Avant le jugement, l'affaire du Mediator est déjà un séisme pour le médico-légal

SANTÉ - “On ne peut pas comprendre Jacques Servier tant qu’on n’a pas compris qu’il se prenait pour Dieu!”. C’est par ces mots particulièrement virulents que l’avocat Jean-Christophe Coubris, entame le chapitre consacré à l’affaire du Mediator dans...

Avant le jugement, l'affaire du Mediator est déjà un séisme pour le médico-légal

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Une boîte de Mediator

SANTÉ - “On ne peut pas comprendre Jacques Servier tant qu’on n’a pas compris qu’il se prenait pour Dieu!”. C’est par ces mots particulièrement virulents que l’avocat Jean-Christophe Coubris, entame le chapitre consacré à l’affaire du Mediator dans son livre paru le 17 mars, Au nom de toutes les victimes (Flammarion).

Le conseil, habitué des scandales sanitaires, y narre le dossier dans lequel avec son cabinet il a accompagné depuis 10 ans près de 2600 victimes de cet antidiabétique largement utilisé comme coupe-faim. Le jugement est attendu ce lundi 29 mars après sept mois d’un procès pénal qui a vu entre autres la mise en examen du laboratoire Servier et de son ex-numéro 2, Jean-Philippe Seta pour “tromperie  aggravée”, “escroquerie” et “homicides et blessures involontaires”.

Un procès hors norme par les chiffres - 350 avocats, plus de 6000 parties civiles, 23 prévenus, plus de cent journées d’audience, deux réquisitoires de neuf heures chacun - mais aussi par ce qu’il a bousculé le monde médico-légal.

La reconnaissance des victimes

“L’affaire du Mediator, c’est un peu la caricature de tout ce qui n’allait pas dans le système”, estime Jean-Christophe Coubris, déjà conseil des victimes dans les affaires de la Dépakine, des prothèses PIP ou de l’affaire Naomi Musenga, contacté par Le HuffPost. “Du jour au lendemain, on a montré qu’un laboratoire pouvait agir contre les patients alors qu’il y avait connaissance du danger. Cette recherche du profit, c’est le point commun de toutes les affaires sanitaires que j’ai eu à traiter”.

Avant le Mediator, les laboratoires Servier s’étaient déjà retrouvés dans le viseur des autorités sanitaires avec l’affaire de l’Isoméride, un coupe-faim à la formule proche, retiré du marché en 1997. Le dossier avait valu au laboratoire des amendes de 2,5 millions et 1,3 million de francs. 

Pour l’avocat qui a monté au cours de cette décennie une cellule entièrement dédies au scandale du Mediator au sein de son cabinet, mobilisant peu ou proue huit personnes, le jugement devra répondre évidemment à plusieurs questions centrales mais la 1ère est sans aucun doute à ses yeux la reconnaissance du statut des victimes.

On est dans l’ordre de la pharmaco délinquance”Irène Frachon, la pneumologue par qui le scandale est arrivé en 2010

 

“Le parquet a fait un travail incroyable. Rarement la parole des victimes avait eu une place aussi forte. Et en soi c’est déjà exceptionnel et une réussite, tant les séquelles sont encore éprouvantes”, détaille Jean-Christophe Coubris. Prescrit pendant près de 33 ans, le Mediator est à ce jour tenu responsable de centaines de morts. 

Irène Frachon, la pneumologue par qui le scandale est arrivé en 2010, et contactée également par Le HuffPost, abonde: “Depuis plus de 10 ans, les victimes ne peuvent plus vivre dans une société qui ne serait pas capable de mettre clairement les limites de ce qui est acceptable ou pas. Il faut que le droit et que le tribunal puissent dire que tout ce que nous avons étudié pendant le procès est la démonstration de manœuvres délibérées, de tromperies qui ont exposé sciemment des milliers de personnes à un produit dont on connaissait la toxicité. On est dans l’ordre de la pharmaco délinquance”, plaide la médecin. Des arguments toujours réfutés par la défense, qui a assuré au tribunal qu’il n’y avait pas eu de “signal de risque identifié”.

Le procès de l’expertise ?

Surtout, le jugement du Mediator doit permettre d’aller plus loin sur les enjeux qui entourent la loyauté des experts et le mélange des genres, alors que plusieurs d’entre eux figurent sur le banc des prévenus pour “prise illégale d’intérêt”. “Peut-être qu’après ce jugement, il y aura une vraie réflexion sur l’influence et la prépondérance du langage des laboratoires dans le monde médical. Même si je suis plus optimiste, le monde médical est encore largement sous influence”, veut croire l’avocat. 

Le conseil vise notamment l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), mise en examen pour “homicides et blessures involontaires”, pour avoir tardé à suspendre l’autorisation de mise sur le marché du médicament, et certains de ses experts. 

Au cours du procès, les avocats de Servier et de l’ex-Afssaps se sont régulièrement renvoyé la responsabilité. “Je ne veux pas que le tribunal puisse clore les débats en pensant que les laboratoires Servier sont dans le déni. Ils ne pensent pas être irréprochables dans cette affaire. Le 1er reproche qu’ils se font, c’est d’avoir été attentistes. Ils sont conscients qu’ils ont été mauvais sur l’appréciation du risque, en se reposant sur l’autorité sanitaire”, déclarait notamment dans son réquisitoire François de Castro, l’avocat de Servier. 

Hasard du calendrier, il y a presque 10 ans jour pour jour, le 16 mars 2011, que le député Bernard Debré et le directeur de l’Institut Necker, Philippe Even, remettaient à Nicolas Sarkozy un rapport recommandant la réorganisation complète de l’Afssaps. Celui-ci faisait à nouveau écho à un rapport de 2004 de la Cour des comptes qui pointait du doigt les lacunes de l’agence, et des données existantes mais limitées, dispersées, et sous-utilisées.

La fin de l’impunité ?

Dans le cadre de la loi Bertrand votée en 2011, l’Afssaps deviendra l’ANSM. Le texte dépasse le cadre de la simple autorité sanitaire et oblige également les laboratoires à signaler tout avantage donné aux médecins ou étudiants. Par ailleurs, pour prévenir les conflits d’intérêts, experts et membre d’une commission doivent désormais remplir des déclarations publiques d’intérêt. 

“Le procès a montré que des informations étaient remontées à l’Afssapf, mais qu’elles n’avaient pas été correctement traitées. Elles étaient morcelées, comme un puzzle impossible à reconstituer. Heureusement, ces méthodes et ces raisonnements n’existent plus aujourd’hui. Ce qui était une agence des laboratoires financée par eux, est devenue aujourd’hui l’agence des usagers des médicaments”, se félicite Jean-Christophe Coubris.

Irène Frachon, qui plaide pour un 1er bilan de la loi Bertrand, évoque de son côté un “véritable changement de raisonnement, un renouvellement des cadres de l’agence, mais aussi un changement de paradigme dans les grandes institutions médicales”.

Une évolution louable et à marche forcée que Jean-Christophe Coubris souhaiterait appliquer aux laboratoires. Les parties civiles ont réclamé un milliard d’euros de dommages et intérêts, soit la moitié du chiffre d’affaires du groupe en 2019. “Le jugement du Mediator peut constituer une jurisprudence très forte si la sanction est lourde. Pour des laboratoires de cette taille, le risque financier a toujours été très minime avec un sentiment d’impunité très fort”, déplore-t-il. 

Le parquet de Paris a réclamé de son côté plus de 10 millions d’euros d’amende contre le groupe Servier. Et trois ans de prison ferme à l’encontre de Jean-Philippe Seta, ex-numéro 2 de la firme. 

À voir également sur Le HuffPost: Souffrez-vous de la maladie de Raynaud, comme 5% de la population?