Berlinale 2022 : une ouverture sous l’égide de la France avec les films de François Ozon et Alain Guiraudie
Cette ouverture sous l’égide de la France n’est du reste que l’un des signes d’une forte représentation de notre cinéma d’auteur national, occupant pas moins de trois places dans la compétition (François Ozon donc, mais aussi Mikhaël Hers et...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Cette ouverture sous l’égide de la France n’est du reste que l’un des signes d’une forte représentation de notre cinéma d’auteur national, occupant pas moins de trois places dans la compétition (François Ozon donc, mais aussi Mikhaël Hers et Claire Denis) et dont certains des représentants les plus prestigieux se nichent aussi dans les sections parallèles : Alain Guiraudie au Panorama, Bertrand Bonello et Arnaud des Pallières à Encounters, Quentin Dupieux hors compétiton en Berlinale spécial gala…
Outre cette team fournie de cinéastes hexagonaux, c’est aussi une délégation glamour de stars nationales qui défilera sur le tapis rouge de la Potsdamer Platz : Isabelle Adjani, Juliette Binoche, Vincent Lindon… Et même Isabelle Huppert, qui n’interprète aucun des films sélectionnés mais se verra remettre un Ours d’or d’honneur en hommage à toute son œuvre.
Inversion des genres chez François OzonC’est pourtant l’Allemagne, beaucoup plus que la France, qui occupe l’imaginaire du film d’ouverture français en compétition : avec Peter von Kant, François Ozon signe en effet une adaptation très personnelle de la pièce de théâtre de Rainer Werner Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant. De cette pièce, Fassbinder avait déjà tiré un film, l’un de ses plus beaux, en 1972. Ce qui fascine dans Peter von Kant, ce sont les strates complexes, enchevêtrées, de fidélité et de trahison à l’œuvre originale. À la base, un geste fort d’appropriation : François Ozon change les genres d’une partie des personnages principaux. Les Larmes amères… avaient pour particularité (comme d’ailleurs 8 femmes) de ne constituer son huis clos que de personnages féminins.
Dans Peter von Kant, le personnage central de la styliste torturée qui se consume d’amour pour une jeune femme un peu fruste devient un metteur en scène reconnu qui tombe amoureux fou d’un jeune homme dont il fait son égérie. Autour de ce noyau d’amoureux toxiques, une partie du chœur de cette tragédie de l’autodestruction amoureuse reste en revanche féminin : la mère et la fille de Peter, sa meilleure amie. Ozon masculinise en revanche le personnage d’assistante soumise et muette, souffre-douleur impavide qui regarde avec effroi mais détachement la folie se déchaîner (le comédien qui interprète Karl est de fait hilarant).
En masculinisant Petra (et en en faisant un réalisateur), Ozon rend littérale la possible dimension d’autoportrait de la pièce. Plus le film avance, plus Denis Ménochet ressemble physiquement à Fassbinder ; les références à l’œuvre du cinéaste se multiplient (une version allemande de la chanson qu’interprétait Jeanne Moreau dans Querelle ; l’apparition dans le rôle de la mère d’Hannah Schygulla, actrice privilégiée de Fassbinder et interprète de la jeune maîtresse de Petra dans le film original…). Par la bouche d’Isabelle Adjani (irrésistible dans le rôle de l’amie), Ozon adresse même une étonnante critique à Fassbinder : “Dans ton œuvre, tu fais semblant de défendre le droit du plus faible, mais dans ta vie, tu es du côté du droit du plus fort”, un clin d’œil au Droit du plus fort, film de Fassbinder sur la violence de classe dans un couple homosexuel.
Faire et défaire FassbinderVouloir défaire sur le fond Fassbinder, c’est la part la plus intrigante du film : superficiellement, passé ce twist d’inversion du genre des personnages principaux, Peter von Kant est d’une fidélité extrême à la pièce de Fassbinder – sa construction, ses répliques les plus frappantes, sa dramaturgie. Mais en profondeur, il la dévie absolument de son projet initial. Identique dans sa trame et son déroulé, le film d’Ozon est pourtant à l’opposé de l’adaptation cinématographique que Fassbinder avait donnée de sa pièce.
Les Larmes amères de Petra von Kant est un film d’horreur : horreur de l’amour comme dissimulation d’un désir de mort, cannibalisme des rapports de désir et de possession, horizon indépassable de la domination infiltrée dans tout rapport humain… Les personnages déambulent comme des zombies pantelants, alanguis et blafards. Ce drame spectral, Ozon n’a de cesse de le revitaliser. La direction artistique pimpante (le fameux effet maison de poupée propre aux adaptations théâtrales d’Ozon – 8 femmes, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, adapté déjà de Fassbinder), l’interprétation extrêmement enjouée des comédiens, le resserrement nerveux de l’intrigue (passée des deux heures du film originel à une heure vingt-huit) : tout concourt à rendre ces larmes beaucoup moins amères et à transformer le snuff movie de la fixation amoureuse en comédie plaisante et enlevée.
Ce faisant, le film n’ouvre évidemment pas sur les mêmes précipices que l’original. Ni ne provoque le même ébranlement. Son acharnement à alléger la noirceur, à opposer à l’effroi devant le spectacle de l’anéantissement un regard au contraire très bienveillant, presque protecteur pour ses personnages et son petit monde, a quelque chose d’assez attachant. Contrairement au film de Fassbinder, dont le dernier plan plonge son héroïne dans le noir, Ozon semble ne pas croire que quoi que ce soit puisse être irrémédiable. Même la dernière séquence, qui n’est pas chez Fassbinder et que nous ne révélerons pas, tire l’ensemble vers une certaine innocence. Chacun cherche son doudou ; l’hystérie conjugale n’est peut-être qu’un cirque dont personne n’est dupe et dont chacun tirerait un amusement enfantin.
Alain Guiraudie et l’utopie de la légèretéS’il existe un lien entre Peter von Kant et Viens je t’emmène, l’autre film français du jour, en ouverture de la sélection parallèle Panorama, il tient à cette volonté de partir de l’extrême noirceur pour accéder à une forme de légèreté.
Alain Guiraudie regarde la France. Elle lui parait indéchiffrable. Aucune perspective politique ne paraît se dégager de ce bourbier où chacun patauge sans ne plus entrevoir nulle part de sens. Une attaque djihadiste survient à Clermont-Ferrand au pied de la statue de Vercingétorix (le détail ne manque pas de cocasserie). À partir de là, Guiraudie réussit à partir de la surface, à radiographier toutes les couches imaginaires qui constituent la France : un imaginaire gaulois archaïque (Vercingétorix donc), des batailles de clochers et de territoires, la France des années 1940 et de l’occupation aussi (la délation est l’un des moteurs du récit et renvoie un peu au Corbeau de Clouzot), beaucoup des années 1970 (un absurde froid à la Bertrand Blier). Et bien sûr la France d’aujourd’hui, ses fantasmes de “grand remplacement”, ses pulsions xénophobes, cette peur générale qui s’infiltre dans le quotidien de tous, et dont les chaînes d’information permanente (un des leitmotivs sonores du film) est le principal agent.
Avec une fantaisie et une malice qui n’appartiennent qu’à lui, le réalisateur de L’Inconnu du lac et Rester vertical remonte avec panache la pente de nos angoisses très contemporaines. Viens je t’emmène part du malaise sociétal commun et nous en emmène loin, plus loin (pour paraphraser la chanson de France Gall dont est issu le titre du film), dans un endroit très égalitaire, où ceux qu’on travaille à désunir se rassemblent, se rapprochent, se désirent et s’aiment. Guiraudie n’a pas son pareil pour camper des territoires utopiques et donner le sentiment revigorant qu’ils sont très atteignables.