Avec “Les choses m’échappent”, Les Mercuriales perpétuent la tradition du groupe de rock lettré

Deux gigantesques tours jumelles se dressent, isolées, en bordure du périphérique et de l’autoroute A3, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Construites entre 1975 et 1977, les tours Mercuriales devaient accompagner le développement triomphant d’un...

Avec “Les choses m’échappent”, Les Mercuriales perpétuent la tradition du groupe de rock lettré

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Deux gigantesques tours jumelles se dressent, isolées, en bordure du périphérique et de l’autoroute A3, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Construites entre 1975 et 1977, les tours Mercuriales devaient accompagner le développement triomphant d’un nouveau quartier d’affaires, un double de La Défense pour l’Est parisien. Le projet pharaonique se heurtera au 1er choc pétrolier et sera abandonné.

Les “Twin Towers” de Bagnolet attendent toujours patiemment leur reconversion hôtelière (avec rooftop évidemment). Anciens symboles du capitalisme victorieux dans un quartier paupérisé, elles écrasent le paysage urbain de leur solitude de béton. Ces tours prêtent aussi leur nom à un groupe de francs-tireur·ses parisien·nes, qui partagent ce goût d’une architecture moderne et brute : son sens du détail dans le béton, son romantisme urbain.

Désenchantement lucide

Le groupe Les Mercuriales est construit sur le modèle du romancier-chanteur Jean-Pierre Montal (Leur chamade, Les Leçons du vertige), entouré ici d’un (excellent) backing band avec Thomas E. Florin à la basse, Samuel Ramon (Entracte Twist) à la batterie, Sophie Massa aux claviers (À trois sur la plage), Fred Collay aux guitares, et Stanislas de la Fuzz (Crush of Souls) au saxophone.

L’écrivain-chanteur accompagné d’une formation rock – que ce soit Jack-Alain Léger (aussi appelé Dashiell Hedayat) et Gong, ou Michel Houellebecq – représente quasiment un sous-genre en France. Oui, on pense évidemment très fort à Présence humaine de Houellebecq, composé et orchestré par Bertrand Burgalat, gigantesque album de pop française, sorti au début de l’an 2000. À l’écoute des Mercuriales nous revient ce goût partagé pour le désenchantement lucide, cette douce colère enfouie sous les accords lumineux des claviers et des guitares.

Un parfum unique

Le 1er titre, qui offre son nom à l’album, donne le ton. Dernier inventaire sociétal avant liquidation, Les choses m’échappent distribue coups de crocs (justes) sur l’époque. Le morceau suivant, Les Silhouettes, sonne comme du Lou Reed convoquant les souvenirs d’amitiés perdues en traînant avec Christophe du côté du boulevard des Italiens.

Crooner spleenique sur Je pratique le tir, Montal rend élégamment hommage aux films de Jean-Pierre Melville. Alternant talkover et compositions plus pop, osant l’intime autant que les grands sujets (modernité/progrès, solitude moderne), l’écrivain et son groupe tracent un sillon personnel à travers des textes mordants, qui sortent résolument des poncifs (le mari-la femme-l’amant). En de rares occasions imparfait dans sa production, l’album charme pourtant constamment par sa sincérité et son parfum unique : mélange improbable entre La Solitude de Léo Ferré et Decadence de Kevin Ayers. Et s’il ne contient que six pistes, aucune d’elles n’est à jeter.

Faire du neuf avec du vieux, assumer ses références avec conviction tout en restant original, Les choses m’échappent fait du bien à tout ce qui se chante en français. À l’instar des deux tours solitaires dont ils tirent leur nom, Les Mercuriales dessinent une étrange éclipse printanière sur l’horizon, et s’élèvent, à part, dans le paysage musical français. Pour longtemps, espérons-le.

Les choses m’échappent (Hellzapoppin/Kuroneko). Sortie le 24 mai.