Battre Marine Le Pen en 2022, c'est faire le contraire de ce qui est fait actuellement

Dans un sondage récent, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au premier tour pour l’élection présidentielle de 2022, avec 26% à 27% des voix. Surtout, Marine Le Pen arrive à 48% des intentions de vote, talonnant Emmanuel Macron,...

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Marine Le Pen (RN) lors d'un débat télévisé avec le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dans l'émission

Dans un sondage récent, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au premier tour pour l’élection présidentielle de 2022, avec 26% à 27% des voix. Surtout, Marine Le Pen arrive à 48% des intentions de vote, talonnant Emmanuel Macron, en cas de duel au second tour. Un écart dans la marge d’erreur du sondage. Une progression fulgurante, si elle se confirmait, par rapport aux 33,9% du deuxième tour de 2017 et aux 17,8% du deuxième tour de 2002.

Ces chiffres interpellent. Comment expliquer la poussée continue de l’extrême droite? Comment y faire face?

Il y a, bien sûr, des facteurs multiples et complexes à la montée de l’extrême droite en France depuis quatre décennies. Des facteurs économiques, comme les réelles difficultés économiques d’une grande partie de nos concitoyens, qui ont du mal à boucler chaque fin de mois. Des facteurs sociaux, comme la fracture entre nos élites et des pans entiers de notre société; entre des milieux urbains privilégiés, et tout le reste de la société. Des facteurs politiques, comme le jeu dangereux que joua l’ancien Président Mitterrand. Et des facteurs structurels, comme la mondialisation des échanges, le libéralisme à tout va, la désindustrialisation de la France, et le sentiment de ne plus être maître de son destin dans un monde global.

La banalisation des discours de l’extrême-droite

Mais il est un facteur nouveau, qui s’ajoute aujourd’hui à ces facteurs anciens: la banalisation des discours en provenance de l’extrême droite. En particulier, la banalisation des discours de l’extrême droite sur l’identité, l’islam, et les musulmans de France.

Depuis quelques années, et malheureusement encore plus à chaque nouvel attentat terroriste par des criminels qui sont la lie de l’humanité, les discours mettant en cause l’islam ou les musulmans augmentent dans le débat public. Depuis l’horrible attentat contre le professeur Samuel Paty, nombre d’articles de presse ont entretenu une confusion entre “islam”, “islamisme”, et “islamisme radical”. Cela est un phénomène nouveau. Il devient controversé de faire la distinction entre trois choses pourtant foncièrement différentes: l’islam, c’est-à-dire la religion, la foi, la spiritualité, les rituels, d’un côté; l’islamisme, c’est-à-dire l’activisme politique et militant, l’idéologie qui s’inscrit contre la République et les lois, de l’autre côté; enfin, la radicalisation violente, c’est-à-dire l’idéologie criminelle et fanatique qui s’inscrit contre l’humanité. Par exemple, un ancien Premier Ministre, François Fillon, n’hésita pas à affirmer “qu’il y a un problème avec la religion musulmane”. Dans des médias comme Valeurs actuelles ou CNews, les amalgames sont fréquents, comme si tous les musulmans étaient des intégristes ou des suspects en puissance.

 

Parler des questions identitaires et d’islam, c’est se mettre sur un terrain où Marine Le Pen et l’extrême droite sont perçues comme expertes et fiables.

 

Personne, évidemment, n’incriminerait le christianisme évangélique dans l’attaque du Capitole à Washington aux États-Unis. Même si certains mouvements évangéliques ont trempé dans l’extrémisme de Trump, et que certains supporters évangéliques de Trump se voyaient dans une “guerre sainte”. Un ancien directeur du FBI, Frank Figliuzzi, expert du contre-terrorisme, explique: “La seule différence entre les attaquants du Capitole et les djihadistes, c’est leur religion et leur couleur de peau”. Leur radicalisation, dans les deux cas, n’est pas liée à la religion, mais à une perte de repères et une fracture avec la société (interview par Bill Maher, 22 Janvier 2021).

Bien sûr, il y a un vrai problème de l’islamisme en France. Bien sûr, il y a un vrai problème de terrorisme islamiste en France et dans le monde. Mais la dédiabolisation des discours en provenance de l’extrême droite est également une réalité qui ne profite… qu’à l’extrême droite.

Face à cette polarisation, Marine Le Pen apparaît comme modérée

Face aux polémiques récurrentes sur l’islam, Marine Le Pen peut se prévaloir aujourd’hui… d’une position modérée. Rappelons trois faits. Marine Le Pen a affirmé que l’islam est compatible avec la République. Elle fait, elle, clairement la distinction entre la religion musulmane et l’idéologie islamiste. Enfin, Marine Le Pen n’incrimine pas l’ensemble des musulmans, précisant au contraire que “l’immense majorité” des Français musulmans respecte les règles républicaines.

Cette position modérée de Marine Le Pen crée un effet de contraste perceptuel, bien connu de la psychologie sociale. Au regard du discours ambiant, Marine Le Pen devient acceptable, légitime, raisonnable. Un Éric Zemmour apparaît moins modéré qu’elle. Comme l’a théorisé Marine Le Pen, les électeurs préféreront toujours l’original à la copie.

En clair, les discours polémiques sur l’islam ne font que légitimer Marine Le Pen, la renforcer.

Les études empiriques de psychologie sociale

Les études empiriques de psychologie sociale aident à mieux comprendre comment la banalisation des discours de l’extrême droite sur les thèmes identitaires et de l’islam ne sert, à long terme, que l’extrême droite.

La recherche empirique en psychologie sociale établit que l’un des plus puissants moyens d’influence, ce sont les normes sociales (Cialdini,Influence: Science and practice, 2001; Goldstein et al., 2008). Les gens font d’abord ce qui est accepté socialement. C’est le pouvoir de l’exemple: nous sommes d’abord influencés par ce que nous voyons les autres faire, beaucoup plus que nous ne le sommes par des valeurs morales. D’autant plus si ces autres sont dans des positions visibles, comme le sont les responsables politiques. Lorsque nous voyons un(e) responsable politique donner de l’importance aux idées de Marine Le Pen, cela nous renseigne inconsciemment sur ce qu’il est légitime de faire. À long terme, la reprise des idées de Marine Le Pen ne sert pas celui/celle qui les reprend, mais favorise la prolifération de ces idées… et, au final, Marine Le Pen.

En donnant de l’importance à Marine Le Pen, en dialoguant avec elle, on la pose comme un interlocuteur respectable. Ce faisant, on légitime ses idées. Ce comportement, le fait simplement d’être en face d’elle dans une émission télévisée, est beaucoup plus parlant que n’importe quel discours. Parler à Marine Le Pen pour attaquer ses idées, c’est d’abord reconnaître que c’est un adversaire valable. Le Président Chirac l’avait bien compris, lui qui avait refusé un débat télévisé entre les deux tours de l’élection de 2002.

De fait, la recherche empirique en psychologie sociale montre qu’un autre puissant effet en communication est la saillance, c’est-à-dire la simple présence ou visibilité dans l’espace médiatique. La simple présence ou visibilité d’une thèse affecte considérablement, et favorablement, les opinions concernant cette thèse (Kallgren & Wood, 1986; Tversky & Kahneman, 1974). Influencer quelqu’un, c’est avant tout capter son attention. Plus on accorde de l’attention à une idée, plus celle-ci sera influente, indépendamment de sa véracité et des contre-arguments offerts. Par exemple, la recherche récente montre que l’exposition accrue à un argument, sa simple répétition, augmente la perception que cet argument est vrai, indépendamment de sa véracité réelle (Fazio & Sherry, 2020; Unkelbach et al., 2019). Autrement dit, la répétition des thèses de Marine Le Pen accroît leur véracité perçue.

Un tel phénomène rejoint l’effet de “simple exposition” ou de familiarité, identifié par le psychologue de Stanford, Robert Zajonc : plus on est exposé à un stimulus, plus on aime et on voit positivement ce stimulus. L’effet de simple exposition ou familiarité est si universel qu’on le retrouve même chez les animaux (Zajonc, 2001; Zajonc, communication à l’auteur, 2004). Appliqué au champ médiatique, cela signifie que la simple répétition d’une idée, même fausse, accroît son attrait. D’où le danger de reprendre les thèses de Marine Le Pen. En reprenant simplement les thèses de Marine Le Pen, on accroît leur familiarité, donc leur attrait.

Par ailleurs, la crédibilité du locuteur est essentielle à sa capacité de persuasion, comme là aussi l’a montré la recherche (Priester & Petty, 1995; Wood & Kallgren, 1988). Cette crédibilité repose sur deux piliers: l’expertise et la fiabilité perçues dans le domaine. Questionner soit l’expertise soit la fiabilité du locuteur diminue significativement sa capacité de persuasion. La conséquence est claire: parler des questions identitaires et d’islam, c’est, qu’on le veuille ou non, se mettre sur un terrain où Marine Le Pen et l’extrême droite sont perçues comme expertes et fiables. C’est donc se mettre sur un terrain où l’on fait monter Marine Le Pen. La solution est, là aussi, simple: se mettre sur les terrains où Marine Le Pen et l’extrême droite ne sont pas perçues comme expertes ni fiables. Ils sont légion, de l’économie au social.

La recherche sur la publicité comparative, dans laquelle l’on mentionne un adversaire pour tenter de s’en démarquer, corrobore ces points. Les études sur la publicité comparative montrent qu’elle ne profite qu’au challenger, pas au leader dans l’opinion (Pratkanis & Aronson, 2001, Age of Propaganda; Del Barrio-García et al., 2020). Le challenger, c’est ici Marine Le Pen. La publicité comparative génère de la confusion dommageable au leader: lorsqu’un leader parle négativement de son challenger pour essayer de s’en démarquer, il ne fait que renforcer l’association entre lui et le challenger dans l’esprit des gens (Pratkanis & Aronson, 2001). En clair, il offre une publicité gratuite au challenger. Cet effet s’applique à la politique et aux campagnes électorales (Pfau & Kenski, Attack politics, 1990). Mentionner Marine Le Pen quand on est un(e) élu(e) de la nation, c’est brouiller les frontières et brouiller les messages.

Les recherches montrent que l’impact de la publicité comparative est encore plus dommageable quand le domaine est chargé d’émotion (Thompson & Hamilton, 2006). Ce qui est le cas des questions identitaires. Dans un domaine chargé d’émotion, un(e) décideur(se) politique qui mentionne un(e) concurrent(e) pour s’en démarquer n’augmente pas ses chances, bien au contraire (Jamieson, Dirty politics, 1992). En clair, mentionner Marine Le Pen dans des domaines qui touchent à l’émotion comme l’identité est contre-productif. Ironiquement, la recherche suggère que les décideurs surestiment l’impact positif de se comparer à un concurrent pour s’en démarquer (Rogers & Williams, 1989).

Au final, les recherches empiriques de psychologie sociale convergent pour expliquer que la banalisation des discours de l’extrême droite ne sert que l’extrême droite, source de ces discours. Reprendre les thèses de l’extrême droite n’a pas fait reculer l’extrême droite en France, sur le long terme. Dans le domaine identitaire, la confusion entre islam et islamisme ne fait que donner plus de résonance à Marine Le Pen.

 

Ce qu’on estime peu important, mieux vaut l’ignorer, plutôt que le critiquer.

 

Car reprendre une thèse, même pour s’en démarquer, fait d’abord penser aux gens que cette thèse est importante. Il y a un effet basique d’attention qui est plus important que la nature même du message (critique ou non). Ce qu’on estime peu important, mieux vaut l’ignorer, plutôt que le critiquer. La psychologie de la communication l’a mis en évidence: quand on mentionne quelque chose par la négative, on le mentionne toujours, et donc on gonfle son importance (Watzlawick et al., Une logique de la communication, 1979). Par exemple, dire “Cette thèse est nulle”, c’est encore parler de cette thèse, montrer qu’on lui accorde de l’attention, et donc lui offrir de la publicité. Quand on veut défaire les arguments fallacieux de quelqu’un, mieux vaut l’ignorer et s’attaquer aux problèmes de fond, plutôt que répondre du tac au tac.

L’exemple de Joe Biden contre Donald Trump

L’exemple de Joe Biden, la manière dont il a gagné l’élection aux États-Unis contre le populisme de Donald Trump, illustre de manière éloquente ces principes. Joe Biden a sciemment ignoré les thèmes populistes, comme les attaques de Donald Trump, tout au long de la campagne électorale. Il n’a parlé ni de l’immigration ni des Mexicains. Il s’est concentré sur les difficultés économiques et la crise sanitaire qui touchent toute la population.

Même lorsque Donald Trump a remis en cause les résultats de l’élection après le 3 novembre, Joe Biden a continué d’ignorer Donald Trump, agissant comme si le discours de victoire de ce dernier n’avait pas existé. L’aurait-il fait, il lui aurait donné plus d’importance.

Que tirer de cet exemple pour la France? Ne pas attaquer Marine Le Pen, ne pas donner de résonance à ses idées, mais attaquer les problèmes de fond qui préoccupent les Français. Marine Le Pen est bien plus redoutable qu’il n’y paraît.

 

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