#Balancetonporc: Je suis fière de la France et de sa justice qui a su se réinventer
Le 13 octobre 2017, en pleine libération de la parole aux États-Unis où je réside, j’ai décidé de relater mon expérience de femme sous la forme du hashtag #Balancetonporc. Ce vendredi 13, ruminant cet incident dans un coin de ma mémoire, j’ai...
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Le 13 octobre 2017, en pleine libération de la parole aux États-Unis où je réside, j’ai décidé de relater mon expérience de femme sous la forme du hashtag #Balancetonporc. Ce vendredi 13, ruminant cet incident dans un coin de ma mémoire, j’ai livré le nom de la personne qui a reconnu les propos. Je ne le donnerai plus car il ne compte pas. Deux jours plus tard, mon message principal était traduit par Alyssa Milano et devenait le nouveau mouvement #MeToo, après celui lancé en 2007 par l’activiste Tarama Burke.
Avant moi, l’actrice Rose McGowan, la chanteuse Taylor Swift mais aussi des femmes de chambres anonymes dans des hôtels, des professeurs d’Université de New York comme Céleste Kidd, des lobbyistes californiennes comme Adama Iwu décidaient de briser le silence. En France, Flavie Flament, Tristane Banon et d’autres avaient ouvert la porte pour dénoncer l’inacceptable.
Quelques semaines plus tard, j’apprenais que je devais comparaître devant les tribunaux pour avoir raconté mon histoire. Alors que j’avais été récompensée parmi d’autres femmes et hommes en décembre 2017 en tant que personnalité de l’année par le magazine TIME, pour avoir permis de briser ce lourd silence. Puis par le Président de la République Emmanuel Macron le 30 janvier 2018 pour la même raison. En quelques mois je me suis sentie comme une véritable paria.
Il fallait continuer de se battre ou s’écrouler. J’ai choisi la 1ère option.
Alors il fallait continuer de se battre ou s’écrouler. J’ai choisi la 1ère option. Ce combat judiciaire mené depuis 3 ans est le combat de toutes les victimes pour être crues, entendues, respectées. Il a permis de porter sur la place publique le débat sur les mauvais comportements sexuels.
Le 25 septembre 2019, la 17e chambre du tribunal de Paris, dite chambre de la Presse, m’a condamnée en 1ère instance -entre autres- pour avoir “manqué de prudence” dans mon tweet. Pour l’utilisation d’un mot de manière non juridique. Pour ne pas avoir tweeté avec deux avocats à mes côtés et un dictionnaire Dalloz sous le bras. Cela m’a valu d’être condamnée à verser 28.000 euros au plaignant (15.000 de dommages et intérêts, 5.000 pour frais d’avocat et à l’obligation de deux publications judiciaires à hauteur de 4.000 euros). Puis, j’ai fait appel. Cette fois-ci, le plaignant m’a réclamé 240.000 euros. Ce mercredi 31 mars, il a été débouté de toutes ses demandes.
Aujourd’hui, après 8 ans aux États-Unis, au terme d’une procédure exténuante, je suis fière de mon pays d’origine. Soupçonnée de ne pas évoluer, d’être un foyer de résistance à la cause des femmes, de favoriser une culture machiste, la France a prouvé par cette décision qui m’a lavée de tous les chefs d’accusation qu’elle savait changer. La justice est capable d’intégrer des changements sociétaux plutôt que de rester ancrée dans une lecture rigide du droit. Elle a su se réinventer.
Dans les faits, j’ai été attaquée en justice pour un tweet publié un jour sous le coup de la colère, sans esprit de revanche. Il fallait relater cette très mauvaise expérience. Pour dire stop. Selon mon agresseur, il s’agissait uniquement de “drague lourde”. J’ai très mal vécu cette minimisation de l’agression verbale sexiste que j’ai subie. Cette phrase attaque l’intimité. C’est une violence. Une de celle qui vise les organes sexuels. “Tu as des gros seins”. Une poitrine trop généreuse que j’ai plusieurs fois songé à réduire depuis. Que j’ai caché encore plus souvent. “Je vais te faire jouir toute la nuit”. Il appartient à chacun de jauger le niveau de son ressenti.
L’année d’avant, toujours à Cannes, j’avais encaissé un coup de poing par un acteur dans un grand hôtel. Avec des traces de coups, des témoins, j’avais pu déposer une main courante au commissariat. Je me suis sentie libérée. La procédure poursuivait son cours. Ma nouvelle agression, verbale cette fois-ci, n’était pas qualifiable. La loi d’outrage sexiste créée par l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité Marlène Schiappa en 2018 est justement née de ce mouvement de révolte consécutif à mon tweet.
Je déplore que les micros soient grands ouverts aux agresseurs. On les laisse salir et attaquer encore les victimes. Partout: dans la presse, à la radio, à la télévision ou dans les livres.
Je déplore que les micros soient grands ouverts aux agresseurs. On les laisse salir et attaquer encore les victimes. Partout: dans la presse, à la radio, à la télévision ou dans les livres. Ils ont un couloir grand ouvert vers la starisation. Il faut les ignorer et prendre en compte ce que la victime endure, faire appel au sens commun.
Quels sont la réalité et le quotidien des briseuses de silence? Celles qui m’écrivent me expliquent les mêmes symptômes: troubles du sommeil, elles dorment peu ou trop. Difficulté à assumer les petits actes de la vie de tous les jours: cuisiner, ranger ou travailler devient insurmontable. Deux d’entre elles, attaquées par la ligue du LOL, m’ont avoué qu’elles partageaient le même chiropracteur à force d’avoir le dos coincé. Problèmes psychologiques, physiques pour d’autres. Somatisation. Dans mon cas, à chaque étape judiciaire un problème physique grave. Normal, l’immunité du corps dégringole à chaque choc.
J’ai perdu une partie de ma santé physique et de ma force, ces trois dernières années, entre les campagnes de désinformation, les attaques, les pressions et les menaces à mon égard, inhérentes à cette procédure bâillon. Pression judiciaire et assèchement financier: une méthode classique pour faire taire les paroles qui se libèrent. Mais je suis restée debout.
Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, il n’existe pas de vraies ou de fausses victimes. Subir un écart de langage, une attaque sexiste, une agression sexuelle tient du même ressort: le non-respect de la condition féminine. Passer la limite du non-consentement n’est pas acceptable. Il sert un seul but: celui de faire disparaître la femme, de l’invisibiliser.
La façon dont il m’a été intenté en a fait le procès de la honte.
#Balancetonporc a été une caisse de résonance car toutes les femmes du monde ont entendu ces mots impropres, à caractère sexuel et pornographique. Toutes celles qui ont repris ce hashtag et m’ont écrit -près d’un million de réponses- se sont senties insultées. Hommes ivres ou pas, années 90 ou années 2020, toutes ont déjà connu ces situations. Cette violence culturelle a été tolérée, acceptée, intégrée. Les #Balancetonporc et #MeToo ont créé du lien entre les victimes, leur ont permis de dialoguer, de se soutenir, et de s’interroger sur des paroles et des comportements inadmissibles, ancrés dans de mauvaises habitudes séculaires. Il a aussi ouvert un chemin vers une meilleure écoute.
Enfin, une dernière petite musique a été jouée par les détracteurs ces dernières années. La justice est-elle remplacée par Twitter? Peut-on condamner une personne dénoncée sur les réseaux sociaux sans passer par la case justice? On voudrait les opposer, pourtant les tribunaux populaires et judiciaires ont toujours coexisté. Il s’agit de débats d’idées. Ils sont essentiels au fonctionnement d’une bonne démocratie. Au départ les livres, puis la presse, la radio, la télévision et enfin internet. Le 7ème pouvoir est nécessaire et sain: il contribue à un équilibre. Il change les codes et la loi.
Si la délation est méprisable, la dénonciation est utile.
Les réseaux sociaux ont offert aux victimes un espace de réconfort, d’échange là où leur parole n’a pas été écoutée. Les nouvelles technologies font partie de notre paysage. Aucun retour en arrière n’est possible. Si les tuyaux ont évolué, le message prime. Avec une limite soulignée par la cour d’Appel: que les femmes dont la parole a été libérée “ne dénoncent pas des hommes inconsidérément sur les réseaux sociaux en proférant des accusations mensongères à leur égard”. D’ailleurs, sur le nombre de noms dévoilés, combien l’ont été à mauvais escient ou par esprit de vengeance? Ces “silence breakers”, elles aussi, ont poussé un cri de colère. Ni plus ni moins.
Depuis #BalanceTonPorc et #MeToo, le nombre de plaintes a augmenté de plus de 20% à Paris, à New York ou ailleurs dans le monde. Partout, jaillit le même désir de dire, de se libérer. Ce qui m’est arrivé n’est pas une exception. Ce combat judiciaire pénible a pris plus de 3 ans de ma vie. C’est celui de beaucoup d’autres qu’il est urgent de croire, entendre et respecter. Ce hashtag a créé du lien entre les victimes, leur a permis de dialoguer, de se soutenir, de s’interroger, et de ne plus avoir peur de dénoncer. Car si la délation est méprisable, la dénonciation est utile.
La façon dont il m’a été intenté en a fait le procès de la honte. Pour supporter l’insupportable, il faut se transformer en “warrior”, en survivante. À toute grande cause collective une équipe exceptionnelle. C’ est aussi le combat de mes avocats, Maître Szpiner, Maître Dousselin, Maître Baroin, Maître Coiffier, qui ont travaillé sans relâche pour ce résultat inouï. Je suis soulagée qu’il se termine pour l’instant en “happy end”.
Des plus hautes instances de l’État, aux associations de féministes, en passant par des philosophes, intellectuels et des membres de la société civile, de très nombreuses personnalités ont accordé leur soutien à ce mouvement, soulignant toute la nécessité d’alerter et d’agir contre ce type d’agressions. Continuons ensemble!
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