrait être “Requiem pour les années 2010”, témoigne ainsi d’un temps dans l’histoire de l’Amérique et des Américain·es. En fixant cela, Andrew Savage explique aussi autre chose : le passé n’est jamais vraiment de l’histoire ancienne.

Several Songs about Fire (Rough Trade Records/Wagram). Sortie le 6 octobre. En concert à La Maroquinerie, Paris, le 15 février.