Avec le délicat “Showing Up”,  Kelly Reichardt signe un hymne discret au faire et au care

Pour apprécier ce huitième film de Kelly Reichardt, il faut dans un 1er temps surmonter le paradoxe qu’entretiennent le film et son titre. Showing Up recouvre à la fois l’acte de faire voir, de rendre visible, de montrer, mais aussi de se pointer...

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Pour apprécier ce huitième film de Kelly Reichardt, il faut dans un 1er temps surmonter le paradoxe qu’entretiennent le film et son titre. Showing Up recouvre à la fois l’acte de faire voir, de rendre visible, de montrer, mais aussi de se pointer à un événement, de se présenter, d’apparaître. Si, d’un point de vue purement scénaristique, le titre colle à ce récit tendu vers le vernissage d’une exposition, il décrit assez peu le projet d’un film plus enfoui qu’exposé, qui se dérobe plus qu’il ne s’offre.

À mille lieues de l’invention d’une nouvelle mythologie des grands espaces américains, préoccupation de l’essentiel de son œuvre, Kelly Reichardt se sédentarise ici dans la vie de Lizzie (Michelle Williams), une sculptrice-céramiste en pleins préparatifs de sa 1ère exposition individuelle, mais qui doit faire face à une série de micro-contrariétés : son chat la tyrannise et blesse un pigeon dont elle doit dès lors s’occuper, sa voisine et propriétaire tarde à venir réparer son chauffe-eau et se vante de ses deux expos à venir, son boulot de secrétaire dans une école d’art la frustre, son frère sombre dans la paranoïa tandis que sa mère ferme les yeux et que son père se fait squatter par des babas cool sexagénaires.

Son visage ne s’illumine vraiment que lorsqu’elle modèle ses figures de femmes échevelées et dansantes

Michelle Williams, figure totémique du cinéma de Reichardt avec qui elle collabore pour la quatrième fois (après Wendy et Lucy, 2008, La Dernière Piste, 2010, et Certaines femmes, 2016), interprète ce ronchonnement à vivre avec un mélange de lassitude et de colère. Crocs aux pieds et robe à imprimés floraux délavés, elle se démène dans ce chaos ordinaire avec opiniâtreté. Dans ce film par ailleurs lumineux et débordant de nature, papillonnant au sein d’une école d’art de Portland aux accents d’utopie communautaire, Lizzie incarne une austérité hargneuse et solitaire. Son visage ne s’illumine vraiment que lorsqu’elle modèle avec ses mains les figures de femmes échevelées et dansantes qu’elle s’apprête à exposer.

L’art épuré de Kelly Reichardt, mélange de rusticité et de raffinement, prend dans ce film un visage sibyllin. Et s’il donne finalement à voir quelque chose, ce quelque chose est d’une simplicité si pure qu’elle en est presque transparente, invisible. Showing Up est un hymne discret au faire et au care, plus qu’à la parade ostentatoire, il est une délicate comptine sur l’obstination à créer malgré toutes les contingences environnantes.

Showing Up de Kelly Reichardt, avec Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett (É.-U., 2022, 1 h 48). En salle le 3 mai.