Avec “JVLIVS II”, SCH poursuit brillamment sa trilogie démarrée en 2018

Si les films de mafieux fascinent tant, c’est peut-être parce qu’ils placent une loupe au-dessus d’un monde isolé du reste des Hommes, dans lequel le bien et le mal sont des notions poreuses et finalement secondaires. Cette dualité est le thème...

Avec “JVLIVS II”, SCH poursuit brillamment sa trilogie démarrée en 2018

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Si les films de mafieux fascinent tant, c’est peut-être parce qu’ils placent une loupe au-dessus d’un monde isolé du reste des Hommes, dans lequel le bien et le mal sont des notions poreuses et finalement secondaires. Cette dualité est le thème principal de la récente discographie de SCH, presque une obsession. Avec JVLIVS II, le rappeur offre le second tome d’une trilogie démarrée brillamment en 2018, un nouvel album concept qui navigue entre Gibraltar, Marseille et l’Italie. Il reprend l’histoire de Julius, ce personnage coincé entre la véritable identité de son auteur et la fiction, entre audace cinématographie et rédemption. Une suite logique, attendue, mais qui réserve son lot de surprises.

Pour camper son personnage, SCH a sorti un premier single en février, Marché Noir. Le clip, de presque de huit minutes, annonçait le retour d’un malfrat exilé et prêt à reconquérir sa ville, ou à la réduire en cendres si nécessaire. C’est d’ailleurs ce que raconte l’ouverture de l’album, un interlude parlé, conté par une voix off, celle de l’acteur José Luccioni (doublure française d’Al Pacino, entre autres), et écrite par le rappeur Furax Barbarossa. Pas de changement de recette : c’est via ce procédé et ces protagonistes déjà présents sur JVLIVS que le décor est planté à plusieurs reprises tout au long du tracklisting. Il est là, encore une fois, le fil rouge de l’album, celui qui pose une ambiance lourde et grave, convoque les mythes mafieux et les images les plus sanguinaires.

Paradis perdu

Mais qu’on ne s’y trompe surtout pas : JVLIVS II n’est pas un opéra-rap. Certes, il raconte entre les lignes la marche en avant d’un homme prêt à tout, mais est également ancré dans l’intimité de SCH. Il ne raconte pas une histoire, ne suit pas une chronologie stricte. C’est d’ailleurs ce qui rend ce projet de trilogie si savoureux : il ne force pas au suivi assidu, n’oblige pas à l’écoute globale et constante. Ca n’est pas un film, c’est un album. Bien des morceaux forment des apartés, notamment cette bastos incroyable qu’est Mannschaft, en featuring avec Freeze Corleone. Les orchestrations de cordes, qu’on dirait tout droit sorties de la bande-originale d’un film italien, sont imprégnées de cette esthétique de genre, mais n’empêche en rien l’intégration d’invités et n’obligent pas ces derniers à coller à tout prix au concept. Alors, ils se lâchent, car c’est là qu’ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes.

En cela, JVLIVS II a donc des proximités évidentes avec son petit frère de 2018, mais également avec le précédent album de SCH, l’excellent Rooftop. Il y a toujours cette passion pour Aubagne et pour Marseille, ses villes de cœur. Le rappeur y associe sans cesse la simplicité (“J’aime toujours pas l’caviar, servez-moi des pâtes au dîner”) et l’enfance. A l’instar des affranchis new-yorkais qui rêvent d’Italie comme d’un paradis perdu, SCH rêve éveillé de ces lieux. Il est revenu y vivre il y a quelques années, un peu à la manière d’un repenti. Mais sait pertinemment que ce retour aux sources est aussi un retour aux origines du mal. N’est-ce-pas d’ailleurs ce que la Sicile est aux Corleone ?

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La patte sonore

Car SCH utilise son personnage pour trouver le pardon, pour extérioriser le deuil de son père et le poids porté par sa mère. Sur Fournaise, notamment, il craint de n’être que trop peu allé à l’église, a peur du jugement dernier et d’être hanté par ses crimes. Il en va de même pour Parano : “Et sa mère le 36, et sa mère l’évêché / Il m’faut un océan de javel pour me laver d’mes péchés.” Le rappeur l’a répété en interview, il redoute de sombrer dans la folie, comme c’est souvent le cas des hommes arrivés trop vite en haut du château de cartes, qui se retrouvent isolés, acculés, hantés par leurs méfaits. Tony Montana, très peu pour lui.

Ce nouvel album porte une nouvelle fois la patte de son équipe de producteurs fétiches, à savoir Katrina Squad et ses fers-de-lance Guilty et DJ Ritmin. Mais il convoque également Enigma Beats, BBP, Zeg P ou encore BGHV et Twenty9. Ces derniers sont à l’origine du titre Aluminium, avec ce beat bourré de basses 808 profondes mais habillé de ces fameuses guitares méditerranéennes qui sont devenues un phare sonore et une signature désormais indissociables du rappeur. Quant à Chady, il compose un ovni, à savoir l’instru de Crack, une rythmique peu utilisée dans le rap, presque rock, sur laquelle SCH cale strictement son flow et crée une rupture jouissive dans l’album.

La guerre et le pardon

La première partie de JVLIVS II regorge de violence. Elle mûrit une vengeance que l’on devine notamment dans l’interlude intitulé La battue. Celui-ci est fait d’orchestrations orientales, rappelant presque la bande-originale du voyage forcé de Maximus Decimus Meridius dans le film Gladiator. D’ailleurs, le nom de Julius et la façon de l’orthographier en lettres romaines rappellent cet âge d’or antique tant fantasmé par les mafieux italiens.

Mais la seconde partie semble bien plus solaire. Symbole de cette illumination, le featuring avec Jul, Mode Akimbo. Sur un beat signé Stef Becker (l’un des architectes du projet marseillais 13’Organisé) et parfaitement taillé pour l’électron libre phocéen, il signe un à côté où les références au Covid, à Matrix et à la famille Adams détonnent totalement dans le projet. A l’inverse du premier volet, il lui arrive de chercher le single, de vouloir s’amuser. De laisser respirer et de soulager son personnage, en l’extirpant de sa soif de sang.

JVLIVS II demeure malgré cela un récit torturé. En témoigne cet incroyable morceau de clôture, Loup noir, sur lequel SCH mobilise sa plume la plus incarnée. “Et quand les yeux se ferment et que tout est noir, quand les mots se perdent / Tu veux tuer un homme ? Prends du sky et des faux espoirs / Et quand les mômes se perdent dans les sinueux couloirs des enfers / On s’ra de retour deux minutes avant que les revolvers leurs jouent du tonnerre.” Julius a de nouveau élu domicile dans sa ville et s’est de nouveau plongé dans son enfance et ses racines. Il est prêt pour le troisième tome, peut-être pour la guerre et le pardon. Prêt pour clore l’un des projets les plus ambitieux que le rap français ait porté ces dernières années.

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