Après l’halluciné “Midsommar”, Ari Aster nous stupéfie à nouveau avec “Beau Is Afraid”

Propulsé par le succès d’Hérédité (2018), qui revisitait avec maestria le concept éprouvé de la maison hantée et du récit de possession, acclamé pour Midsommar (2019), trip hallucinatoire régénérant les codes de la folk horror, Ari Aster est...

Après l’halluciné “Midsommar”, Ari Aster nous stupéfie à nouveau avec “Beau Is Afraid”

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Propulsé par le succès d’Hérédité (2018), qui revisitait avec maestria le concept éprouvé de la maison hantée et du récit de possession, acclamé pour Midsommar (2019), trip hallucinatoire régénérant les codes de la folk horror, Ari Aster est devenu, en deux longs métrages, l’un des plus sûrs espoirs du cinéma d’horreur contemporain, et l’incubateur en chef de ce mouvement informel qu’on qualifie (pas toujours très adroitement) d’elevated horror.

Déjouant les pronostics, le cinéaste de 36 ans, toujours sous pavillon A24 – la très hype société de production qui le couve –, revient avec un film qui dévie perceptiblement du genre qui l’a fait connaître, ou, plus exactement, le diffracte en suffisamment de faisceaux pour réfuter l’appellation de “film d’horreur”, elevated ou pas.

Trois heures de spéléologie dans les tréfonds d’un cerveau perturbé

D’horreur, il est pourtant largement question dans Beau Is Afraid, film fou aux allures de cauchemar éveillé, qui nous emprisonne dans la boîte crânienne de son héros dérangé, du genre ado mal dégrossi, inadapté au monde impitoyable dans lequel il tente de survivre. C’est Beau (Joaquin Phoenix, énorme), vieux garçon rongé par des angoisses qui avoisinent la maladie mentale, et qui consigne sur le divan d’un psy les mommy issues qui le paralysent. Alors, quand, par un concours de circonstances tragicomiques, l’infortuné Beau rate l’avion supposé l’emmener voir sa mère, s’amorce un long voyage vers le foyer maternel, comme un accouchement à l’envers, où il s’agira de remonter le fil de traumas fondateurs pour débusquer l’origine d’un mal-être qui cherche continuellement son objet.

Ne reculant devant aucun excès, le film s’ouvre justement – il fallait oser – sur l’accouchement de Beau, filmé du point de vue du nourrisson, comme l’annonce de ce qui va suivre : trois heures de spéléologie dans les tréfonds d’un cerveau perturbé, figurée en une odyssée paranoïaque au dénouement freudien, qui entrelacent les genres et les registres pour les émulsionner en une substance non identifiée.

De la comédie noire à un semblant de fable pastorale

Si Beau Is Afraid n’est pas, à proprement causer, un film d’horreur (puisque rien n’y engage un phénomène surnaturel), Ari Aster y incorpore son goût pour les visions traumatiques, parfois si outrancièrement dérangeantes qu’elles frisent la comédie potache – à l’image du 1er mouvement, prodigieux d’inconfort, lorsque Beau se retrouve emprisonné à l’extérieur de son appartement miteux, dans un New York délabré et contaminé par une vague de violence insensée, qu’on identifie comme la projection baroque des angoisses qui peuplent son esprit.

S’ensuit une épopée convulsée à travers une banlieue cossue où le réalisateur torpille allègrement la famille traditionnelle américaine dans un déluge de visions bizarroïdes, puis une déambulation feutrée dans une forêt qu’occupe une troupe de théâtre clandestine. Passant de la comédie noire à un semblant de fable pastorale, non sans quelques détours horrifiques dont il a le secret, Aster mène sa barque à travers ce labyrinthe mental inextricable jusqu’à aboutir au dernier mouvement du film, en forme de retour à Ithaque pour son Ulysse aliéné : la confrontation paroxystique à sa mère, et à des névroses si profondément remisées dans sa psyché qu’elles finissent par hanter le grenier familial.

Cinéaste du traumatisme

Si cette dernière partie flageole sous le poids d’un symbolisme freudien parfois sursignifiant, elle parachève une œuvre démesurée, souvent hypnotique, qui agit chez les spectateur·rices comme une succession de chocs anaphylactiques.

Cinéaste du traumatisme (il l’a prouvé avec ses deux 1ers longs), Ari Aster, qui manie les mindfucks avec métier, confère à son film des visions proprement inouïes, comme sculptées dans la matière spongieuse de nos cauchemars, ou plus exactement de ce qui en subsiste une fois réveillé·e : ces fragments qui entremêlent souvenirs lointains et peurs ancestrales, et entravent secrètement le flux de nos pensées après une nuit agitée.

Monstrueux, outrancier, virtuose, excessif : Beau Is Afraid cultive les hyperboles et empile les morceaux de bravoure, mais garde le cap pourtant fragile de son ambition infuse : pénétrer au plus profond des angoisses existentielles qui nous habitent, et leur donner une forme. Après l’halluciné Midsommar, Ari Aster refait le coup, et nous stupéfie encore.

Beau Is Afraid d’Ari Aster, avec Joaquin Phoenix, Zoe Lister-Jones, Parker Posey (É.-U., 2023, 2 h 58). En salle le 26 avril.