Barbara Pompili est-elle piégée par les limites écolos du quinquennat Macron?

POLITIQUE - “C’est une femme courageuse”... Voilà l’expression qui revient chez la plupart de nos interlocuteurs quand on leur cause de Barbara Pompili. Il faut dire que pour une ancienne écologiste, le poste de ministre de la Transition écologique...

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La ministre de la Transition écologique Barbara Pompili après le Conseil des ministres du 10 février

POLITIQUE - “C’est une femme courageuse”... Voilà l’expression qui revient chez la plupart de nos interlocuteurs quand on leur cause de Barbara Pompili. Il faut dire que pour une ancienne écologiste, le poste de ministre de la Transition écologique au sein de la Macronie s’apparente à une opération survie en milieu hostile, digne des meilleurs épisodes de Koh Lanta.

Les précédents candidats n’ont d’ailleurs pas tenu longtemps. Après les démissions emblématiques de ses prédécesseurs, Nicolas Hulot à cause des lobbies et François de Rugy à cause des homards, Barbara Pompili prend la tête du deuxième ministère dans l’ordre protocolaire le 6 juillet 2020, après un passage discret d’Élisabeth Borne, désormais au Travail.

La mission est rude: défendre un bilan dont elle n’est pas responsable et auquel elle s’est souvent opposée par le passé et réussir à convaincre les Français que le bilan d’Emmanuel Macron est “le plus important jamais réalisé” en matière de climat en vue de la présidentielle de 2022.

Pour y arriver, un parcours semé d’embûches avec des épreuves dont l’une, la plus importante, s’ouvre ce lundi 29 mars à l’Assemblée nationale. Le projet de loi “Climat résilience”, issu de la Convention citoyenne pour le climat arrive dans l’hémicycle après son examen en commission. 

Il y a des lobbies très forts qui agissent autour de cette loi. Ça montre qu’on est dans le vif du sujet.Barbara Pompili au HuffPost

Des travaux que le chef de l’État avait promis de transmettre “sans filtre” au Parlement mais qui, finalement, se retrouvent réduits en un projet édulcoré. En cause, la pression des lobbies, également identifiée par la ministre. “Les cabinets sont inondés de coups de fil, pour nous ‘alerter’ sur tel ou tel aspect du texte. On sait très bien d’où ça vient. Il y a des lobbies très forts qui agissent autour de cette loi. Ça montre qu’on est dans le vif du sujet. Mais malgré ça, il faut aller le plus loin possible”, reconnaissait-elle auprès du HuffPost à la mi-mars.

Fin février déjà, elle prévenait les causementaires auprès du média spécialisé Reporterre qu’elle “n’accepterait pas” une “baisse d’ambition du texte”. Recadrage illico par le président de l’Assemblée Richard Ferrand, qui lui a rappelé l’indépendance du Parlement dans un tweet lapidaire. “Richard était dans son rôle, ce n’était pas méchant. J’ai même liké son tweet”, relativise aujourd’hui la ministre. Comme la dernière escarmouche d’un passage qui est loin d’être une promenade de santé. 

 

Glyphosate, néonicotinoïdes et effet boomerang 

Dès son arrivée, “les emmerdes volent en escadrilles”, comme aurait dit Chirac. En août, elle est obligée de défendre la poursuite des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave et de renoncer à des ambitions qu’elle avait elle-même fait voter en 2016 quand elle était secrétaire d’État à la Biodiversité sous François Hollande.

En novembre, c’est la question du glyphosate qui lui revient comme un boomerang. La promesse d’Emmanuel Macron d’interdire le pesticide en 2020 n’est pas tenue et aucune inscription dans la loi pour une future interdiction n’est retenue. Ministre, elle défend cette position; présidente de la commission du Développement durable, elle s’y était opposée. Et les exemples pourraient se multiplier.

"Le remaniement, c’est le reniement direct !“Clément Sénéchal, Greenpeace France

À l’image de cet amendement déposé en tant que présidente de la commission du développement durable, le 20 juin 2020, trois semaines avant sa nomination. Approuvé par Greenpeace, l’amendement imposait aux entreprises aidées par l’État au sortir du 1er confinement de conditionner ces aides à leurs réductions d’émissions de gaz à effet de serre.

“Du jour au lendemain, elle l’a abandonné pour se ranger derrière un amendement ‘greenwashing’ de la majorité, pile poil au moment d’entrer gouvernement. Le remaniement, c’est le reniement direct!“, critique Clément Sénéchal, porte-parole climat chez Greenpeace qui lui a décerné le prix de “boulet du climat 2020”.

Une récompense ironique qui, selon nos informations, a heurté la ministre, qui a souvent travaillé avec l’ONG. “Quand on est députée, on est dans un rôle plus tribunitien, c’est normal. Quand on est au gouvernement, on gère et on est tenu à la solidarité gouvernementale”, justifie son entourage à propos de ces évolutions. 

Rapport de force et chaises musicales

Certains marcheurs lui reprochent surtout un manque de “loyauté” et peuvent être surpris par ses méthodes. La 1ère entrevue qu’elle accorde en tant que ministre au Mondeet dans laquelle elle refuse de dire si elle fera la campagne de Macron en 2022 a laissé des traces. “Le soupçon de déloyauté est encore extrêmement présent. Il y a eu cette entrevue, mais aussi ce truc avec En Commun: un pied dedans un pied dehors”, observe un cadre de la majorité, en référence au parti qu’elle a lancé en avril 2020 avec le député de Paris Hugues Renson.

Le fait qu’elle entre au gouvernement trois mois plus tard malgré cet acte d’indépendance n’est pas passé chez beaucoup de députés qui se disent “loyalistes”. “Elle a chevillée au corps cette culture des Verts qui est la culture du rapport de force. C’est très pénible pour ceux qui essaient de faire politique autrement par la conviction ou les compétences”, témoigne, amer, un élu LREM/

“On ne se fait pas que des amis quand on devient ministre, il y a des gens qui doivent penser qu’ils auraient pu occuper la place”, la défend Erwan Balanant, député MoDem qui salue son “courage” et le “travail très fluide” avec elle, en tant que rapporteur du titre 6 du projet de loi sur le climat qui concerne “la protection judiciaire de l’environnement”.

Un long parcours chez EELV

Il faut dire que la ministre a une certaine expérience des enjeux de coulisses. Sa véritable éclosion politique, ce sont ses anciens camarades EELV qui en causent le mieux. Diplômée de Science Po Lille, Barbara Pompili rejoint le parti écolo en 2000. Deux ans plus tard, la jeune militante est repérée pour “fluidifier les relations avec la presse” lors de la campagne présidentielle de Noël Mamère. 

Après, comme souvent en politique, tout est une affaire de choix. Et au lieu de répondre favorablement à l’appel de Denis Baupin à la mairie de Paris, elle se positionne pour travailler aux côtés d’Yves Cochet, fraîchement élu député, auprès duquel elle restera 10 ans. Jusqu’à décrocher le poste de secrétaire générale adjointe du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, alliant communistes et Verts. Ce qui, selon Alexis Braud, aujourd’hui en charge de la campagne de Yannick Jadot et à l’époque témoin d’un ”étrange vote interne” aurait été déterminant dans son ascension.

Ce qui fait qu’elle a gagné, c’est ce qui se fait de pire en politiqueAlexis Braud (EELV)

Car au moment où les écolos sont invités à choisir entre Barbara Pompili et Émilie Thérouin pour représenter EELV dans la Somme (une circonscription jugée gagnable dans l’optique d’une victoire de François Hollande), son CV jouera pour elle. “Elles faisaient partie de la même motion, c’était donc très serré, puisqu’il n’y avait pas de divergences de fond. Finalement, Barbara l’a emporté. Et ce qui fait qu’elle a gagné, c’est ce qui se fait de pire en politique. En étant investie, elle libérait son poste à l’Assemblée nationale pour caser quelqu’un d’autre. Voilà comment sa carrière a décollé: par un jeu de chaises musicales”, rapporte le stratège écolo, qui rappelle que ce choix avait été vivement contesté par les militants locaux, qui dénonçaient un “parachutage”.

“Elle vivait déjà à Amiens et a obtenu cette circonscription parce qu’elle était un espoir du parti. Ça n’a rien à voir avec des combines”, répond l’entourage de la ministre aujourd’hui qui soutient qu’elle avait déjà mené des campagnes par le passé, notamment dans le 15e arrondissement de Paris aux municipales de 2008 ,”à un moment où tout le monde se fichait de l’écologie” et que cette expérience aurait joué en sa faveur.

“Elle adopte la stratégie des verts depuis longtemps: être la minorité dans la majorité”, relève un député LREM influent. Et à ce nouveau poste, c’est d’autant plus flagrant. Comme lorsqu’elle doit défendre les menus végétariens dans les cantines, votés par la majorité dans la loi Egalim, mais descendus en flèche par ses collègues du gouvernement Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur ou Julien Denormandie, à l’Agriculture quand le maire EELV de Lyon les imposent temporairement pour des raisons sanitaires. “Là, elle a repris son rôle de tribunicienne pour réaffirmer ses convictions et la ligne du gouvernement”, décrypte son entourage après une polémique dont “on se serait bien passé”, dit-on au sein de l’exécutif.

 

Le spectre de l’isolement 

Un épisode qui vient accréditer la thèse de son isolement au sein du gouvernement défendue par beaucoup. “Ah mais je ne la connais pas”, nous a rétorqué une ministre “amie” citée par son cabinet pour venir alimenter ce portrait. En privé, les mots sont parfois plus durs. “Non, mais faut qu’elle arrête, elle va nous supprimer la voiture bientôt”, pestait en février un ministre venu de la gauche qui se dit “bien plus proche de Gérald (Darmanin, NDLR)”. “La personne est isolée, mais la ministre est importante. Elle est clivante et ne pèse pas lourd, mais son ministère est important pour tout le monde”, résume un poids lourd d’en Marche à l’Assemblée.

“On sait qu’elle est esseulée au sein du gouvernement”, décrypte son ancien collègue député Matthieu Orphelin, “Elle leur sert d”alibi. Elle râle, mais on lui demande de gagner des arbitrages pas de râler”, pointe le candidat à la région Pays-de-la-Loire, face à François de Rugy. 

Et des arbitrages, Pompili en a perdu dans cette longue négociation pour faire aboutir dans la loi les propositions de la Convention climat, notamment face à Bercy. Elle souhaitait une taxe aux poids sur les véhicules lourds axée sur la proposition de la convention, Bercy n’en voulait pas. Elle voulait réduire le remboursements des frais kilométriques pour les véhicules lourds, Bercy n’en a pas voulu. “On allait quand même pas demander à des infirmiers libéraux qui bossent dans leur voiture de rouler en Twingo” justifie-t-on dans les couloirs du ministère.

Enfin, elle voulait empêcher la pub sur les voitures fossiles. Perdu là encore. “Elle ne perd pas d’arbitrages, elle est dans la culture du compromis”, rétorque son entourage qui rappelle que la taxation sur les véhicules lourds a finalement été adjugée à 1800 kg, soit un compromis entre les 1400 kg souhaités par la Convention climat et le veto initial de Bruno Le Maire qui a lui aussi d’une certaine manière reculé. Quant à la pub, les constructeurs se sont engagés par communiqué à la réduire pour les véhicules fossiles. Une alternative à la loi qui lui convient tout en laissant le Parlement acter la finalité du texte. “Il n’y a aucune chance pour que ça bouge à l’Assemblée. C’est l’un des sujets les plus déceptifs du texte”, regrette Matthieu Orphelin.

Barbara est une femme politique avant tout. C’est pour ça qu’elle s’entend bien avec Bruno Le Maire, ce sont deux politiques qui savent bosser ensemble.Entourage de Bruno Le Maire

Une culture du compromis -ou de l’adaptation- appréciée jusqu’au plus haut sommet de Bercy. “Barbara est une femme politique avant tout. Il y a des choses sur lesquelles elle joue, elle sait où appuyer. C’est pour ça qu’elle s’entend bien avec Bruno Le Maire, ce sont deux politiques et donc ils savent bosser ensemble même quand ils ne sont pas d’accord”, note-t-on dans l’entourage du ministre de l’Économie qui l’assure: “Sur les grands fondamentaux ils sont d’accord, il peut y avoir des désaccords sur la façon d’y arriver, mais ils font chacun des compromis”. 

“Il y a une figure imposée au ministère de l’Écologie, c’est la supposée ‘guerre des arbitrages’ avec l’Agriculture ou Bercy. C’est un piège: si vous réagissez, on vous accuse de faire de la polémique et si vous ne réagissez pas on vous reproche de ne pas exister”, analyse François de Rugy, passé par le ministère. “Je connais Barbara depuis 20 ans. C’est une femme de convictions et de compromis. Elle se bat, elle est coriace mais elle est capable de négocier”, loue son ami avec qui elle a co-présidé le groupe EELV de 2012 à 2015, aujourd’hui député LREM. 

La supposée ‘guerre des arbitrages’ est un piège: si vous réagissez, on vous accuse de faire de la polémique et si vous ne réagissez pas on vous reproche de ne pas existerFrançois de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique

 

“Quand on se retournera à la fin du quinquennat, on verra qu’il n’y plus d’animaux sauvages dans les cirques, qu’il y a un plan de relance vert à 30 milliards d’euros et qu’on aura supprimé des passoires thermiques et tout ça, on le devra à Barbara Pompili”, salue d’avance son entourage.

Quand elle rencontre Le HuffPost à la mi-mars, la ministre donne à voir une femme assurée, souriante, ignorant avec gourmandise les obstacles laissés sur sa route par ses détracteurs, décrits comme un “petit nombre de personnes qui alimentent une guéguerre”. L’examen en commission de la loi climat arrive alors à son terme, et l’ancienne EELV savoure des débats de “bonne tenue” portant sur un “texte ambitieux” à la portée historique.

Comme si cette loi n’avait pas provoqué l’ire des ONG qui luttent contre le réchauffement climatique. Comme si les 150 citoyens de la Convention n’exprimaient pas ostensiblement leur déception. Comme si les différentes instances consultées par le gouvernement n’avaient pas pointé le manque d’ambition du texte. Comme si une manifestation pour “une vraie loi climat” n’avait pas été organisée partout en France à la veille de l’examen du texte... Comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.  

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