Birmanie: Min Aung Hlaing règle ses comptes avec Aung San Suu Kyi grâce au coup d'État

BIRMANIE - “On revient dans la pire situation des années 80, c’est très grave”. La Birmanie a été ce lundi 1er février le théâtre d’un coup d’État mené par l’armée qui a arrêté de la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi et proclamé...

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Le général Min Aung Hlaing le 1er février 2021 après le coup d'État à Naypyitaw, en Birmanie  (AP Photo/Aung Shine Oo, File)

BIRMANIE - “On revient dans la pire situation des années 80, c’est très grave”. La Birmanie a été ce lundi 1er février le théâtre d’un coup d’État mené par l’armée qui a arrêté de la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi et proclamé l’état d’urgence pour un an. À la tête de la manœuvre anti-démocratique se trouve le chef de la très influente armée birmane, Min Aung Hlaing, 64 ans. Le général, qui devait prendre sa retraite en juillet prochain, voit son rêve de jouer un rôle plus politique aboutir enfin, tout comme son désir de revanche sur la dame de Rangoon.

“Il s’apprête à avoir un rôle politique à l’exemple de son mentor Thein Sein [ndlr: Premier ministre sous la junte de 2007 à 2011, puis Président jusqu’en 2016] qui avait très bien géré le passage du militaire actif au militaire civil dans les années 2010. Min Aung Hlaing est un homme redouté, bien introduit, qui a grimpé la hiérarchie. Son objectif depuis qu’il est devenu commandant en chef en 2011, c’est précisément de maintenir les prérogatives de l’Armée dans les rouages politiques. À travers son ambition personnelle, il défend les intérêts de l’Armée”, détaille Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée à l’IFRI, spécialiste de la Birmanie, contactée par le HuffPost.

Régulièrement pointé du doigt dans des affaires de corruption qui mêlent, entre autres, sa famille, Min Aung Hlaing s’est également illustré dans la répression sanglante contre les Rohingyas. Ce qui lui a valu des sanctions de la part des États-Unis où il est interdit de territoire. Le Trésor américain a également gelé ses éventuels avoirs et interdit aux ressortissants américains de conclure des transactions avec lui. À cet égard, estime Jean-Louis Margolin, historien de l’Asie orientale contemporaine, également contacté par le HuffPost, “ce coup d’État, c’est la certitude que la situation va s’aggraver pour les Rohingyas, et leur interdire tout retour sur leur terre”.  

La revanche de l’armée sur Aung San Suu Kyi

Ce putsch, le troisième depuis l’indépendance en 1948, intervient après que l’armée a dénoncé des irrégularités lors des législatives de novembre remportées par la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, et alors que le Parlement devait entamer sa première session cette semaine. 

“Au fond, c’est un règlement de compte entre Min et Aung San Suu Kyi. Il est à la manœuvre depuis 2011, et son mandat, c’est de préserver les intérêts de l’armée notamment dans les jeux politiques. Or depuis 2015, le contrôle de la situation lui échappe”, explique Sophie Boisseau du Rocher.

Tout d’abord, il y a évidemment la victoire à plus de 80% de la LND lors des dernières législatives. Si l’armée bénéficie automatiquement de 25% des sièges, le parti qui lui est allié a subi une sévère reculade. Par ailleurs, d’un point de vue juridique, la Constitution, écrite par les militaires en 2008, empêchait Aung San Suu Kyi d’occuper de hautes fonctions. “Mais elle a trouvé la parade après les élections de 2015, en se créant son propre titre de conseillère d’État et en s’octroyant la fonction de ministre des Affaires étrangères. C’est un détour qui a fortement déplu à l’armée”, détaille Sophie Boisseau du Rocher. 

Enfin sur le dossier des Rohingyas, détaille la chercheuse, l’ancienne leader “n’en a pas pâti sur le plan intérieur comme le souhaitait l’Armée qui a commis les exactions. Quand elle revient de La Haye en décembre 2019, où elle est venue se défendre d’accusation de génocide, son action est saluée par les Birmans”. De quoi aussi fâcher l’armée qui a prévu dans la constitution de conserver tous les ministères en lien avec la sécurité. 

Des liens avec la Chine et la Thaïlande

Si pour le moment, les militaires assurent vouloir rester en place pendant un an, “il n’y a aucune raison de penser que ce délai sera respecté. On revient dans la pire situation des années 80. C’est très grave”, estime Sophie Boisseau du Rocher.  Pour Jean-Louis Margolin, “c’est une question de rapport de force”. “Vu le passé entre guillemets ‘glorieux’ de l’armée birmane en matière de prorogation au pouvoir... La dernière fois qu’ils ont renversé un gouvernement civil, c’était en 1962 et ils sont restés au pouvoir pendant 50 ans”, rappelle l’historien avant d’évoquer également l’importance que jouent dans la région la Thaïlande et la Chine.

“Min Aung Hlaing a des relations personnelles assez étroites avec les militaires thaïlandais, qui eux même ont pris le pouvoir il y a quelques années, là encore face à une soi-disant atmosphère politique troublée. Il a aussi mené un certain nombre de négociations avec la Chine qui a toujours plutôt soutenu les hommes à poigne”, détaille l’historien. 

C’est d’ailleurs dans l’État d’Arakan, où est installé un gazoduc chinois, qu’ont eu lieu de nombreux massacres de Rohingyas. “Il est évident que la haute hiérarchie militaire, et donc Min Aung Hlaing, est courtisée par la Chine. Cette dernière ne peut pas s’implanter dans le pays sans l’accord de l’armée”, abonde Sophie Boisseau du Rocher. 

Les deux spécialistes sont en tout cas peu optimistes quant au sort d’Aung San Suu Kyi. Si Jean-Louis Margolin, estime que sa personnalité la protège en partie et l’expose plutôt à une expulsion du pays, Sophie Boisseau du Rocher reste plus circonspecte. Selon elle, beaucoup dépendra de la façon dont les militaires réussiront à s’allier avec les moines du pays et si les institutions religieuses adoubent le coup. Quant à Aung San Suu Kyi, “elle va être mise au secret. Elle a un tel charisme auprès de la population qu’elle représente un danger pour Min Aung Hlaing. Et elle est à présent victime d’une faiblesse qu’on lui reproche depuis plusieurs années: avoir fait le vide autour d’elle et ne pas avoir préparé la génération suivante”.

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