Billet : Quand Spotify joue la carte du chantage

Depuis plusieurs mois, la stratégie est finement rodée et vient d’atteindre, ce jeudi 7 mars 2024, un nouveau pic dans son durcissement. La plateforme de streaming musical Spotify a publié un communiqué annonçant l’augmentation de ses tarifs...

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Depuis plusieurs mois, la stratégie est finement rodée et vient d’atteindre, ce jeudi 7 mars 2024, un nouveau pic dans son durcissement. La plateforme de streaming musical Spotify a publié un communiqué annonçant l’augmentation de ses tarifs d’abonnement en France, conséquence, selon ses dires, de “coûts supplémentaires sur les services de streaming musicaux, imposés par le gouvernement français dans le cadre de la ‘taxe CNM’”. Autrement dit, de la taxe streaming sur les chiffres d’affaires des plateformes, sujet qui divise le secteur de la musique enregistrée depuis septembre 2022.

Face à sa mise en place, qui s’est fortement concrétisée fin 2023, l’entreprise avait brandi plusieurs menaces : son coût serait répercuté sur les portefeuilles des abonné·es, son bureau français pourrait tout simplement fermer, ses contrats la liant aux maisons de disques être revus… C’est ici la 1ère de ces menaces qui s’apprête à être mise à exécution, sans que soit pour le moment précisé le montant de l’augmentation du prix de l’abonnement, quelques semaines après que la plateforme a retiré son soutien financier aux festivals Printemps de Bourges et Francofolies de La Rochelle, 1er signe concret de protestation.

Opération de lobbying intense

Que Spotify soit vent debout contre la taxe streaming, dont on ne décidera pas ici de la pertinence ou de la perfection de ses modalités, discutables, n’a rien de surprenant. Ce qui interpelle, c’est cette fameuse stratégie. Le communiqué déploie des arguments visant, entre les lignes, à rejeter la responsabilité de la mise en danger financière des artistes et des consommateur·rices sur l’État français, continuité de son opération de lobbying intense qui l’a vue parvenir, entre autres, à imposer l’expression “taxe anti-rap” comme élément de langage médiatique repris en chœur et à installer l’idée que l’allié du rap en France, aujourd’hui, c’est elle.

Et de rappeler des chiffres : “Les revenus générés par Spotify pour le secteur de la musique enregistrée en France pour la seule année 2022 s’élèvent à près de 225 millions d’euros (soit environ 1/4 du chiffre d’affaires de l’industrie française de la musique enregistrée pour cette année).” La plateforme contribue fortement, c’est vrai. Mais pas par charité. Parce que c’est la loi et la moindre des choses, surtout quand on base son modèle économique sur une production de matière 1ère, ici la musique, venue de l’extérieure.

“Tax-up nation”

Il est relativement rare de voir une multinationale étrangère, qui en l’occurrence annonce un objectif de 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires d’ici 2030, brocarder publiquement et avec tant de véhémence une initiative de service public. Spotify, face à la crainte de voir cette taxe inspirer d’autres pays, peinant à trouver l’équilibre financier, joue en fait sur la défiance, fondée, d’une partie des acteurs et du public rap envers les institutions, qui ont bien souvent maltraité le genre et qui viendrait une nouvelle fois mettre des bâtons dans les roues de cette musique alors qu’elle est la plus puissante dans l’Hexagone.

“La France se rêvait en start-up nation, elle se réveille en tax-up nation”, arguait en décembre dernier son directeur général France et Benelux, Antoine Monin. Dans ce jeu du plus vertueux et valeureux, la plateforme suédoise oublie peut-être la responsabilité historique des principaux acteurs industriels musicaux français dans la dévalorisation du rap et ne précise pas que, concernant les pourcentages de revenus générés par les streams reversés aux ayants droit, elle figure en queue de peloton, derrière l’essentiel de ses concurrentes locales.

Flirter avec le populisme

La création du Centre national de la musique, qui vise à soutenir la diversité de la création musicale française, ne date pas d’hier. Sa mise en place, en janvier 2020, était en fait réclamée par de nombreux acteurs du secteur depuis bien longtemps, avant que le rap ne domine le marché. L’idée que l’organisme soit partiellement financé par les principaux diffuseurs du genre, sans pour autant aider des projets rap est, d’un point de vue factuel, fausse, mais entretenue.

Certes, le manque de représentativité de cette musique dans les conseils d’administration des instances (syndicats, institutions publiques, organismes de gestion collective…) est réel et certainement problématique. Mais il ne doit pas occulter le fait que le rap, aussi, bénéficie d’aides importantes malgré l’autosuffisance économique, en partie bien réelle, de ses structures les plus visibles. 

Dans sa stratégie de séduction visant à se poser en défenseur culturel et dans son choix, stratégique et non imposé par un tiers, de faire payer aux abonné·es l’essentiel de cette taxe, Spotify pourrait bien avoir franchi la ligne qui sépare défense argumentée de ses intérêts et populisme, en entretenant ainsi la confusion entre acteurs économiques et culturels, dont les intérêts divergent pourtant bel et bien.