Au-delà du réel, l’édito de Carole Boinet

J’ai passé l’été à corner des pages. Je lisais et je cornais. Des livres de la rentrée littéraire, d’autres parus cette année, d’autres encore il y a des décennies. Une navigation dans la littérature internationale, en quête de réponses à des...

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J’ai passé l’été à corner des pages. Je lisais et je cornais. Des livres de la rentrée littéraire, d’autres parus cette année, d’autres encore il y a des décennies. Une navigation dans la littérature internationale, en quête de réponses à des questions si floues que je n’en connaissais pas l’existence avant d’en connaître les réponses – ou les bribes de réponses. Car la littérature ne répond pas. Elle questionne. Elle dérape, aussi. Sans certaines phrases, je n’aurais pas su que tel sentiment existait, que telle impression avait telle saveur, qu’on pouvait penser telle chose et surtout le dire, qu’on pouvait être soi “puisque les autres sont déjà pris” (Oscar Wilde). Les mots donnent une réalité. La réalité peut-elle même exister sans mots ?

Si le réel est façonné par les mots, alors les mots ont une importance primordiale dans la construction de notre réalité. Ils ne sont pas seulement là pour faire le récit du réel. Ils le bâtissent, virgule à point, blanc à adjectif. C’est ce à quoi s’emploient les quarante romans, les essais et les BD que nous avons sélectionnés en cette rentrée littéraire. Qu’il s’agisse de Mille Images de Jérémie de Clément Ribes dans lequel l’amour – terme vague – se précise pour devenir ici une “hantise”, ou d’Ainsi l’animal et nous de Kaoutar Harchi dans lequel la domination de l’homme sur l’animal est mise en parallèle avec celles de l’homme sur la femme, de l’homme blanc sur l’esclave, de l’homme blanc sur la personne racisée… Une rentrée littéraire dont les mots foutent le feu à un certain système de domination patriarcale et capitaliste, qui a enclenché son mode de résistance – comme le démontre notre enquête sur l’extrême-droitisation des médias.

Nick Cave, lui aussi, soulève des questions. Explorant la part sombre de l’âme humaine, toujours tiraillé entre le péché et la rédemption, les figures de pécheur et de prêcheur. C’est bien pour cette raison que nous continuons de le suivre avec envie aux Inrockuptibles et lui consacrons un grand dossier. Lui, cette figure de rockeur crooner habité par des passions et des fantômes, souffrant le martyre du mortel, brûlé à vif par les sons, mélodies, mots qui s’échappent de lui pour dire quelque chose de l’être au monde. Avec toujours une forme d’humour, un pas de côté joueur et sagace. “Il est beaucoup plus facile de perdre quelque chose que de le récupérer, voilà ce que je sais”, nous dit-il lors du long entretien qu’il nous a accordé. Ajoutons qu’il est très difficile d’obtenir quelque chose que l’on n’a jamais acquis. C’est le sens des combats qu’il nous reste à mener !