Après la crise du covid-19, comment rendre la haute fonction publique plus opérationnelle

Agents publics de différents horizons, entrepreneurs publics et entrepreneurs sociaux, élus, directeurs et directrices d’associations ou d’écoles, ou encore représentants de chambres consulaires, nous sommes toutes et tous engagés par nos métiers...

Après la crise du covid-19, comment rendre la haute fonction publique plus opérationnelle

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Une banderole de l'artiste Regis Leger alias Dugudus remerciant le personnel de santé, les commerçants, la sécurité nationale, le personnel de la poste et les agriculteurs au moment du premier confinement, le 16 avril 2020 à Paris. (Photo by Chesnot/Getty Images)

Agents publics de différents horizons, entrepreneurs publics et entrepreneurs sociaux, élus, directeurs et directrices d’associations ou d’écoles, ou encore représentants de chambres consulaires, nous sommes toutes et tous engagés par nos métiers dans une forme d’action publique dont le défi est d’améliorer la vie de nos concitoyens. 

À ce défi s’en ajoute un autre, souligné par la création bienvenue des concours “talents” d’accès à la fonction publique: il est crucial que l’administration représente et incarne ce qu’est le pays, dans toute sa diversité sociale et territoriale. Sans quoi, comment vraiment remettre en route l’ascenseur social? Et comment conduire sur le chemin du progrès un pays auquel on ne ressemblerait pas? 

Ce besoin de transformation de l’administration revêt une forte dimension culturelle. Pour changer le réel, nous gagnerons à avoir davantage de hauts fonctionnaires qui ont pratiqué ce réel, notamment avec “leurs mains” et “leur cœur”, pour faire écho au dernier livre du penseur anglais David Goodhart (La tête, la main et le coeur) qui critique le profil monolithique des élites, issues trop exclusivement de parcours académiques d’excellence. 

 

Il faut refonder les concours administratifs afin qu’ils prennent mieux en compte les acquis de l’expérience et facilitent la sélection de profils moins académiques.

 

Bien sûr, notre République doit beaucoup aux grands commis de l’État qui ont su penser et mettre en œuvre institutions et protections. Les libertés individuelles restent très protégées par les juridictions administratives; les amortisseurs sociaux sont parmi les plus importants et efficaces au monde; notre monnaie est solide; nos infrastructures sont robustes; nos systèmes de santé et d’éducation, bien que soumis à rude épreuve, livrent chaque jour une somme de services que de nombreux pays nous envient. Tout ceci contribue à la compétitivité et à la cohésion de notre nation. 

Mais l’esprit de l’ordonnance du 9 octobre 1945, à l’origine de la création de l’ENA, s’est dévoyé au fil du temps. Démocratiser la haute fonction publique, contribuer au redressement du pays, moderniser l’État et ses élites en mettant l’accent sur les capacités managériales et sur l’idée d’école d’application. Telles étaient les ambitions de l’école. Mais à trop vouloir inculquer “les codes” propres à certains corps, cette vision initiale s’est peu à peu perdue dans des pratiques conservatrices plus que progressistes. Cela a pu conduire à l’idée, un temps envisagée, de supprimer l’ENA. Non pas parce que former des hauts fonctionnaires est inutile, bien au contraire. Mais parce que jusqu’à présent l’école –et le système de formation qui y conduit- n’a pas réussi à se démocratiser et à s’ouvrir suffisamment. 

Nous traversons depuis 30 ans un enchaînement continu de crises, au premier rang desquelles la crise démocratique et la crise de l’action publique constituent probablement les plus dangereuses. Accélérer la transformation de nos institutions et de notre culture administrative est donc une priorité qui requiert de s’appuyer sur des ressources expérimentées, disposant d’une connaissance du terrain. Pour que la puissance publique puise toujours plus de la puissance du terrain. 

Cela suppose de redonner aux carrières publiques une attractivité à la hauteur de la quête de sens exprimée par les générations présentes aujourd’hui et demain sur le marché du travail. Ce n’est pas qu’une question d’argent! Il existe une multitude de leviers à actionner pour que l’État, premier employeur et première multinationale de France, puisse de nouveau attirer une nouvelle génération de professionnels aguerris, matures sur leur choix de rejoindre le service public et en même temps acculturés à la résolution de problèmes concrets. 

En 2021, des ordonnances auront à faire évoluer les règles et les pratiques en termes de recrutement, de formation et de gestion des carrières dans la haute administration. C’est l’occasion d’affirmer qu’aux côtés de contractuels ou de consultants, il reste nécessaire de cultiver cette vision de fonctionnaires de carrière qui assurent une continuité dans la conduite de l’action publique. 

 

Il faut continuer à approfondir le caractère hybride de la formation: nourrir encore davantage l’alternance entre savoirs théoriques et pratiques.

 

Pour nourrir cette vision, plusieurs actions doivent être engagées en amont des concours administratifs, pendant la formation et dans ce qui constitue le déroulement de carrière. 

- Il s’agit d’abord de mieux expliquer ce que sont ces carrières publiques -notamment à celles et ceux qui ont un parcours professionnel dans le privé- à quels métiers elles correspondent et quelles perspectives elles offrent. Pour ces praticiens, il faut aussi refonder les concours administratifs afin qu’ils prennent mieux en compte les acquis de l’expérience et facilitent la sélection de profils moins académiques -mais pas moins brillants- sans pour autant renoncer à l’ambition d’excellence que commande l’exercice de fonctions particulièrement exigeantes. Renforcer les cursus de préparation pour mieux mentorer et accompagner les profils qui ont le moins “les codes”, mais qui connaissent justement le mieux le terrain est aussi fondamental. 

- Tout comme l’est le fait de continuer à approfondir le caractère hybride de la formation: nourrir encore davantage l’alternance entre savoirs théoriques et pratiques; renforcer la compréhension et la coopération entre mondes du public et du privé; accentuer l’acquisition des compétences dites soft skills ainsi que d’une culture scientifique et technique à la hauteur des imbrications actuelles entre politiques publiques et technologie; enfin la possibilité pour chacun de se construire des spécialisations et “d’entreprendre” son parcours de formation. En jeu: sélectionner et former davantage d’intrapreneurs publics. 

- Enfin, il devient essentiel de refonder les processus d’affectation: les bons profils sur les bons postes! L’accès à des postes en administration à fortes responsabilités doit évidemment davantage tenir compte des compétences et de l’expérience. 

La pandémie actuelle révèle que notre pays a besoin de plus de hauts fonctionnaires praticiens pour répondre concrètement aux problèmes du moment. Soignants, logisticiens, entrepreneurs sociaux, responsables associatifs, inspecteurs du travail, journalistes, policiers, professeurs, professionnels du sport, spécialistes du traitement de données… Gageons qu’avec davantage de ces profils au sein des postes de cadres dirigeants de l’administration, l’efficacité et l’efficience de l’action publique se trouveront encore davantage renforcées.  

 

Les cosignataires:

Guilluy Thibaut, Haut Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises
Racon Bouzon Cathy, Députée 5e circonscription Bouches du Rhône
Gomez Roland, Président fondateur Groupe Proman, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la région Provence-Alpes Côte d’Azur.
Kostomaroff Anne, Procureur général près la Cour d’appel de Limoges
Bacri Clémentine, Conseillère parlementaire, ancienne avocate, presidente wingsforscience
Balestra Veronique, Adjointe à la sous direction aux affaires générales, Ministere de la transition écologique, SG ENA3C
Ballereau Michel, Pneumologue, Président du comité stratégique de normalisation santé et action sociale (Afnor), VP ENA3C
Barthélémy Eric, Intrapreneur public, la plateforme de l’inclusion
Blanchard Sandra, Avocate associée chez SBV Avocats
Chevalier Christophe, PDG Groupe Archer
Choukroun Laurent, Directeur général Synergie Family
Choux Patrick, Directeur Général Groupe Id’ées
Connan Jean Francois
Cosserat Sandrine, Maire de Volonne (04), Presidente des communes forestières du 04
Cortey Linda, Administratrice territoriale, région Grand Est
Cottinet Thomas, Directeur d’écolab au ministère de la transition écologique et solidaire
Deleforge Pierre, Entrepreneur social, responsable de la plateforme de l’inclusion

De Cherisey Laurent, entrepreneur social, auteur
Fretin-Brunet Clothilde, Haut fonctionnaire territorial
Gaucherand Damien, Directeur Innovales / Vice président de la CRESS Auvergne Rhône Alpes
Gauvan Benoit, Maire d’Oraison (04), Agriculteur, Référent LREM 04
Ghezali Tarik, La Fabrique du Nous
Lamblin Philippe, Président BGE,
Lecadre Alix, Administratrice vicile, VP ENA3C
Myard Olivier, Haut fonctionnaire international, Trésorier ENA3C,
Pache Anne Claire, Professeure, Directrice de la stratégie et de l’engagement sociétal ESSEC
Prince-Robin Sarah, Chargée de mission stratégique, Ministère de la Transition écologique, Membre du Bureau de Catalyst 2030
Rieu Floriane, Directrice La Table de Cana Marseille
Sassolas Clémentine, Directrice Association Départ
Schatzman Jérôme, Directeur exécutif de la Chaire d’innovation et d’entrepreneuriat social de l’ESSEC
Trellu Kane Marie, Présidente Exécutive Unis-Cité, membre du CESE (conseil économique social et environnemental), Fellow ashoka

 

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