“Annette” de Leos Carax raconté par Sparks
Vous avez rencontré Leos Carax à Cannes il y a huit ans. Que s’est-il passé ensuite ? Russell Mael — Nous étions à Cannes en 2013 dans l’espoir de trouver un financement afin de faire un film à partir de The Seduction of Ingmar Bergman, la...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Vous avez rencontré Leos Carax à Cannes il y a huit ans. Que s’est-il passé ensuite ?
Russell Mael — Nous étions à Cannes en 2013 dans l’espoir de trouver un financement afin de faire un film à partir de The Seduction of Ingmar Bergman, la pièce chantée que nous avions écrite pour la radio nationale suédoise [sous la forme d’un album, sorti en 2009]. Leos était là. Nous savions qu’il avait utilisé une de nos chansons, How Are You Getting Home ?, dans Holy Motors. Comme nous sommes très fans de ses films, nous étions flattés et voulions absolument le rencontrer.
Nous nous sommes immédiatement bien entendus, il adore nos chansons depuis toujours et nous avons passé un moment à discuter d’un tas de sujets. Sans évoquer une éventuelle collaboration. C’est seulement lorsque nous sommes retournés à Los Angeles que nous avons eu l’idée de lui envoyer ce projet sur lequel nous étions en train de travailler, et qui devait être le futur album de Sparks. Il a immédiatement trouvé intéressante cette histoire, baptisée Annette, et nous a demandé de lui laisser une ou deux semaines de réflexion. Puis il nous a rappelés pour nous dire qu’il voulait en faire son 1er film musical.
Vous étiez surpris ?
Russell — Nous étions enchantés ! Le parcours d’Annette venait de prendre un tournant complètement inattendu. Nous avions écrit ce projet dans le but d’en faire un spectacle sur scène autour de trois personnages uniquement – moi, Ron et une chanteuse comédienne. Mais avec Leos, cela a pris une tout autre dimension.
Quel fut son apport, à partir de ce que vous aviez écrit ?
Ron Mael — Il a mis au service de cette petite histoire son inventivité visuelle très singulière. Il a amené tout ça bien au-delà de ce que nous avions pu imaginer au départ, dans la façon dont il a conçu la mise en scène et travaillé la photographie, les décors, les effets spéciaux. Il a eu envie d’embellir des éléments de l’histoire originelle, et des choses relatives aux personnages qu’il a rendus plus complexes, mais dans l’ensemble, il a conservé l’histoire telle qu’elle existait il y a huit ans. Il a aussi apporté à ce projet son incarnation, à travers Adam Driver, Marion Cotillard et Simon Helberg, et nous avons pu apprécier la manière extraordinaire avec laquelle il dirige les acteurs. C’était très instructif pour nous.
Le film démarre comme une comédie musicale, mais une fois passée la 1ère scène dans laquelle vous apparaissez, on quitte ce genre pour rejoindre une forme plus proche de l’opéra.
Russell — Quand nous avons présenté le projet à Leos, nous avions déjà fabriqué des affiches sur lesquelles il était clairement inscrit : “Annette, un opéra par Sparks”. Dans notre esprit, c’était vraiment l’intention, les dialogues sont d’ailleurs écrits selon une forme opératique.
Nous ne voulions pas d’une comédie musicale façon Broadway ou comme dans les films hollywoodiens. On est loin de West Side Story. Nous en avons beaucoup discuté avec Leos, nous étions d’accord sur ce point : il ne fallait pas de chorégraphie avec cent figurants qui débarquent de nulle part, mais des mouvements qui épousent au contraire des gestes réalistes.
Ron — Leos était le metteur en scène idéal pour ça. Il n’avait jamais fait de film musical mais la musique était déjà présente dans ses films de façon très personnelle. Nous savions que sa compréhension de la musique dans une perspective cinématographique collait exactement avec ce que nous avions en tête.
Vous avez toujours montré un grand intérêt pour le cinéma français, notamment pour la Nouvelle Vague. C’était important pour vous de travailler avec un réalisateur français sur ce film ?
Russell — Il y a quelque chose de l’ordre de la rébellion que l’on trouve dans le cinéma français de la Nouvelle Vague et dont Leos porte l’héritage, c’est évident pour nous. Et en tant que musiciens, dans le monde de la pop, nous avons le sentiment d’avoir fait évoluer le groupe avec cette même liberté, dans le sens où nous avons créé des choses selon nos propres codes.
“À mes yeux, il s’agit d’un pur film français tourné en langue anglaise” (Ron)
Si on regarde la filmographie de Leos et ce que nous avons essayé de faire en musique, il y a énormément de points de convergence. Ce n’est donc pas un hasard si on se retrouve à travailler sur un projet commun, qui est aussi un film musical qui invente ses propres règles.
Ron — À mes yeux, il s’agit d’un pur film français tourné en langue anglaise.
Par le passé, vous avez connu deux grosses désillusions au cinéma avec des projets avortés. Carax est aussi réputé pour ses projets qui s’enlisent… Vous n’avez pas eu peur que la malédiction se reproduise ?
Russell — (rires) Nous avions entendu causer de ça, en effet ! Nous avons fait confiance à Leos car la passion qu’il a immédiatement mise dans ce projet était totale. Rien n’aurait pu le faire renoncer. Cela ne veut pas dire que Jacques Tati ou Tim Burton, avec qui cela avait échoué auparavant, n’étaient pas passionnés, mais cette fois les choses se sont très vite mises en route.
Nous sommes venus à Paris pour travailler avec lui, il nous a rendu visite à L.A., on sentait qu’il était totalement investi, et, malgré les déboires qu’il a pu connaître par le passé, on savait qu’il allait se battre jusqu’au bout pour faire exister ce film. Et il l’a fait.
Le choix des acteurs et des actrices a-t-il été déterminant pour l’existence du film ?
Russell — C’est encore une chose que l’on doit à Leos. Quand il a amené Marion et Adam, ce qui a contribué à cimenter financièrement le projet, nous étions entièrement rassurés. Adam Driver a été très impliqué pendant cinq ans, il a coproduit le film, il est venu ici, dans notre studio, pour discuter de la musique, de la façon dont il allait pouvoir s’approprier le chant.
Il a beaucoup travaillé avec nous, même si, en parallèle, il devait tourner un épisode de Star Wars. Ce genre de projet fragile comme Annette peut capoter lorsqu’un acteur vedette renonce parce qu’il a un tournage plus important, mais, avec Adam ou Marion, il n’a jamais été question de ça.
Le film est présenté à Cannes cette année, huit ans après cette 1ère rencontre, au même endroit, avec Leos Carax. Cela ressemble à un miracle pour vous ?
Russell — C’est un conte de fées ! Je nous revois encore marcher depuis le Palais des Festivals en direction d’un café situé de l’autre côté du Vieux Port, parce que Leos aimait bien cet endroit. Il y a eu tout de suite cette affection qui s’est installée entre nous, une admiration mutuelle qui s’est exprimée alors que rien n’était encore prévu. On aurait pu en rester là, mais aujourd’hui il y a ce film qui existe. Un miracle, c’est le bon mot. Je valide.
Annette de Leos Carax, avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg (Fr., E.-U., Mex., 2020, 2 h 19). Sortie le 6 juillet