Avec “The Northman”, Robert Eggers ne transcende pas le maniérisme formel

Attendu comme l’un des blockbusters d’auteur de l’année, The Northman jouit, sur le papier, du même pedigree que le Batman de Matt Reeves, The Eternals de Chloé Zhao ou le Dune de Denis Villeneuve. Chacun de ces quatre films représentent pour...

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Attendu comme l’un des blockbusters d’auteur de l’année, The Northman jouit, sur le papier, du même pedigree que le Batman de Matt Reeves, The Eternals de Chloé Zhao ou le Dune de Denis Villeneuve. Chacun de ces quatre films représentent pour son·sa cinéaste une incroyable montée en gamme dans la hiérarchie hollywoodienne, d’abord budgétaire, avec une somme dépassant celle allouée à leur précédente réalisation (ici 90 millions de dollars contre 11 et 4 millions pour The Lighthouse et The Witch), mais aussi dans l’éclat, avec un casting à chaque fois bardé de stars, alliant gloire installées et nouvelles pousses (ici Nicole Kidman, Björk, Alexander Skarsgård, Anya Taylor-Joy, Willem Dafoe et Ethan Hawke). 

Mais contrairement aux autres, The Northman n’est pas sous le joug d’une licence Marvel ; il n’est pas non plus le fruit d’un remake de film de SF culte, ou le reboot du champion du catalogue DC. Non, son référentiel a quatre siècles, puisqu’il s’agit d’une énième réécriture de Hamlet. Bref, Eggers n’avait pas à remplir un autre cahier des charges que celui de sa propre ambition. Ce ne sont pas les puristes du dramaturge élisabéthain qui iront lui reprocher son Hamlet perfusionné à la testostérone. Car si The Lighthouse était un film bituré d’écumes et de délires d’ivrognes, il se dégage de celui-ci une odeur tout aussi âpre, celle de la transpiration qui suinte des muscles en rut et du sang qui stagne dans les marres de la vengeance. 

Pour de faux

En trois films, Robert Eggers a montré à quel point il n’aime rien tant que s’abreuver au sein de folklores divers (fable sur la sorcellerie dans The Witch, légendes de marins dans The Lighthouse et à présent mythe du viking bodybuildé) pour les illustrer par de solennels exercices de style, dans lesquels son extrême maniérisme est mis au service d’une vision du cinéma comme un tour de manège. Il nous fait monter à bord de ses films comme on s’installerait dans le wagon d’un petit train fantôme. Comme à la fête foraine, ce sont les moyens mis en œuvre pour susciter la sensation forte qui impressionnent, mais on n’oublie jamais que tout cela, c’est pour de faux. 

Et quand on se met à regarder derrière l’impressionnante figure en carton pâte qu’est The Northman, on est consterné par la bêtise du film, qui n’est finalement qu’une sorte de remake luxueux du déjà raté Valhalla Rising d’un autre maniériste, Nicolas Winding Refn : même culte d’un virilisme brutasse, même fascination pour la loi du talion. Et si Eggers finit par pointer l’absurdité d’un tel masculinisme après en avoir célébré les manifestations les plus décérébrées, le film souffre de la comparaison avec un film médiéval autrement plus intelligent et subtil, The Last Duel de Ridley Scott. Les deux films ont le même sujet de fond (la crise du masculinisme), le même moteur narratif (la vengeance), les mêmes personnages masculins misogynes et la même conclusion en forme de duel à mort final révélant toute l’absurdité de leur entreprise. Sauf que Scott cogite et nous fait cogiter à travers ses images quand Eggers ne vise rien d’autre qu’une sensation forte abrutissante. 

The Northman de Robert Eggers, en salles le 11 mai 2022.