Angela Schanelec, une grande cinéaste allemande à découvrir sans attendre

Pour évoquer le cinéma d’Angela Schanelec et lui donner la place centrale qu’il mérite dans le cinéma d’auteur contemporain, il faut d’abord surmonter un obstacle : apprendre à parler d’une œuvre qui a fait de la discrétion un impératif catégorique...

Angela Schanelec, une grande cinéaste allemande à découvrir sans attendre

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Pour évoquer le cinéma d’Angela Schanelec et lui donner la place centrale qu’il mérite dans le cinéma d’auteur contemporain, il faut d’abord surmonter un obstacle : apprendre à parler d’une œuvre qui a fait de la discrétion un impératif catégorique kantien. On peut alors commencer par le parcours de la cinéaste : née à Aalen en Allemagne en 1962, Angela Schanelec s’affirme comme la cheffe de file de la Nouvelle Vague du cinéma allemand, aussi appelée “école de Berlin” (à laquelle appartiennent également des cinéastes comme Christian Petzold, Maren Ade du Ulrich Köhler).

Bien qu’elle fût la première de la bande à s’exporter au Festival de Cannes, en 1998 à Un certain regard avec Des places dans les villes, son œuvre n’a jamais suscité en France (où un seul de ses films a jusque-là été distribué, Marseille, en 2005) les saillies d’intérêt qu’ont connues ses camarades Maren Ade, avec Toni Erdmann (2016), et Christian Petzold, avec Barbara (2012) et plus récemment avec Ondine (2020).

Triangulations amoureuses embarrassées et crises existentielles

Cela pourrait évoluer puisque la cinéaste a bénéficié ces deux dernières années d’un double éclairage : un Ours d’argent de la meilleure réalisation en 2019 pour son dernier film, J’étais à la maison, mais… – qu’on espère voir en salle cette année –, et une rétrospective au FID de Marseille en 2020.

A cela s’ajoute la parution, cette semaine, d’un coffret comprenant ses quatre premiers longs métrages, réalisés entre 1995 et 2007, et trois courts réalisés entre 1991 et 1992. Cette sortie physique s’accompagnera de celle, en ligne cette fois et sur la nouvelle plateforme de Shellac, de Ma vie lente (2001), étrangement oublié dans le coffret.

Un monolithe impénétrable et compact, tendu par une rigueur de mise en scène qui rappelle l’œuvre de Chantal Akerman

Quasi exclusivement centrés sur des personnages principaux féminins, ses films sont faits de triangulations amoureuses embarrassées (Le Bonheur de ma sœur, 1995, Marseille, 2004), de parenthèses spatiales entre la France et l’Allemagne, à la poursuite d’idylles amoureuses avortées (Des places dans les villes, Marseille), d’observation des mécanismes de dissolution familiale (Après-Midi, 2007) et de crises existentielles conjuguées à un profond sentiment de solitude (Marseille, Ma vie lente).

Si le cinéma d’Angela Schanele est jusque-là resté assez confidentiel, c’est parce qu’il est un monolithe impénétrable et compact, tendu par une rigueur de mise en scène qui rappelle l’œuvre de Chantal Akerman. En plus de jouer dans certains de ses films, comme son homologue belge, elle explore des réalités toujours fragmentées et ouvertes à l’imprévu, dans le sens où sa caméra, obéissant à des règles de composition au cordeau, semble attendre quelque chose. Mais quoi ?

>> A lire aussi : Chantal Akerman, la cinéaste de l’attention, mise à l’honneur par LaCinetek

Dans Marseille, l’héroïne du film, interprétée par Maren Eggert (actrice révélée par Schanelec et qui vient de remporter le premier prix d’interprétation non genré à la Berlinale pour I’m Your Man de Maria Schrader), est interrogée par un policier qui lui demande ce qu’elle photographie. S’ensuit un long silence que l’agent rompt par : “C’est trop compliqué, comme question ?”

Si elle finit par lui offrir une réponse (“des rues”), ce silence pudique de la photographe est aussi celui de la cinéaste qui la filme. Photographier/filmer des rues, c’est tenter de capturer la trivialité même, l’individualité qui se noie dans la masse, le mouvement perpétuel. Mais c’est aussi une réponse trop laconique pour être suffisante.

Le cinéma de Schanelec, débarrassé de toute ostentation et sillonné par un minimalisme quasi monacal, se refuse à la psychologie à l’emporte-pièce. Il s’intéresse à ce qui ne se dit pas et se montre à peine. Au début d’Après-Midi, un jeune écrivain et son oncle discutent au bord d’un lac. Le premier demande au second : “Tu crois en quoi ?” Il lui répond : “A des moments isolés et souvent inattendus.”

Une vie qui se tricote selon les règles du hasard

Derrière ces deux lignes de dialogue se cache une partie du secret du cinéma d’Angela Schanelec, cinéaste obsédée par l’impermanence de l’existence. Ce tropisme pour la fugacité lie les différentes thématiques de ses films : le voyage, les rencontres, la solitude, le langage, le sentiment amoureux et l’usure du temps.

Les films d’Angela Schanelec traquent la façon dont la vie se tricote selon les règles du hasard, de l’imprévu et de l’impalpable. On y entre donc avec une forme d’inquiétude et de douce mélancolie atonale. Mais loin de se complaire dans une angoisse existentielle infinie, la plus grande qualité de son cinéma est la naissance d’un puissant sentiment de sérénité. Apprendre à se colleter avec la vie, tout en sachant que son sens nous sera toujours refusé, tel est le sublime projet de l’œuvre d’une cinéaste majeure, dont le talent discret bénéficie enfin de l’attention qu’il mérite. 

Coffret Angela Schanelec 1991-2007 (Shellac) En DVD 

Ma vie lente (All., 2001, 1 h 22). Sur le Club Shellac du 19 mars au 15 avril