Avec La Fève, le rap français s’est trouvé un nouveau roi
Pour saisir ce qui est à l‘œuvre sur 24, nouveau projet (faute de mieux pouvoir le qualifier) de la nouvelle star du rap la plus scrutée de mémoire récente, mieux vaut, une fois n’est pas coutume, commencer par la fin. Dans une OUTRO où le...
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Pour saisir ce qui est à l‘œuvre sur 24, nouveau projet (faute de mieux pouvoir le qualifier) de la nouvelle star du rap la plus scrutée de mémoire récente, mieux vaut, une fois n’est pas coutume, commencer par la fin. Dans une OUTRO où le jeune rappeur fait l’état des lieux de 24 années d’existence, dont quatre passées dans l’industrie musicale, il étale souvenirs, nouveau train de vie et visions d’avenir mais, surtout, l’ethos qui sous-tend sa jeune carrière : “En vrai c’est ça le rap […], il y a eu plein de malentendus, on s’est mal compris. Je voulais ramener la culture, moi je voulais qu’elle vous touche comme elle nous a touché.”
Battant en brèche la normativité du terme “new-wave” du rap – à laquelle nous avons finalement contribué à l’heure où trop d’angles morts subsistaient quant à ce mouvement –, La Fève s’est, patiemment et rigoureusement, tenu à sa vision et son programme qui culminent sur 24.
50 nuances d’Atlanta
Pour ce qui est de “ramener la culture”, Louis Ambroise Germain, son vrai nom, s’est donné les moyens. Plutôt que de se vautrer dans les habitudes mortifères du rap français mainstream, consistant à aligner les zéros pour s’octroyer un couplet, souvent médiocre, d’un rappeur américain en vue, La Fève est, tout simplement, parti s’immerger entièrement dans la culture qui le faisait fantasmer alors : celle d’Atlanta.
Au cours de six semaines passées dans la capitale sudiste des États-Unis – séjour qui irrigue aussi bien en termes d’écriture qu’en termes esthétiques l’intégralité de 24 –, le rappeur de Fontenay-sous-Bois (94), accompagné de son duo de producteurs (Lyele et le fidèle Kosei), a tout mis en œuvre pour émuler le plus authentiquement possible la musique d’ATL et la trap des origines.
Outre les passages obligés au Chick-fil-A ou au légendaire strip-club Magic City (mentionnés au détour de punchlines), La Fève s’est surtout octroyé les services d’un mythe moderne de la musique : Zaytoven, producteur inextricablement lié aux succès et au son de Gucci Mane et Migos (entre autres). Un exploit – autant qu’un motif de célébration – vu depuis l’Hexagone, qui traduit d’un même geste l’amour et le respect que porte La Fève à cette musique et son ambition dévorante quoiqu’à rebours de ses compatriotes du rap français.
Bad boys blues
Mais 24 n’est pas qu’une affaire de déférence envers Atlanta. En croisant son itinéraire cahoteux à celui d’un autre Français, Tarik Azzouz, producteur pour Rick Ross ou Meek Mill depuis une dizaine d’années, La Fève s’inscrit, à la fois, dans un imaginaire floridien – celui de la Maybach Music (du nom du label de Rick Ross, dont Azzouz est un des plus fidèles représentants dernièrement) – mais aussi et surtout dans une histoire de transfuge tentant l’aventure par amour de cette musique et de cette culture.
Sur 24, il n’est d’ailleurs presque question que de ça ; prouver par l’exemple l’influence des productions luxueuses de Rick Ross ou l’âpreté de celle du Bricksquad (l’album est un sommet de production de l’année) et en faire le moteur d’une mélancolie finalement pas si éloignée de celle de PNL (qui appliquait le même traitement accablé à la drill de Chicago) : un rap conquérant parce qu’il le doit, mais complètement perdu sur la ligne du temps.
Disque d’interstice
Moins disque d’autocongratulation que véritable plongée dans l’ambivalence de la trap d’Atlanta, (genre clinquant mais constamment affecté), 24 est un album hautement mélancolique parce qu’il semble être un disque d’entre-deux, d’interstice. Un disque au présent sans cesse chahuté, une auscultation du passé alors qu’on y envisage déjà le futur. On y explique à haut débit et avec une classe folle les trahisons, on y repense tendrement aux années de galère plutôt que de profiter d’un strip-club, on y plie l’espace-temps pour y faire cohabiter Fontenay-sous-Bois, Young Dolph, les home studios de fortune et la trap de 2009.
Tout s’y plie et s’y replie, se téléscope dans un bouillon de culture vibrant et résolument touchant. Une lettre d’amour à l’ethos trap d’Atlanta, un formidable exercice d’introspection, la consécration d’un très grand rappeur, et, s’il fallait le préciser, à n’en point douter le meilleur album de rap français de 2023.
24 (Walone/ADA France). Sortie le 22 décembre.