Astrud Gilberto, l’éternelle “Girl from Ipanema”
“Once upon a summertime if you recall/We stopped beside then in a flower stall/A bunch of bright forget-me-nots/ Was all I let you buy me…” C’est une reprise de la Valse des Lilas de Michel Legrand et des frères Barclay dont les artistes Anglo-saxons...
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“Once upon a summertime if you recall/We stopped beside then in a flower stall/A bunch of bright forget-me-nots/ Was all I let you buy me…” C’est une reprise de la Valse des Lilas de Michel Legrand et des frères Barclay dont les artistes Anglo-saxons sont friands. Ici, elle est mélancolique à s’évanouir sous un soleil de plomb, d’un sourire triste – d’ailleurs, l’album précédent d’Astrud Gilberto s’appelait The Shadow of your Smile. Vite, la bossa reprend des couleurs sur Felicidade, l’un des onze joyaux de l’album Look to the Rainbow, arrangé par Gil Evans (chic !) et produit par Creed Taylor – proche de Antonio Carlos Jobim et du couple Gilberto avec qui il a sorti le cultisme The Girl of Ipanema.
Nous sommes en 1966, Astrud a divorcé de João deux ans plus tôt. Il l’avait trompée avec une étudiante (et future chanteuse) lors d’une tournée, mais qu’importe, c’est elle la fautive pour la population brésilienne. Et puis il faut se méfier d’un regard et d’une voix aussi angéliques, fruits d’un père allemand, professeur de langues, et d’une mère brésilienne, entre autres multi instrumentiste. Même si, née à Bahia, Astrud Weinert a grandi à Rio de Janeiro et a reçu une éducation éclairée autant que polyglotte. Des décennies plus tard, elle enregistrera même en japonais pour sa fan base asiatique !
Elle n’a pas vingt ans lors qu’elle tombe amoureuse du musicien João Gilberto et l’épouse aussi sec. Si elle ne se considère pas chanteuse, elle l’accompagne parfois sur scène, dans des facs brésiliennes. Un an plus tard, elle accouche de leur fils Marcelo. Ensemble, ils partent aux États-Unis au début des années 1960. Et c’est là qu’elle enregistre, dans les studios new-yorkais A&R, une reprise de Garota de Ipanema, trésor ciselé par Jobim et Vinícius de Moraes, hypnotisés par une jeune fille passait souvent devant un café où ils avaient leurs habitudes, près de la plage Ipanema. Le morceau doit permettre à la bossa-nova de Getz et Gilberto de conquérir le marché américain. À ses côtés, son époux Gilberto, Stan Getz et Creed Taylor. Lorsque celui-ci demande qui peut donner la réplique à Gilberto en anglais, Astrud lève la main. Le charme agit aussitôt, et on lui demande d’enregistrer Corcovado. De là à la créditer sur Getz-Gilberto, il n’y a qu’un pas que ces messieurs ne franchissent pas.
Or, sans elle, pas de succès pour The Girl from Ipanema. Et il est retentissant, la voix d’Astrud fait le tour du monde et s’impose comme l’emblème d’une musique souple, rythmique, innocente et sensuelle. La bossa-nova, en deux mots. Chacun veut s’approprier le fait d’être l’heureux initiateur de cette gloire inattendue, certes, mais pas illogique au vu de l’éducation musicale reçue par « Madame » Gilberto. Laquelle remet les pendules à l’heure, en 1982 : “Le plus drôle, c’est qu’après mon succès, on disait que Stan Getz ou Creed Taylor m’avaient ‘découvert’, alors qu’en fait, rien n’est plus éloigné de la vérité. Je suppose que cela les a rendus importants d’avoir été veux qui avaient eu la ‘sagacité’ de reconnaître le potentiel de mon chant. Si je suppose que je devrais être flattée par l’importance qu’ils y accordent, je ne peux pas m’empêcher d’être embarrassée par ce mensonge.” Mais la légende est inscrite dans le marbre : jamais elle n’avait jamais pensé à chanter, on l’a décidé pour elle !
Pour une soi-disant novice, il n’empêche qu’elle réagit drôlement vite. En 1965, Astrud G. sort un 1er album solo, écrin plus qu’honorable à son timbre cristallin. Ne choisissant pas entre le portugais et anglais (notamment la reprise de And Roses and Roses d’Andy Williams), The Astrud Gilberto Album est majoritairement signée par João Gilberto, servies par le Guildhall String Ensemble. Quelques mois tard, après un épatant The Shadow of your Smile conduit sous la houlette de Jobim, place à Look to the Rainbow, où la bossa a rarement été aussi près du cœur d’un jazz décharné, parfois déguisé en ballade.
S’ensuivent de nombreux disques tissés d’une soie prompte au déchirement, d’une douceur douloureuse et pourtant réconfortante. Mais, comme elle l’affirme, la larme à l’œil sur la pochette de l’album du même nom, I Haven’t Got Anything Better to Do (1969). Même si elle est payée des clopinettes : 120 dollars pour The Girl from Ipanema qui en a remporté des millions – sans doute grâce à la mesquinerie de Stan Getz, avec qui on lui prêtera une liaison mais dont elle gardait un très, très mauvais souvenir. Ou une moitié de salaire pour le superbe Now, en 1972, qu’elle a pourtant produit et dont elle est la principale autrice.
Elle qui réussit à s’accomplir en studio en dépit d’une industrie musicale misogyne n’a rien de mieux à faire que de proposer une musique dont elle connaît pourtant la finesse et la matière par cœur. Elle collabore avec Chet Baker (superbe Far Away en 1977), Quincy Jones et d’autres nombreux admirateurs transis tels que George Michael, avec qui elle chante Desafinado, et, plus récemment, Étienne Daho, qui l’invite magnifiquement sur Les Bords de Seine, en 1996. On lui paye enfin tribut pour ce qu’elle a apporté à la bossa-nova : une texture inédite, un twist délicat.
Elle prend ses distances avec la scène, revient parfois enregistrer un disque, fonde avec son frère et son fils sa propre maison de production, Gregmar, afin de garder le contrôle sur ses finances… et sortir un album hommage à Jobim. Puis, au début des années 2000, après avoir été (enfin) intronisée au Latin Music Hall of Fame, Astrud Gilberto se retire à Philadelphie – où elle rédige un essai plaidoyer pour les animaux : Animals, they need our help! Elle y enregistrera également son tout dernier album studio, Jungle. Hormis une reprise de Burt Bacharach et Hal David, dont elle affectionnait le corpus, elle en écrivit toutes les chansons. Où résonne, quasi sans âge, translucide de grâce, un timbre inégalé.