Avec “N’attendez pas trop de la fin du monde”, Radu Jude signe une nouvelle charge politique féroce

Après le fulgurant Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Radu Jude creuse toujours son sillon critique et corrosif. Coupé en deux, son nouveau long métrage suit l’interminable journée de travail d’Angela, assistante de production pour une...

Avec “N’attendez pas trop de la fin du monde”, Radu Jude signe une nouvelle charge politique féroce

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Après le fulgurant Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Radu Jude creuse toujours son sillon critique et corrosif. Coupé en deux, son nouveau long métrage suit l’interminable journée de travail d’Angela, assistante de production pour une multinationale qui s’occupe du casting d’une publicité sur la sécurité au travail, avant de nous montrer le tournage de ce clip en un unique plan fixe. La stratégie politique de Jude est redoutable : filmer le processus de falsification du réel au cœur des images produites par l’ordre libéral contemporain pour mieux les critiquer, les attaquer, les détruire.

Lors d’une séquence à la fois hilarante et tétanisante de réunion d’équipe, le visage de la cheffe marketing, incrusté dans le fond numérique d’une fenêtre Zoom, dirige les opérations telle une apparition divine complètement absurde. Dans ce bureau semblable à une prison de verre hermétique au monde extérieur, l’enjeu est de savoir comment fabriquer l’image la plus séduisante possible de la misère pour attirer les investisseurs.

En montant ces séquences avec des extraits d’un film produit dans les années 1980 sous la dictature de Ceaușescu et à la gloire d’une chauffeure de taxi modèle, le cinéaste met en perspective le pouvoir économique d’aujourd’hui avec le pouvoir politique d’hier. Dans les deux cas, les images dominantes reposent sur des mécanismes pervers qui dépouillent les plus démuni·es de leurs propres reflets, paroles et histoires. Par le zoom et le ralenti, Jude exhume alors du fond de la pellicule des figures du lumpenprolétariat que la censure avait tenté de dissimuler derrière le visage d’une brave travailleuse héroïque.

Éprouver l’épuisement contemporain qui broie les corps et les individus au travail

En se saisissant des puissances du cinéma comme des outils analytiques, ces collages déconstructivistes évoquent les films de Godard, tout en se parant d’un humour dévastateur. Plus encore, le Roumain réussit à dépasser l’exercice théorique, notamment grâce à la force d’incarnation de son interprète principale, Ilinca Manolache, et à un exercice sur la durée et les répétitions qui donne à éprouver l’épuisement tout contemporain qui broie les corps et les individus au travail.

Radu Jude nous offre ainsi l’un des grands films politiques de l’année, où l’esthétique ne se contente pas d’illustrer le discours transcendant et prédéterminé du cinéaste éclairé. L’hétérogénéité formelle, créée par la bipartition de sa structure, par les différents régimes d’images convoqués (la pellicule en couleur, en noir et blanc mais aussi des vidéos TikTok), ou par la multiplication de rencontres, d’anecdotes et de citations, produit une série de collisions fulgurantes à partir desquelles naît un espace de pensée pour le ou la spectateur·rice.

Si au 1er abord N’attendez pas trop de la fin du monde déroute, sa sidérante seconde partie lui confère une relative unité et cohérence en faisant dialoguer tous les éléments précédemment vus. Rarement un film aura donné à voir tout le cynisme et l’ignominie du capitalisme néolibéral de manière si saisissante.

 

N’attendez pas trop de la fin du monde de Radu Jude, avec Ilinca Manolache, Ovidiu Pîrșan, Dorina Lazar (Roum., Fr., Lux., Cro., 2023, 2 h 40). En salle le 27 septembre.