“Avec amour et acharnement” : la passion selon Claire Denis

On pourrait diviser la filmographie de Claire Denis en deux grandes lignes de force. Il y a les films d’ailleurs, qui explorent des destinations exotiques (Chocolat, 1988 ; Beau Travail, 2000 ; White Material, 2010) ou même carrément extraterrestres...

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On pourrait diviser la filmographie de Claire Denis en deux grandes lignes de force. Il y a les films d’ailleurs, qui explorent des destinations exotiques (Chocolat, 1988 ; Beau Travail, 2000 ; White Material, 2010) ou même carrément extraterrestres (High Life, 2018), et les films d’ici, qui, à une exception marseillaise près (Nénette et Boni, 1996), se déroulent dans Paris et sa proche banlieue (J’ai pas sommeil, 1993 ; Un beau soleil intérieur, 2017).

Ils sont reliés entre eux par une seule et même interrogation intemporelle : jusqu’où est-on prêt·e à aller par amour ? En lui offrant une réponse souvent jusqu’au-boutiste : la mort parfois, le danger souvent, la souffrance toujours.

Et quand le lointain des films d’ailleurs renforce l’insécurité émotionnelle des protagonistes ou s’en fait le vecteur, la familiarité des décors des films d’ici agit comme un élément de contraste avec la tempête sentimentale qui souffle à l’intérieur des têtes. Claire Denis alterne entre ces deux pôles avec une régularité de métronome, et chacun occupe une part quasi égale dans son œuvre.

Un réseau de correspondances plus ou moins secrètes

Avec amour et acharnement semble s’ouvrir comme un film d’ailleurs, mais exceptionnellement délesté de toute menace : les eaux cristallines d’une plage digne d’une pub pour le Club Med, dans lesquelles s’ébroue un couple (joué par Juliette Binoche et Vincent Lindon, tous·tes deux exceptionnel·les) aussi mûr de corps que fougueux dans ses caresses et ses baisers.

À cette idylle de chair, de soleil et d’eau salée succèdent les murs de béton brut et le balcon haut perché d’un appartement parisien où le couple va être mis à l’épreuve de la réapparition d’un ex-amoureux (Grégoire Colin, acteur fétiche et éternel revenant dans le cinéma de Claire Denis).

Sous cette cartographie binaire entre les récits d’ailleurs et d’ici, la filmographie de la cinéaste entretient aussi tout un réseau de correspondances plus ou moins secrètes, fait de fidélités humaines (Tindersticks, son trio de comédien·nes, Christine Angot), de répétitions de motifs et d’un habile jeu de pistes. On pense notamment aux derniers instants d’Un beau soleil intérieur. Le médium malicieusement incarné par Gérard Depardieu y prévenait le personnage d’amoureuse insatisfaite déjà incarné par Juliette Binoche.

Doit-on aimer ce qui nous fait du bien et nous apaise ou ce qui nous fait du mal et nous excite ?

Une mise en scène à vif

“Il ne faudrait pas que vous soyez une femme utilisée comme un élément transitoire. […] Je ressens comme un homme qui pourrait avoir des sortes de lubies, des lubies attractives, des tocs.” Deux films plus tard, les places se sont inversées et Binoche incarne précisément cette figure qui s’éprend d’un élément transitoire alors qu’elle est en proie à une violente rechute de pulsions pour son ex vénéneux.

Par une mise en scène à vif et capable de saisir la plus infime des manifestations des vicissitudes de l’amour, Claire Denis parvient à expliquer ce dilemme en compactant à la fois sa nature platement banale et son intensité frissonnante tout en le racontant du point de vue d’une femme qui ose se livrer à ses désirs.

Doit-on aimer ce qui nous fait du bien et nous apaise (Lindon et sa présence du grand chien battu) ou ce qui nous fait du mal et nous excite (Grégoire Colin, regard et serres d’aigle) ? Elle explore ce dilemme tout rohmérien de la toxique ivresse que procure la schizophrénie amoureuse avec une vigueur juvénile, une rigueur d’experte et un talent de directrice d’acteurs et actrice absolument éblouissants.

Avec amour et acharnement de Claire Denis, avec Juliette Binoche, Vincent Lindon, Grégoire Colin (Fr., 2022, 1 h 56). En salle le 31 août.