Avoir des enfants ou pas: 3 livres pour que la société relâche la pression

SOCIÉTÉ - “Vous avez des enfants?” Dans la vie d’une femme, cette question arrive souvent très peu de temps après un simple “bonjour”. Une pression qui peut vite devenir pesante, qu’on ait envie d’avoir des enfants ou pas. Surtout en France,...

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Avoir des enfants ou pas: 3 livres pour que la société relâche la pression. (Photo d'illustration Sven Hagolani via Getty Images/fStop)

SOCIÉTÉ - “Vous avez des enfants?” Dans la vie d’une femme, cette question arrive souvent très peu de temps après un simple “bonjour”. Une pression qui peut vite devenir pesante, qu’on ait envie d’avoir des enfants ou pas. 

Surtout en France, où la maternité, plus qu’ailleurs, est sacralisée. Les politiques familiales existent depuis 1913: la famille est une affaire d’État et faire des enfants une évidence ancrée dans les mentalités. En 2015, l’État consacrait l’équivalent de 3,7% du PIB aux politiques familiales, contre 2,8% en moyenne dans l’UE et 2,4% dans l’OCDE, d’après un rapport de la Cour des comptes de 2017. La France est en tête des taux de fécondité européens avec 1,84 enfant par femme en métropole en 2019. Ce choix de société a engendré un modèle social protecteur mais aussi une certaine intolérance à la remise en question de la famille et de la maternité traditionnelles.

“On a une idéalisation d’une famille normée dans une vision assez conservatrice de la société où la famille est sanctuarisée”, souligne l’élue de Paris Geneviève Garrigos, qui a témoigné pour le HuffPost en tant que victime d’inceste dans le sillage du mouvement #MeTooInceste, déclenché par la révélation par Camille Kouchner de celui commis par Olivier Duhamel.

Dans ce contexte, ne pas avoir d’enfant apparaît la plupart du temps comme une anomalie. Or, en raison de la pollution environnementale notamment, l’infertilité progresse. L’incapacité à avoir des enfants pourrait devenir un problème de société, comme l’envisagent de manière dystopique le livre et la série La servante écarlate (Robert Laffont, 1987). Jusqu’ici étouffées par la société, des voix s’élèvent pour faire évoluer les mentalités et permettre à chacune de vivre son destin sans honte ni stigmatisation. Écoutons-les. 

“J’ai décidé de ne pas être mère” (L’Iconoclaste, 2021), Chloé Chaudet

En rentrant en France après plusieurs années d’études en Allemagne, Chloé Chaudet ressent ce qu’elle appelle un “choc culturel parentaliste”. Là-bas, on ne lui avait jamais demandé si elle voulait des enfants. De retour dans l’Hexagone, les interrogatoires pleuvent: “Vous avez des enfants?” “C’est pour quand?” “Tu n’as pas peur de finir seule?” L’autrice fait partie d’une minorité que la société veut convertir: “4,5% des femmes ne souhaitent pas devenir mères […]. Et un peu moins de 15% n’ont pas d’enfant”, précise-t-elle.

Parce qu’elle subit des intimidations incessantes, l’enseignante-chercheuse à l’Université Clermont Auvergne débute son récit biographique par un coup de poing dans la vitre: “Le destin des femmes n’est pas de devenir mère”. Son but n’est pas le prosélytisme mais l’espoir que son choix soit un jour respecté: “Ce sont des femmes, et seulement des femmes, qui m’ont jeté à la figure ma solitude future. […] Aucun de mes compagnons n’a eu à subir ce genre de remarque”. Être une femme sans enfant, c’est être considérée comme incomplète ou ratée, mais les hommes échappent au stigmate. Comme l’écrit Mona Chollet dans Sorcières (Zones, 2018): “Un homme qui ne devient pas père déroge à une fonction sociale, tandis qu’une femme est censée jouer dans la maternité la réalisation de son identité profonde.”

Cette inégalité est encore un angle mort du féminisme, qui n’a pas été jusqu’à dissocier le destin des femmes de leur rôle de mère, explique Chloé Chaudet: “Cette revendication parallèle a été minorée, mise de côté. Insuffisamment défendue”. La seconde partie du slogan féministe “un enfant quand je veux, si je veux” a été oblitérée, rappelle-t-elle, les féministes françaises ayant concentré leur lutte sur le “quand je veux”, c’est-à-dire le droit à l’avortement, aujourd’hui menacé dans l’Union européenne (en Hongrie), quasiment interdit (en Pologne), voire interdit (à Malte).

Ce récit montre combien vivre en dehors de la norme de la maternité est éprouvant et rend le choix de ne pas avoir d’enfant quasiment intenable. Ce droit à l’autodétermination, l’autrice le propose comme nouvelle lutte au féminisme post-#MeToo. Une revendication de l’ordre de la sororité qui pourrait servir à d’autres femmes, celles dont l’infécondité n’est pas choisie et dont la douleur est racontée dans le roman bouleversant de Salomé Berlioux. 

“J’ai décidé de ne pas être mère” de Chloé Chaudet, éditions L’Iconoclaste, paru le 15 avril 2021, 240 pages, 19 euros.

 

“La peau des pêches” (Stock, 2021), Salomé Berlioux

Salomé Berlioux a romancé son histoire personnelle pour exorciser la souffrance. À 28 ans, son personnage, Diane, fait face à l’infertilité de son couple alors qu’elle rêve d’avoir des enfants. L’injustice ressentie est d’autant plus violente que l’infertilité reste inexpliquée et prend un tour surréaliste: “Le plus probable est que vous puissiez avoir tous les enfants dont vous rêvez, mais avec d’autres. C’est en fait votre couple qui est infertile”. 

Et la situation est d’autant plus difficile à vivre que la maternité est considérée comme une évidence par la société, comme dans l’expérience vécue par Chloé Chaudet. “Simple pour tous, si bien que la question survient en quelques minutes, lors d’une discussion avec un chauffeur de taxi, d’une réunion professionnelle ou d’un small talk chez le primeur: ‘Et vous avez des enfants?‘” rapporte l’autrice. Elle explique pourquoi ce silence de la société sur l’infertilité la fait souffrir: “Je crois que ma volonté d’écrire est née de ce silence. Pour être en mesure de se battre correctement, il faut savoir. Sinon on se bat à tâtons. Et on se blesse. On perd des batailles. On peut même ne jamais se relever.”

Salomé Berlioux livre un récit solaire qui donne chair aux sentiments dans des scènes où la sensualité de l’amour de Diane et Aurélien éblouit. Elle donne aussi corps à Diane lors d’une étape saisissante de PMA où, jambes sanglées et sexe ouvert, les piqûres introduisent l’anesthésie locale dans le col de l’utérus: “Une douleur indescriptible m’irradie. C’est profond. Une déchirure. Un goût de sang emplit ma bouche. Mes jambes se bloquent dans les courroies. La seringue met plusieurs secondes à s’enfoncer.” La torture comme si on y était. Le tabou dans le tabou, c’est aussi ce que la PMA fait subir au corps des femmes.

La conclusion de l’autrice rejoint celle de Chloé Chaudet: “Qu’on arrête de demander, comme une évidence, à une femme de trente ans si elle a un projet de bébé en route, sans imaginer ce que ces questions impliquent –si elle n’en veut pas ou ne peut pas en avoir. Je voudrais que les couples en PMA se sentent moins seuls. Nous sommes si nombreux. Ce sentiment de solitude, d’anormalité, n’est pas obligatoire.”

“La peau des pêches” de Salomé Berlioux, éditions Stock, paru le 31 mars 2021, 288 pages, 20,90 euros.

 

“Devenir Beauvoir – La force de la volonté” (Flammarion, 2020), Kate Kirkpatrick

Celle qui a, la 1ère, affirmé le destin des femmes pour lui-même dans sa vie et dans ses œuvres, se soustrayant à la maternité et au mariage, cassant les codes de son milieu social, la haute bourgeoisie, c’est Simone de Beauvoir.

Aujourd’hui encore, 35 ans après sa mort, son destin reste subversif, à travers ses relations lesbiennes et ses expériences polyamoureuses. Mettant l’accent sur l’indépendance de sa pensée, la biographie de Kate Kirkpatrick retrace ce qu’a été pour Simone de Beauvoir “la grande aventure d’être elle-même”. Mais l’écrivaine n’était pas une ennemie de la maternité en général: elle s’opposait à la maternité patriarcale qui réduit le destin des femmes à celui d’esclave du foyer et des enfants.

Simone de Beauvoir libère encore des femmes dans le monde, y compris dans un pays où son œuvre est interdite: l’Arabie saoudite. Dans l’émission La Grande Librairie du 28 avril dernier, Hélène Coutard, autrice du livre Les Fugitives: partir ou mourir en Arabie saoudite (Seuil, 2021) rapporte que l’une de ces femmes opprimées a pris conscience de sa condition et réalisé qu’une autre vie était possible en lisant clandestinement Le deuxième sexe. La fécondité de Simone de Beauvoir, comme pour toute femme, réside (aussi) ailleurs que dans son utérus: dans la puissance libératrice et la capacité à se penser soi-même en-dehors de tout carcan qu’elle transmet aux femmes. Il serait temps que la société admette que pour les femmes aussi, l’existence précède l’essence.

“Devenir Beauvoir - la force de la volonté” de Kate Kirkpatrick, éditions Flammarion, paru le 28 octobre 2020, 576 pages, 26 euros.

 

À voir également sur Le HuffPostAnne Hathaway soutient celles qui, comme elle, souffrent d’infertilité