Avec “Day/Night”, Parcels nous assure plus que jamais de son savoir-faire pop

À en juger par le nombre de journalistes qui défilent dans les locaux de Because début septembre, le phénomène Parcels est réel. Et pourrait être résumé en quelques faits : un single produit par Daft Punk (Overnight, 2017), des concerts donnés...

Avec “Day/Night”, Parcels nous assure plus que jamais de son savoir-faire pop

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À en juger par le nombre de journalistes qui défilent dans les locaux de Because début septembre, le phénomène Parcels est réel. Et pourrait être résumé en quelques faits : un single produit par Daft Punk (Overnight, 2017), des concerts donnés en 1ère partie de Phoenix et Air, un live depuis les mythiques Studios Hansa à Berlin, plusieurs centaines de millions d’écoutes en streaming et 200 000 exemplaires écoulés d’un 1er album qui, sans être parfait, séduisait par sa générosité, ses arrangements soignés et son sens du refrain – ces petites trouvailles mélodiques irrésistibles qui incitent à y revenir sans arrêt.

Clairement, Parcels a changé de dimension. Il s’agit à présent pour les cinq Australiens d’incarner pleinement leur ambition, d’assumer leur statut de têtes d’affiche de la pop music mondiale, sans pour autant tomber dans le consensuel. Ce que Patrick Hetherington (voix, piano, guitare) et Anatole Serret (voix, batterie) n’évitent pas totalement en entretien, alternant analyses pointues et formules quelque peu convenues au sujet de leur second album, qu’ils décrivent tantôt comme une “expérience exceptionnelle”, une volonté de “surprendre les fans en évitant la redite”, tantôt comme le reflet d’une envie : celle de “s’ouvrir à de nouveaux sons”.

Les deux compères, c’est une évidence, ont pris l’habitude de balancer systématiquement les mêmes réponses aux questions, selon un automatisme qui n’empêche pas l’enthousiasme, la sincérité. C’est juste que Patrick Hetherington et Anatole Serret sont de ces êtres humains qui mettent un certain temps avant de se sentir suffisamment à l’aise pour se révèler.

Un constat qui prend encore plus de sens à l’écoute de leurs albums : à l’inverse de Parcels, ensoleillé et hostile à l’idée de masquer le naturel optimisme du groupe pour flatter les humeurs mélancoliques de l’époque, Day/Night, mixé au Studio La Frette par James Ford (Arctic Monkeys, Foals, Gorillaz…), encourage l’abandon de soi, flirte avec l’intime, déploie suffisamment de nuances pour faire de Parcels une bande de jeunes hommes complexes, condamnés à vivre avec des sentiments contradictoires.

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Magie pop

“Certains pourraient causer de Day/Night comme d’un disque schizophrène, craint Patrick Hetherington. C’est juste que l’on souhaitait avoir un son énergique, très disco, avec des mélodies enthousiastes, sans pour autant s’interdire d’aller vers des chansons plus sombres, plus complexes et plus psychologiques. Quelque chose qui puisse contrebalancer nos différents singles et qui renforce la dualité de notre travail. Résultat : on est parfois allés très loin dans l’introspection.”

C’est le cas, par exemple, de Famous, sur lequel Parcels questionne la face B de la célébrité, le vide intérieur qu’elle génère chez ceux et celles qui y goûtent sans l’avoir vraiment souhaité, ni calculé. À d’autres moments, et c’est là toute la magie de la pop music qui, de Bowie à Prince, ne cesse d’inventer des personnages pour évoquer les tréfonds de l’âme humaine, c’est via la figure d’un éternel adolescent que le quintette aborde ses failles, notamment sur Icallthishome et LordHenry, dont la noirceur est sublimée par les arrangements de cordes d’un Owen Pallett (Arcade Fire, The Last Shadow Puppets) toujours aussi juste.

© Jules Faure pour les Inrockuptibles

“C’était un rêve d’avoir un orchestre, dans le sens où on a toujours été fascinés par les bandes originales de films et les musiques grandioses qu’elles renferment.” Lorsqu’il prononce ces mots, Anatole Serret incarne la ferveur des passionnés et ne perd guère en enthousiasme au moment d’évoquer le besoin pour ses amis et lui de se livrer, quitte à chanter des maux que l’on préfère garder pour soi, des confessions que l’on réserve traditionnellement aux proches.

“On est tout excités à l’idée de chanter ces paroles sur scène. On y voit une manière de se libérer de nos tourments face à des gens aptes à nous comprendre, la possibilité de rendre toutes ces idées noires plus belles et acceptables.”

“Sur Night, il y a des morceaux où l’on dit des choses que l’on aurait très bien pu garder pour nous, mais la relation que cela pourrait créer avec l’auditeur nous plaisait. On est même tout excités à l’idée de chanter ces paroles sur scène. On y voit une manière de se libérer de nos tourments face à des gens aptes à nous comprendre, la possibilité de rendre toutes ces idées noires plus belles et acceptables. Un peu comme lorsqu’on lit Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, où le côté torturé du personnage principal n’est jamais pointé du doigt. Sa noirceur est inspirante et lumineuse : elle permet de comprendre que certains peuvent ressentir la même chose que nous, que l’on n’est pas fou.”

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La danse et le spleen

Il faut pourtant une sacrée dose de folie pour se lancer, en 2021, dans un double album conceptuel. Et si l’on sent chez les Australiens le besoin de fuir la léthargie, de tourner le dos à la passivité, on sent aussi que ce format cache d’autres obsessions, liées à l’enfance, à la nécessité de s’affranchir des attentes (“Je ressens ce besoin d’être libre”, chantent-ils sur Free) et de créer en permanence, en se moquant bien de l’époque et de ses convenances.

“On a grandi avec le format album, avec tous ces disques que l’on écoutait en boucle, au point d’en connaître chaque recoin”, confesse Anatole Serret. Et Patrick Hetherington, le ton toujours très posé, de se lancer dans une sociologie des modes d’écoute :

“Avant l’apparition des 1ers enregistreurs, la seule possibilité d’écouter de la musique était d’aller voir des orchestres sur scène. Quand le vinyle est apparu, je suis sûr que ça a dû paraître absurde pour beaucoup de gens de s’asseoir chez soi avec un album de 45 minutes pour seule compagnie. Aujourd’hui, c’est la même réflexion : doit-on rejeter ou s’adapter à cette nouvelle génération d’auditeurs habitués à des vidéos TikTok de 40 secondes ? Ne sachant pas comment se positionner, on se dit que le mieux est de faire ce que l’on maîtrise le plus.”

À défaut de savoir sur quel pied danser, Parcels a décidé d’évoluer entre deux mondes, toujours étroitement liés : l’intime et l’universel, la pop orchestrale et le disco, la danse et le spleen, le jour et la nuit. Patrick Hetherington : “Notre volonté était de se nourrir des sensations ressenties le jour pour les retranscrire et les expérimenter une fois le soir venu. Tout simplement parce que la nuit nous incite à ne plus être totalement nous-mêmes, à nous surprendre, à vivre des événements improbables. Pour nous, c’est une porte ouverte vers l’inattendu, et j’aime l’idée que ça puisse être également le cas en musique.”

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Des heures à jammer

À ceux et celles qui pensaient que les Parcels étaient simplement des musiciens capables de composer de charmants fonds sonores pour boutiques branchées, de l’habillage sophistiqué sur du vide, Day/Night prouve au contraire qu’ils font partie de ces artistes qui se débattent constamment avec la question “qu’est-ce que la pop ?”, avant de laisser à leurs morceaux le soin d’y répondre.

On comprend alors que les Australiens ignorent tout du chiqué, de la mise en scène de soi ; ils réclament juste à leurs instruments de perpétuer sans copier leur amour pour les Beach Boys, Crosby, Stills & Nash ou, plus évident encore, Donny Hathaway et Michael Jackson, dans une succession de tubes qui se fichent pas mal des genres et des époques : ici, soul, funk, country, psyché ou rock progressif sont des langues vivantes, voire un joli argot parlé en totale harmonie par cinq garçons à l’accent distingué, précieux sans être maniéré.

“Dès qu’on sent qu’un de nos morceaux ressemble trop à un autre, on hurle le nom de Cat Stevens. C’est comme un code censé nous permettre de garder notre singularité.”

Sans doute est-ce là l’avantage d’une formation qui aime passer des heures en studio à jammer, à multiplier les pistes (plus de 150 demos ont été mises au point) et à se faire confiance. Selon une méthode qui n’appartient qu’à eux, et qu’Anatole Serret consent à expliquer : “Parfois, sans le vouloir, on avance vers des sonorités qui se rapprochent de celles d’autres artistes. Le problème, c’est que lorsqu’on en prend conscience, on ne parvient plus à se libérer de cette influence… Dès qu’on sent qu’un de nos morceaux ressemble trop à un autre, on hurle le nom de Cat Stevens. C’est comme un code censé nous permettre de garder notre singularité.”

C’est qu’il aurait été cruel de se priver de ces dix-neuf chansons où le savoir-faire pop de Parcels se fait plus clair, plus lisible. Il finit même par trouver toute sa splendeur dans les arrangements gracieux de Shadow, le piano dynamique de Comingback, les notes atmosphériques de Nightwalk ou le groove imparable de Somethinggreater qui, à lui seul, prouve que Parcels ne ressemble en rien à des musiciens “quadragénaires cherchant à se fondre parmi les jeunes”.

C’est un groupe parfaitement actuel, qui célèbre l’amitié – longue d’une dizaine d’années –, qui prône le mélange des genres dans des pop songs ambitieuses, qui assume son côté bon élève et qui ose l’humour au moment de répondre à ses possibles détracteurs et détractrices : “Si certains nous trouvent trop rétro, dans le look ou musicalement, ce n’est pas grave. Au pire, on sera ce groupe dont on offre les albums à la fête des Pères.”

Day/Night (Because/Virgin Records). Sortie le 5 novembre.