Brexit: 6 mois après, touristes et citoyens européens en paient les pots cassés

ROYAUME-UNI - La Manche a un peu pris l’eau. Six mois après l’entrée en vigueur officielle de l’accord de Brexit, signé le 24 décembre, de nombreux Européens se débattent sur le territoire britannique, qu’ils soient simples visiteurs où expatriés...

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Une manifestation devant le causement britannique contre le Brexit, à Londres, le 25 mars 2017

ROYAUME-UNI - La Manche a un peu pris l’eau. Six mois après l’entrée en vigueur officielle de l’accord de Brexit, signé le 24 décembre, de nombreux Européens se débattent sur le territoire britannique, qu’ils soient simples visiteurs où expatriés au royaume de Sa Majesté.

Outre les enjeux autour de la pêche, des frontières nord-irlandaises, ou ce qui a récemment été surnommé “la guerre de la saucisse”, la sortie de l’Union européenne a mis un terme à la liberté de circulation des personnes et a donc compliqué les impératifs administratifs, en plus de ceux induits par l’épidémie de Covid-19. 

Des citoyens européens en détention

Une montée des eaux au point qu’à la fin du printemps, le ton est monté entre le ministre britannique de l’Immigration, Kevin Foster, et plusieurs pays et ambassades européennes. Au coeur des tensions, le sort réservé à des voyageurs européens arrivant outre-Manche.

Selon les chiffres dévoilés fin mars par le Home Office, près de 3300 citoyens européens se sont vus refuser l’entrée sur le territoire britannique au 1er trimestre 2021, soit presque quatre fois plus qu’au 1er trimestre 2019. Un effet direct du Brexit. 

Évolution du nombre de voyageurs européens qui se sont vus refuser l'entrée au Royaume-Uni entre le 1er trimestre 2014 et le 1er trimestre 2021i/ii/i

Nonobstant les restrictions imposées par le Covid-19, les citoyens européens peuvent se rendre au Royaume-Uni sans visa en tant que touriste et pour des voyages limités à 90 jours. Il leur est également possible de participer ”à un large éventail d’activités, y compris des activités liées aux affaires telles que des réunions, des événements et des conférences”, détaille le site de l’agence nationale du tourisme britannique. Les entretiens d’embauche font bien partie de de cet éventail, comme l’a par ailleurs explicité le Home office, l’équivalent du ministère de l’Intérieur.

Or si certains Européens refoulés ont pu repartir chez eux immédiatement, d’autres ont été placés dans des centres de rétention, alors même qu’ils venaient pour un entretien d’embauche, ou pour faire de la prospection en matière d’emploi. Le Guardian ainsi que Politico se sont fait l’écho de nombreux témoignages, notamment de ressortissants espagnols ou italiens dans cette situation. D’autres touristes ont également raconté avoir été interrogés par les services de l’immigration, certains faisant l’objet d’un relevé d’empreintes.

D’après les statistiques du Home Office, au 1er trimestre 2021, 633 ressortissants européens - dont 16 Français-  ont été retenus par les services de l’immigration plus de 24 heures.

Des méthodes “disproportionnées”

Si ce chiffre est finalement assez similaire à ceux des 3e et 4e trimestres 2020, il a suscité des colères à Bruxelles. Le président du groupe centriste Renew au Parlement européen (celui où siège les macronistes), Dacian Cioloş, a haussé le ton dans un communiqué mi-mai. “Envoyer de jeunes ressortissants de l’UE dans des centres de rétention pour migrants est extrêmement disproportionné et contrevient à l’esprit de bonne coopération auquel nous nous attendons”, a-t-il tonné. Avec sept autres eurodéputés, il a interpellé la présidente de la Commission européenne, Ursula von Der Leyen. 

Le 1er juin, Benedetto Della Vedova, le secrétaire d’État italien aux Affaires étrangères, a également mis en garde son homologue lors d’une visite à Londres, appelant le gouvernement britannique à du “pragmatisme” et de la “flexibilité”, ainsi que le relaie Politico.

Angoisses d’expatriés

Outre les plus grandes difficultés à entrer au Royaume-Uni, d’autres s’inquiètent de leurs capacités à pouvoir y rester. Comme l’avait déjà expliqué Le HuffPost en 2019, le gouvernement britannique a laissé aux Européens jusqu’au 30 juin 2021 pour demander le statut de résident permanent, le “settled status” (EUSS). Il donne les mêmes droits et protections qu’à un citoyen britannique, sauf celui de voter, et est réservé aux personnes qui sont établies au Royaume-Uni depuis cinq ans au moins. Pour ceux qui sont là depuis moins longtemps, ils peuvent bénéficier d’un “pré-settled status”.

Pour le moment, 5,6 millions dossiers ont été déposés mais tous n’ont pas été traités. Ce sont plus de 300.000 demandes qui sont en court de traitement, dont certaines depuis plus d’un an. Normalement, tous ces citoyens ont dû recevoir un “certificat de demande” qui leur permet de conserver leurs droits jusqu’à ce qu’ils obtiennent une réponse définitive. Mais ça n’est pas toujours le cas dénonce l’organisation The3million, dédiée à la défense des citoyens européens au Royaume-Uni.

“Sans un “certificat”, ils ne sont pas considérés comme des résidents légaux et pourraient se retrouver face à des frais de santé faramineux (...) On voit déjà des autorités locales qui ne comprennent pas qu’une personne ayant une demande en cours de traitement conserve ses droits. À partir du 1er juillet, les autorités locales, les propriétaires et les employeurs devront se débrouiller non seulement avec un nouveau statut d’immigration, mais aussi pour savoir si quelqu’un a une demande en cours”, tance Maike Bohn, co-fondateur de The3million, contacté par Le HuffPost

Des enfants bientôt sans-papiers?

Outre ces difficultés à obtenir une réponse ou un certificat, plusieurs témoignages émergent concernant les difficultés face à des demandes pour les mineurs de moins de 18 ans ou expliquent des démarches kafkaïennes pour les femmes mariées. C’est notamment le cas d’une Française arrivée au Royaume-Uni, en 1977. Elle a bien effectué sa demande de résidence permanente en 2019, qu’elle a obtenue, mais sous son nom d’épouse. Or, comme le explique le Guardian, son dossier administratif est enregistré sous son nom de jeune fille. Des anomalies et bugs informatiques qui ne devraient pas disparaître selon Maike Bohn: “On s’attend à voir une énorme augmentation des problèmes signalés lorsque le nouveau programme commencera pour de bon”, craint-il. 

L’un des témoignages ayant illustré ces difficultés est celui du chef étoilé Claude Bosi, résidant au Royaume-Uni depuis 20 ans et qui s’est vu refusé son statut de résident permanent car il manquait trois avis d’imposition dans son dossier. Il assurait alors néanmoins que la situation devrait rentrer dans l’ordre.

Pire, des associations ont alerté ce mardi sur le risque que des enfants européens placés dans foyers ou familles d’accueil deviennent sans-papiers. Certains peinent à prouver leur identité, fournir les documents de résidence requis ou obtenir le soutien nécessaire à leurs démarches, qui incombent à leur tuteur légal ou aux autorités publiques. Selon le ministère de l’Intérieur, 3660 jeunes vulnérables (jusqu’à 25 ans) ont été identifiés comme éligibles au statut de résident, dont 67% avaient soumis une demande à fin avril.

À l’approche du 30 juin, le Home office a d’ailleurs confirmé également observer une hausse des demandes de dernière minute mais assure “continuer à aider des centaines de personnes chaque jour”.

Contrairement à la France qui a donné trois mois de plus aux ressortissants britanniques sur son territoire pour se mettre en conformité, Kevin Foster a refusé de repousser à nouveau la date limite du 30 juin. Le ministre de l’Immigration a toutefois promis que parmi les personnes n’ayant toujours pas fait de demande d’EUSS, celles qui avaient des “raisons raisonnables”, recevraient par courrier une “notice” de 28 jours les incitant à lancer les démarches.

Pour le co-fondateur de The3Million c’est à nouveau de l’esbroufe. “On est loin des droits automatiques promis avant le référendum (...) Sur le papier on dirait presque que le Home Office va écrire à tout le monde, mais d’un ce n’est pas le cas. Autre problème, les personnes qui ne postulent pas. Les autorités ne savent pas qui elles sont, car elles n’ont jamais enregistré les citoyens de l’UE, comme le font la plupart des pays européens”, dénonce à nouveau Maike Bohn.

Craintes face aux discriminions

Ce qui inquiète particulièrement The3Million, ce sont les discriminations auxquelles s’exposent tous les Européens expatriés. “Les citoyens de l’UE qui n’ont pas encore fait de demande ou les près de 400.000 personnes qui attendent toujours une décision seront confrontées à une myriade de problèmes à partir du 1er juillet. Sans statut d’immigration confirmé, ils seront incapables de générer le code numérique qui prouvera en fin de compte leurs droits aux employeurs, aux prestataires de santé, aux banques, aux propriétaires et bien d’autres. Les membres de leur famille ne pourront pas demander le statut”, abonde encore Maike Bohn. 

Le gouvernement a publié le 18 juin dernier un long document à destination des employeurs et des bailleurs. Mais sa complexité, sa longueur et parfois son flou ont été critiqués. Selon Maike Bohn, nombre d’entreprises ou d’agence immobilières ne savent pas qu’elles peuvent, même après le 30 juin, accepter quelqu’un dont la demande est en cours de traitement: “Pour beaucoup d’employeurs, le 30 juin c’est la date finale”, déplore-t-il. 

Dans ce contexte, de nombreux observateurs craignent une redite du scandale Windrush. Un nom qui désigne le bateau depuis lequel sont arrivés de nombreux Jamaïcains après la Seconde Guerre mondiale, et que le gouvernement de l’époque a fait venir. Au début des années 2010, dans un contexte de restrictions des règles en matière d’immigration, de nombreuses personnes issues de cette génération ainsi que leurs descendants se sont retrouvés traités comme des immigrés clandestins. 

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