Avec le collectif de citoyens sur le vaccin, la démagogie prime l'intérêt général
Le nouveau maître-mot de l’action publique en France est “le consentement citoyen”. À écouter nombre d’éditorialistes, de philosophes, de responsables politiques, de porte-parole d’organisations de la société civile et d’experts de la chose...
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Le nouveau maître-mot de l’action publique en France est “le consentement citoyen”. À écouter nombre d’éditorialistes, de philosophes, de responsables politiques, de porte-parole d’organisations de la société civile et d’experts de la chose démocratique, il faudrait convaincre un à un chaque citoyen de l’intérêt du vaccin anti Covid-19 et associer des citoyens tirés au sort aux décisions du Ministère de la santé, là où nos voisins mènent une campagne de vaccination rapide et massive, fondée sur l’idée que la vaccination doit être la norme, afin de sortir au plus vite de la crise sanitaire, sociale et économique dans laquelle le monde entier est empêtré depuis bientôt un an. Notre ministre de la santé s’est apparemment rallié à cette nouvelle vision des choses, si bien que, au rythme actuel, il faudra une dizaine d’années pour mener la campagne de vaccination à bien –si les citoyens tirés au sort y consentent– et alors que le nombre de rétifs s’accroît chaque jour face aux atermoiements des pouvoirs publics et à la banalisation du doute quant aux vertus de la vaccination.
On dira que c’est plus démocratique, plus respectueux des libertés individuelles, plus conforme aux aspirations des citoyens de 2021. Que c’est la seule façon de les réconcilier avec l’action publique et les gouvernants, de leur donner le sentiment de prendre leur destin en main, de déjouer les discours complotistes. Que, pour surmonter la pandémie, il faut faire appel à l’intelligence individuelle et collective, à la participation, au sens des responsabilités, au civisme, au débat public, à la raison, et cesser de s’en remettre à des décisions brutales, coercitives et infantilisantes, qui ne sont pas comprises et pas respectées.
Soit, mais il faut savoir ce que l’on fait et en assumer les conséquences.
D’abord, on remet en cause un principe de santé publique –la vaccination systématique et obligatoire pour les maladies les plus dangereuses– défini il y a plus d’un siècle, qui a permis d’éradiquer la variole, et de limiter drastiquement le nombre de victimes de maladies telles que la diphtérie, la coqueluche, la rougeole, le tétanos, l’hépatite B et la tuberculose.
On cherche à rassurer les citoyens, mais le moment semble mal choisi pour faire des exercices de démocratie délibérative et participative.
Ensuite, en recueillant l’avis éclairé de chaque citoyen sur l’efficacité et l’opportunité de la vaccination et en créant des comités de citoyens tirés au sort pour superviser l’action du Ministère de la santé, on remet en cause le fonctionnement même des démocraties contemporaines. Celui-ci repose en effet sur l’idée que les décisions les plus importantes doivent être adoptées par les représentants élus du peuple ou par le gouvernement, placé sous leur contrôle, et que ces décisions, motivées par l’intérêt général, peuvent être imposées aux citoyens. La vie en société implique que chaque citoyen renonce à une partie de sa liberté au profit de la collectivité, pour pouvoir bénéficier en retour de biens publics tels que la sécurité ou la solidarité.
Si l’on estime aujourd’hui qu’il faut consulter chaque citoyen sur l’opportunité pour lui ou elle de se faire vacciner, et qu’il faut créer un comité de citoyens pour examiner les modalités de l’action des autorités de santé, pourquoi ne pas systématiser ces pratiques? Il serait sans doute plus juste et démocratique que l’inspecteur des impôts échange avec chaque contribuable sur le bien-fondé de sa participation au budget de l’État, avant qu’il ne décide de payer ou non ses impôts. Que les gendarmes obtiennent l’adhésion des automobilistes au principe des limitations de vitesse et des contrôles d’alcoolémie. Que le Préfet débatte avec les black-blocs et tous les gens très insatisfaits de leur sort de la légitimité de la destruction de biens publics et privés lors des manifestations, et n’essaient pas de contraindre leur choix en la matière par le déploiement de CRS. Que les professeurs demandent aux élèves et à leurs parents ou à des comités de citoyens tirés au sort s’ils approuvent l’enseignement de l’évolution des espèces selon Darwin, s’ils acceptent l’idée que les forces de l’Axe étaient les méchants pendant la Seconde guerre mondiale, ou s’ils admettent que la vitesse de la chute libre d’un corps est égale à la racine carrée du double produit de l’accélération du champ de pesanteur et de la hauteur dudit objet.
Les cours d’assises –qui impliquent déjà des citoyens tirés au sort via les jurys populaires– pourraient associer les auteurs d’attaques à main armée ou d’assassinats à la discussion des articles du code pénal qui les concernent, ainsi qu’à la détermination de leur peine. Car chacun sait qu’une règle qui n’est pas comprise et une peine qui n’est pas acceptée ne servent à rien, et qu’elles conduiront immanquablement à la récidive et au rejet par les repris de justice de l’autorité de l’État et des règles du vivre ensemble.
Certes, je force le trait, mais l’heure n’est plus aux atermoiements. La France connaît la plus grave crise sanitaire, économique et sociale depuis la seconde guerre mondiale. Il est aujourd’hui clair qu’il n’y a pas de stratégie miracle pour se défaire de ce virus: il n’existe pas de médicament préventif ou curatif largement accessible, l’immunité collective n’est pas atteignable sans hécatombe, et on ne peut multiplier les lits de réanimation ad libitum. En outre, on découvre sans cesse de nouvelles séquelles du Covid, y compris chez des personnes jeunes et en bonne santé: ce n’est pas la grippette que certains persistent à nous décrire. Les autorités publiques, en France comme ailleurs, n’ont d’autre choix d’essayer de contenir la pandémie, en jonglant avec les périodes de confinement et les restrictions d’activités et de circulation, pour trouver un équilibre entre la santé des personnes et celle de l’économie.
La seule solution à cette crise est la vaccination, qui doit être la plus large et la plus rapide possible. Des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, Israël, la Chine ou les États-Unis ont pris une avance considérable dans leurs campagnes vaccinales. En France, on cherche à rassurer les citoyens, mais le moment semble mal choisi pour considérer la parole des sceptiques, des complotistes et des candides au même titre que celle des chercheurs, des médecins et des élus, et pour faire des exercices de démocratie délibérative et participative. Le prix de cette démagogie procédurale sera la persistance d’une crise dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences sanitaires, sociales, économiques et politiques.
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