Benjamin Biolay : “Dans mon album, je cause d’amour, de voyages, de foi, de qui je suis, de qui je ne suis plus”

À peine le drapeau à damier déployé pour couronner la tournée triomphale de Grand Prix (2020) – hasard du calendrier, Saint-Clair paraîtra le jour d’une ultime date à la Fête de l’Humanité le 9 septembre –, que Benjamin Biolay revient dans...

Benjamin Biolay : “Dans mon album, je cause d’amour, de voyages, de foi, de qui je suis, de qui je ne suis plus”

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À peine le drapeau à damier déployé pour couronner la tournée triomphale de Grand Prix (2020) – hasard du calendrier, Saint-Clair paraîtra le jour d’une ultime date à la Fête de l’Humanité le 9 septembre –, que Benjamin Biolay revient dans le circuit avec son symbolique dixième album. Comme quoi, malgré les conséquences de la pandémie sur l’industrie discographique en général et les concerts en particulier, le chanteur aura réussi à maintenir son rythme de sortie bisannuel depuis Rose Kennedy (2001).

Pendant le 1er confinement au printemps 2020, Benjamin écoutait en boucle le jubilatoire album des Strokes au titre absolument visionnaire : The New Abnormal. “Ce disque peut te faire pleurer en dansant, nous confiait-il alors. J’aime follement tout l’album, mais pour moi, le sommet en est Selfless : la voix de l’homme s’y mue en chant de l’ange. L’Ode to the Mets sera mon hymne de liberté retrouvée.” Dès la deuxième plage de Saint-Clair, la référence strokesienne s’entend ouvertement sur Les Joues roses (le second single extrait, après l’imparable Rends l’amour !).

Les clins d’œil à Julian Casablancas ne manquent pas, jusque dans les intonations vocales ou le phrasé, qu’on retrouve à plusieurs reprises (Petit Chat, Mort de joie, Forever) dans le déroulé de l’album. Dans la tête de BB, le point de départ était clair comme la mer Méditerranée : “Je voulais faire un disque de rock analogique avec des textes. C’est la 1ère fois de ma carrière qu’il n’y a pas la moindre programmation ni plug-in. Surtout, je suis devenu le chanteur d’un groupe. Cela fait vingt ans que j’attendais ça.”

L’aveu n’est pas banal de la part de cet auteur-compositeur-interprète aussi stakhanoviste qu’exigeant. Profitant de l’énergie collective de la tournée de Grand Prix, Benjamin Biolay a convoqué ses musiciens scéniques en version resserrée (le guitariste Pierre Jaconelli, le claviériste Johan Dalgaard et le batteur Philippe Entressangle) puisqu’il joue lui-même des claviers, signe les arrangements et dirige l’orchestre, comme à son habitude éprouvée. Ébauché pendant le deuxième confinement de l’automne 2020 et mûri pendant la tournée, Saint-Clair lui donne envie de “faire la musique [qu’il] aime”.

Dans le tour bus, BB écoute pêle-mêle The Strokes, The Growlers, Television, The Flaming Lips, Lou Reed, The Smiths… Au final, cela donne l’un de ses albums les plus autobiographiques, dans lequel il projette sa propre vie en chansons : “J’y cause d’amour, de foi, de voyages, de qui je suis, de qui je ne suis plus et de qui je ne serai jamais.” Un disque-miroir “sans trop de censure dans les textes, ni chercher midi à 14 h. Ce n’est pas le championnat du monde de métaphores !”

De vieilles obsessions

L’un des points d’orgue de Saint-Clair s’intitule (Un) Ravel, qui, comme son titre le sous-entend, est inspiré par la fameuse pièce pour piano de Maurice Ravel, Pavane pour une infante défunte, composée en 1899. “Cela fait trente ans que je veux écrire un texte sur cette ballade, qui est à la croisée de tout ce que je suis. Je me plantais à chaque fois en prenant intégralement la mélodie de Ravel, alors que j’ai trouvé la formule en commençant par mon flow qui se mélodise. Ravel, Debussy, Fauré, Poulenc, ce sont nos Beatles ! Leur musique a changé le monde pour toujours…”

Rejoignant dès la 1ère écoute les sommets introspectifs de son répertoire (Négatif, À l’origine, La Superbe, Ton héritage), (Un) Ravel voit son auteur se livrer sans détour : “Je ne savais rien du monde simple mais beaucoup du compliqué/Mon cœur de Vauban, une enceinte, dès lors s’est lentement fissuré/J’ai tenté de me perdre dans l’intention de me retrouver.” Et plus loin, il chante sans s’épargner : “Je suis mort une deuxième fois sur scène dans le plus simple appareil/Je me plains, je me plains, je me plains, mais dans le fond j’aime bien ça.”

L’homme a l’art et la manière d’encapsuler toutes ses mélomanies

À chaud, deux mois avant la sortie de Saint-Clair, Benjamin Biolay le replace déjà, dans sa discographie, dans le sillage d’À l’origine (son troisième LP, qu’il considère comme le 1er “sérieux et cohérent”) et de La Superbe. “Quand je réécoute des chansons comme Ma chair est tendre ou L’espoir fait vivre, j’entends tous ces plans à la Weezer ou The Strokes. Le rock college en français est une vieille obsession qui remonte à l’album bleu de Weezer.” Comme dans ses meilleurs enregistrements, l’homme a l’art et la manière d’encapsuler toutes ses mélomanies.

À Sète. © Mathieu Cesar

Quinze ans après son chef-d’œuvre Trash Yéyé (2007), où il faisait déjà des œillades à The Smiths et New Order, BB continue de creuser son sillon en héritage mancunien (Les Lumières de la ville, De la beauté là où il n’y en a plus, Pieds nus sur le sable), avant un finale irrésistible en forme de feu d’artifice mélodique (la chanson Saint-Clair, inspirée par le mont Saint-Clair à Sète, une ville qu’il arpente depuis sa plus tendre enfance et où il se réfugie à la moindre opportunité).

“Dans mes chansons, je livre de manière intime mes sentiments, mes ressentiments, mes pressentiments”

“Je te fais encore ma propal/Tu es mon tu fondamental/Les chiens aboient et les années passent/Me tutoient/Et les autres plussoient, moi j’y crois/Mais j’ai froid”, y confesse-t-il adroitement. “Des albums, c’est mieux qu’un journal intime. Je suis de la génération autofiction, admet Benjamin Biolay. J’ai grandi avec les livres de Bret Easton Ellis, qui sortait American Psycho lorsque j’avais 18 ans. Dans mes chansons, je livre de manière intime mes sentiments, mes ressentiments, mes pressentiments. Parfois, je peux m’autocensurer, comme avec Ton héritage que je ne souhaitais pas sortir à l’origine. Avec le recul, ma manageuse de l’époque a eu raison de me pousser à la publier.”

Photo de la pochette de l’album “Saint-Clair”

Vers un nouveau cycle

Au cours de sa carrière menée tambour battant depuis deux décennies, le natif de Villefranche-sur-Saône a paradoxalement appris la patience puisque son 1er grand succès populaire fut le double album La Superbe (2009), alors que le précédent et plus évident Trash Yéyé en possédait déjà tous les atours. Et s’il lui fallut encore dix ans pour triompher à nouveau avec Grand Prix, Benjamin Biolay sait qu’il a désormais un statut dans le paysage hexagonal que peu de chanteurs et chanteuses de sa génération peuvent lui disputer.

De la même manière, il n’a jamais manqué une occasion de pousser des espoirs sur le devant de la scène, offrant ainsi des 1ères parties à Clara Luciani alors qu’elle officiait encore en solo à l’époque de son 1er EP, Monstre d’amour (2017). Les voir duettiser aujourd’hui sur Santa Clara (double référence à Che Guevara et Clara Luciani) prolonge leurs rencontres scéniques qu’il et elle s’accordent à répétition lors de leurs concerts respectifs.

Je songe à partir enregistrer un jour au Brésil […] et j’ai toujours en tête cet album qui ferait la différence”

“En France, nous sommes désormais plus nombreux à faire de la musique de qualité. En vingt ans, le niveau s’est incontestablement élevé : Clara Luciani, Juliette Armanet, Pomme, Feu! Chatterton, November Ultra, et je pourrais en citer plein d’autres… Et tous sont auteurs, compositeurs et interprètes. À l’époque, il y avait Keren Ann, Miossec, Dominique A, Philippe Katerine, Autour de Lucie et moi.” Artiste populaire qui n’a jamais oublié sa lente maturation sur scène, Benjamin Biolay réfléchit déjà à la suite, Saint-Clair pouvant clore avec son numéro symbolique la fin d’un cycle discographique.

“Ce n’est pas impossible qu’un nouveau chapitre s’ouvre. Je songe à partir enregistrer un jour au Brésil avec des musiciens comme Rodrigo Amarante et Marcelo Camelo de Los Hermanos, l’un des groupes les plus puissants que je connaisse. Et j’ai toujours en tête cet album qui ferait la différence, comme Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg, Transformer de Lou Reed ou Pre-Millennium Tension de Tricky, un disque que je vénère. J’ai le fantasme de l’album sac à dos, qui voyage partout dans le monde.”

Saint-Clair (Polydor/Universal). Sortie le 9 septembre. Concerts le 9 septembre à Brétigny-sur-Orge (Fête de L’Humanité) et le 15 septembre à Paris (La Cigale).