Avec “QALF Infinity”, Damso prend le rap “en otage sans demander de rançon”

Il peut être surprenant d’entendre Damso divaguer au sujet de sa vie intime, remettre en question la complexité de sa personnalité ou douter en entrevue au sujet de sa valeur intrinsèque en tant qu’artiste et être humain. “J’aime moins causer...

Avec “QALF Infinity”, Damso prend le rap “en otage sans demander de rançon”

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Il peut être surprenant d’entendre Damso divaguer au sujet de sa vie intime, remettre en question la complexité de sa personnalité ou douter en entrevue au sujet de sa valeur intrinsèque en tant qu’artiste et être humain. “J’aime moins causer parce que je pense que je n’ai pas trop de choses à dire”. Ce constat, formulé au micro de France Inter, est intriguant. Il contraste avec la profondeur de ses confessions (sur son enfance au Congo, sur ses relations amoureuses, sur ses pensées désabusées), en même temps qu’il dénote avec sa productivité. Après tout, peut-on sortir cinq albums en six ans en n’ayant rien de particulier à livrer ? QALF Infinty, sorti huit mois après la version originelle, permet sérieusement d’en douter.

Sur ce cinquième long-format, et c’est bien là l’essentiel, ce n’est pas la méthode employée qui fascine : une diffusion en exclusivité sur Instagram, un album disponible dès le mercredi soir, sur les plateformes, etc. Ici, ce qui prime, c’est le contenu. Damso a conscience d’être aujourd’hui un artiste influent, et tout laisse à penser qu’il voit désormais son travail comme une plateforme de diffusion d’idées et de théories, capable de guider ses fans vers des réflexions ésotériques, tout un tas de pistes supposément mystérieuses, mais aussi vers des sources extérieures au domaine traditionnel de la culture hip-hop : les lettres grecques, par exemple, qui font écho à celles présentes sur Ipséité, en 2017 – les “puristes”, comme les nomment Damso, apprécieront.

Une célébrité maladive

Reste que si l’on prend d’ores et déjà plaisir à décortiquer chaque phrase de l’album, à cartographier méticuleusement chaque référence ou allusion susceptibles d’être analysées, tout ce jeu entrepris par Dems sur les réseaux ne doit pas faire oublier l’essentiel : QALF Infinity est un album extrêmement bien ficelé musicalement, partagé entre des productions nerveuses et d’autres plus légères, entre des moments terre à terre (“L’alcool brun ne m’fait plus rien, la be-her ne fait plus effet”) et des fulgurances presque philosophiques (“S’faire aimer quand on s’déteste, c’est ça devenir c’qu’on veut être”), entre des courbettes un peu faciles faites à la sainte trinité argent-weed-bitch et des phrases balancées comme des vérités absolues (“L’Enfer c’est la vérité perçue trop tard”).

Le propos est lourd de sens, mais il est finalement logique : à 28 ans, et comme la plupart des gens à l’approche de la trentaine, Damso a suffisamment vécu pour se forger une vision singulière ou pour poser un regard provisoire sur ses valeurs, connu assez de désillusions pour aborder la vie avec un pessimisme tenace (“J’rêve de roses, mais vis dans les ronces”) et assez expérimenté la célébrité pour en tirer les conclusions qu’il faut (“Tu m’aimes pour ce que je suis devenu donc tu m’aimes pour ce que je ne suis pas, t’es parti puis t’es revenu les amis comme toi je n’en veux pas”).

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50 ans nuances de “nwaar”

Cette perpétuelle balance entre le besoin de tout quitter pour Vivre un peu et l’envie de profiter de ses bénéfices (“Merci pour la moula”), a fini par devenir la signature de Damso, son truc, sa marque de fabrique : on attend de sa part de tels épanchements, foncièrement intimes. Le coup de maître du rappeur bruxellois est alors de se jouer de ses différentes attentes. Après un album plutôt romantique, celui d’un gangster tombé love, Damso revient nerveux sur les 1ers morceaux de QALF Infinity : Ο. OG (“Le game, je vais lui niquer sa mère”), et surtout Π. VANTABLACK, qui s’entend comme le prolongement des derniers mots prononcés sur INTRO, l’ultime track de QALF. Traduction : Damso laisse transparaître davantage son côté “nwaar” (logique quand on sait que le vantablack est une matière qui flirte avec le noir absolu), prétexte aux rimes les plus graveleuses, souvent bien senties (“L’humanité tuée dans l’œuf, l’égalité entre homme et meuf, c’est le 69”).

Pour donner vie à toutes ses idées, entre bangers obscurs et mélodies plus ensoleillées, Damso peut une nouvelle fois compter sur ses proches collaborateurs (Prinzly, Ponko, Richie Beats, Ikaz Boi ou Jules Fradet), dont la richesse des arrangements (tantôt reggae, tantôt orchestrés) et le goût pour les productions changeantes trahissent une liberté créative assez folle. Celle d’un Damso en pleine possession de ses moyens et visiblement très à l’aise au sein de ces structures imprévisibles, mille-feuilles, qui se stoppent en plein milieu pour dévoiler des solos de saxo (Σ. MOROSE) ou des instrumentations à la limite de la saturation (X. ZWAAR). Une simple lubie de studio ? Plutôt une volonté de traduire musicalement les multiples facettes d’un artiste dont les pensées contradictoires – nombreuses – n’ont rien d’un caprice opportuniste censé satisfaire son public.

Elles symbolisent à l’inverse une forme d’agilité et de flexibilité, la capacité d’un artiste qui, malgré le succès et l’attente, continue d’envisager son rap comme un écho à ses tragédies personnelles. Avec tout ce que cela comporte de réflexions indicibles (“Son vagin ne m’fait plus rien, son derrière ne fait plus effet/Oh, je suis triste/J’ressens plus grand chose quand tu m’suces la bite”), de confessions acides, de lassitude et de remises en question permanentes. “Les bons moments sont rares dans la célébrité”, lâche-t-il, la voix presque blasée. Peut-être est-ce pour ça qu’il a choisi de n’accorder qu’une entrevue pour accompagner la sortie de QALF Infinity. Peut-être est-ce aussi pour ça qu’il a tenu à préciser qu’aucun clip ne verrait le jour. Toujours est-il que ce cinquième album en dit long sur la personnalité d’un artiste/homme qui assume ses ambiguïtés, questionne les limites de l’intimité et livre une fois de plus un album d’une grande maîtrise.

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