Avec “Hysterical Strength”, Deadletter ne reste pas lettre morte

Il y a de ces concerts qui, par leur ferveur inattendue, vous saisissent le col et scellent votre sort musical pour les prochains mois – comme une sentence irrévocable, qui ne vous laisse d’autre choix que de vous buter à une seule et même...

Avec “Hysterical Strength”, Deadletter ne reste pas lettre morte

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Il y a de ces concerts qui, par leur ferveur inattendue, vous saisissent le col et scellent votre sort musical pour les prochains mois – comme une sentence irrévocable, qui ne vous laisse d’autre choix que de vous buter à une seule et même discographie jusqu’à l’écœurement. Celui de Deadletter au Pop Up du Label, en octobre 2023, en était de ceux-là. 

Depuis cette soirée, impossible d’oublier la pugnacité de ces Anglais·es factieux·ses au possible, lesquel·les prenaient un malin plaisir à échauffer la foule de leur nonchalance et nourrir la tension extatique emplissant l’espace. Une sorte de force hystérique qu’ils et elle appelaient de leurs vœux : ce n’est sans doute pas pour rien si leur 1er album, tout juste paru via So Recordings, s’intitule Hysterical Strength. 

Deadletter, une bande d’érudit·es

Réduire Deadletter à de simples agitateur·rices serait toutefois une erreur, voire un affront. Car ce sont des jeunes gens de chair, certes, mais surtout d’esprit. Il suffit de prêter attention aux textes des morceaux, tous écrits par Zac Lawrence – chanteur et tête pensante du groupe – pour saisir toute la dimension poétique de leur musique. Des paroles écrites à la main dans un carnet que le musicien emmène un peu partout, “toujours sur du papier avec un stylo, façon vieille école”, nous glissent George Ullyott (basse) et Alfie Husband (batterie) au bout du fil. 

Cérébral, leur leader nourrit sa plume de ses lectures : Les Raisins de la colère de John Steinbeck, Résurrection de Léon Tolstoï, Rire dans la nuit de Vladimir Nabokov, Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline… Autant d’auteurs qui lui ont permis de repenser l’usage des mots et d’affûter son regard sur le monde qui l’entoure.

Ces mots, une fois couchés sur le papier et chantés, épousent d’ailleurs à la perfection les sections instrumentales tissées par le groupe. Guitares lacérées, basses capiteuses, irruptions de saxophone et dissonances : un alliage musical qu’ils et elle ont fait évoluer depuis la formation du groupe et la sortie de leurs 1ers singles, en 2020, jusqu’à propulser le post-punk dans ses hauteurs les plus grisantes. 

“On voulait des morceaux plus puissants, alors on a pensé que le saxophone serait un très bon instrument pour ça”, explique Alfie, “les 1ers morceaux manquaient juste d’un peu de mélodie quelque part, qui ne soit pas liée au refrain de la chanson, aux riffs de basse ou au chant”. D’où l’arrivée de Poppy Richler dans les rangs du groupe, en 2021, venue étoffer avec talent sa palette sonore.

George complète : “Je dirais qu’en général, le saxophone est là pour s’associer au chant, plutôt que se placer par dessus.” “C’est la cerise sur le gâteau, quand il n’y a pas, ça manque”, renchérit le 1er. Une place de choix réservée audit instrument sur chacun de leurs morceaux, qui s’observe d’ailleurs dès l’ouverture de l’album.

Un enregistrement tumultueux

Hysterical Strength a été enregistré à Saffron Walden, au beau milieu de l’Essex, avec Jim Abbiss (producteur à qui l’on doit, entre autres, Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not des Arctic Monkeys, ou encore Junk of the Heart des Kooks). “C’était une expérience révélatrice dans la mesure où tu penses avoir une idée de la façon dont les gens enregistrent leur musique, tu entres en studio avec un gars aussi professionnel, et ensuite tu observes comment ça marche”, explique Alfie, qui salue la dynamique impulsée par le producteur durant les sessions d’enregistrement.

Et ce, malgré les tribulations auxquelles ils et elle ont dû faire face. À commencer par le manque de temps – tous les membres de Deadletter devant encore se fader un job alimentaire en parallèle de leur carrière musicale, les sessions pouvaient donc difficilement déborder – et la fatigue liée à “66 jours sur la route”, dont la voix du chanteur peinait à se remettre.

Un contexte pas forcément propice, auquel s’est ajouté un accident du travail dont a été victime Alfie, entre deux journées d’enregistrement : “Je vendais des sapins de Noël dans le sud de Londres, et je devais scier les extrémités de ces sapins, sauf que je me suis blessé au niveau du genou de ma jambe droite, qui est la jambe avec laquelle je frappe la grosse caisse… Je suis arrivé au studio en boîtant et Jim m’a dit : ‘Qu’est-ce que tu as fait ? Tu essayes d’enregistrer un album alors que tu viens de te blesser ?’” 

Nos paroles sont une réaction à ce qui se passe autour de nous, que ce soit dans notre vie personnelle ou dans le paysage social britannique

Au final, les douze morceaux du disque ont bien été mis en boîte, offrant alors une exploration dans les vestiges de leur mémoire, une vue sur leurs vicissitudes et leur appréhension de l’époque. “Certaines des chansons ont été écrites il y a quelques années, d’autres seulement quelques semaines avant que nous l’enregistrions, donc j’ai l’impression que nos paroles sont une réaction à ce qui se passe autour de nous, que ce soit dans notre vie personnelle ou dans le paysage social britannique”, explique Alfie.

Un paysage social entaché par la précarité, notamment à Londres, où le groupe est installé depuis quelques années. “C’est devenu cher de continuer à vivre ici […], donc l’ambiance générale a vraiment infiltré notre musique, mélodiquement et textuellement”, poursuit George. 

Laisser un certain mystère

Rapport ou non, des références religieuses – qu’elles soient métaphoriques ou cyniques – émaillent la plupart des titres de l’album (de A Haunting à Deus Ex Machina), fusionnant ainsi avec l’obscurité noirâtre qui tapisse chacune des atmosphères musicales, esthétiques ou littérales déployées par le groupe. Mais ses membres nous arrêtent tout de suite : on perd notre temps à essayer de comprendre leur disque, ou tenter une plongée dans les arcanes de son élaboration.

“Je pense que c’est important de laisser un certain mystère à tout ça”, glisse Alfie. “Personnellement, je ne veux pas savoir comment les groupes que j’aime ont enregistré telle ou telle chose, le fait de ne pas savoir me garde engagé […], j’essaie de le comprendre par moi-même.” Avant d’ajouter : “Une fois que tout est exposé là devant toi, tu vas juste écouter autre chose.”

Si les membres de Deadletter concèdent se plier au jeu de l’entrevue non pas par envie d’échanger, mais bien pour “essayer de vendre ce disque”, ils et elle se réjouissent toutefois du soutien des médias à leur égard (de BBC Radio 1 à NME, en passant par The Times), lesquels contribuent à faire voyager leur musique. “C’est ce que l’on veut par-dessus tout”, insiste George, “on veut que les gens écoutent notre album”.

Pour ce faire, Deadletter s’échine à investir les réseaux sociaux pour offrir à Hysterical Strength toute la résonance qu’il mérite. “C’est très difficile”, déplore Alfie, “on a l’impression que c’est un truc moderne qui n’aurait jamais dû arriver, le fait que les groupes brandissent leur disque sur Instagram et demandent aux gens de l’acheter, alors qu’avant, personne n’avait à faire ça”. Avant de renchérir, pensif : “C’est un monde un peu bizarre dans lequel nous vivons, n’est-ce pas ?” N’est-ce pas.

Hysterical Strength (So Recordings). Sortie le 13 septembre.
Deadletter sera en concert à La Maroquinerie (Paris) le 12 octobre.