Au cœur du nouveau projet fou de Bertrand Mandico

“J’adore filmer des gens qui font semblant de mourir. Lorsque je fais des castings avec des non-acteurs, je leur demande systématiquement : ‘Et maintenant, vous mourez !’ Je fais semblant de leur tirer dessus ou je tape dans mes mains et il...

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“J’adore filmer des gens qui font semblant de mourir. Lorsque je fais des castings avec des non-acteurs, je leur demande systématiquement : ‘Et maintenant, vous mourez !’ Je fais semblant de leur tirer dessus ou je tape dans mes mains et il ou elle s’effondre à sa façon. J’ai accumulé une collection de gens qui improvisent ainsi leur mort. Je trouve ça très beau, touchant, fragile et révélateur, surtout quand les gens meurent maladroitement. Il y a quelque chose de l’ordre de l’abandon, une danse de l’effondrement, accompagnée de visages et de regards éperdus”, nous déclare Bertrand Mandico lorsque nous le rencontrons sur le tournage d’une des arborescences filmiques d’un projet tentaculaire autour de Conan le Barbare, œuvre fondatrice de l’heroic fantasy, déjà déclinée en une série de films portés par Arnold Schwarzenegger.

La mort, en plus d’être au cœur du mythe du barbare sanguinaire et du dernier film en date de Mandico, Ultra Pulpe, s’est imposée à ce nouveau projet qui n’a cessé de muter, péricliter, pour mieux renaître et se démultiplier, tel un monstre à qui on couperait une tête pour que deux repoussent instantanément sur le moignon encore sanglant. Le projet Conan est ainsi passé d’une expérience déambulatoire dans le Théâtre Nanterre-Amandiers à un ensemble de quatre films de natures diverses et tournés entre Paris et le Luxembourg, en passant par une pièce de théâtre.

D’abord, une série d’installation entre tournage live, conférences et des performances

C’est dans la lignée de ses invitations à Jean-Luc Godard et à Apichatpong Weerasethakul que Philippe Quesne, ancien directeur des Amandiers, a proposé à Bertrand Mandico une carte blanche dans les espaces du théâtre. En pleine postproduction de son prochain film, After Blue (ou Paradis sale), pressenti pour Cannes 2021, le réalisateur imagine une série d’installations mélangeant le tournage live d’une version féminisée de Conan, des conférences et des performances.

Balayant le virilisme associé aux films de Schwarzy (dont Mandico aimait bien “les bizarreries et la dimension reptilo-sexuelle, tout en ayant du mal avec l’acteur et le masculinisme primaire”), ce projet de méta-cinéma nous plonge dans le tournage d’un film sur la vie d’une Conan qui est “barbare avec elle-même, qui ne cesse de tuer sa propre jeunesse, de se corrompre et de se débattre avec un romantisme échevelé”, selon les mots du metteur en scène. Mais les espoirs de Mandico sont douchés par la situation sanitaire empêchant la libre circulation des personnes dans un espace clos. C’est la 1ère mort du projet Conan et sa 1ère renaissance.

Un spectacle adapté à la pandémie

La direction du théâtre lui demande de l’adapter au dispositif de la grande salle des Amandiers. Il échafaude alors un spectacle racontant le tournage de Conan la Barbare et se déniche un alter ego féminin : Octavia Fosse (en hommage à Que le spectacle commence, de Bob Fosse, 1979), réalisatrice incarnée par le critique et spécialiste du cinéma de genre Christophe Bier. Le casting est complété par plusieurs actrices jouant Conan à travers les âges (Claire Duburcq, Camille Rutherford, Sandra Parfait et Karoline Rose), Elina Löwensohn dans le rôle d’un chien des enfers appelé Rainer (en hommage à Fassbinder) et Pacôme Thiellement dans celui de Lolita Lovecraft.

Ce dernier interprète une conférencière (l’essayiste a pour l’occasion écrit un texte qui, selon ses mots, explore “l’idée de damnation, ce sentiment que l’être humain est piégé sur terre”) qui se produira dans l’un des trois espaces de mise en scène imaginés par Mandico pour le spectacle. En plus de la scène où est planté un décor de carton-pâte aussi épique qu’apocalyptique, fait de roches sombres, de cadavres en décomposition, d’une piscine de sang et recouvert de cendres, il a imaginé deux petites estrades à cour et à jardin, l’une dédiée aux coulisses du spectacle (les comédien·nes devaient venir s’y faire costumer et maquiller) et l’autre à la conférence de Thiellement.

Renaissance à tout prix

Les conditions sanitaires ne permettant pas la réouverture des théâtres dans une temporalité où ce spectacle, qui s’annonçait grandiose, pourrait se jouer, Mandico est à nouveau obligé de faire muter son projet et d’improviser “un filmage” (il refuse le terme de captation) de son spectacle pour en tirer un film qu’il baptise Conan la Déviante : “J’ai eu douze jours pour tourner les soixante-dix pages de texte du spectacle, il a fallu l’adapter au cinéma, j’ai dû me faire violence”, nous révèle le cinéaste, dont l’inébranlable douceur au travail impressionne dans un tel contexte.

Filmé en Super 16 et caméra à l’épaule, ce projet hybride, à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma, vient de se terminer. Ses décors ont été acheminés vers le Luxembourg où sera tournée en septembre prochain la plus grosse excroissance du projet : Conan la Barbare, un long métrage doté d’un casting au sein duquel on retrouvera notamment Marie-Sophie Ferdane, Nathalie Richard, Françoise Brion et Audrey Bonnet.

Il reprendra certains morceaux de Conan la Déviante, mais sa forme se tiendra à un degré de méta-textualité différent : la structure du film ne sera plus celle du tournage dans le tournage, mais celle de flashbacks enchâssés dans une scène matricielle, exactement comme dans Lola Montès de Max Ophuls (1955). A ces deux films s’ajoutent deux courts métrages – un préambule à Conan la Déviante, centré sur le personnage de Rainer, et une expérience en réalité virtuelle ayant pour thème “l’enfer des actrices” – qui complètent ce quadriptyque polymorphe sur la transfiguration queer d’une icône virile, dont les 1ers volets ne devraient pas être dévoilés avant l’année prochaine.