Butch Vig (Garbage) : “C’est sans doute le disque le plus socialement et politiquement engagé que nous ayons fait”
De son propre aveu, Garbage n’a jamais rendu copie aussi politique et engagée. Butch Vig, batteur et producteur de la formation made in Madison, Wisconsin, revient pour Les Inrocks sur le processus d’enregistrement d’un disque en forme de brûlot,...
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De son propre aveu, Garbage n’a jamais rendu copie aussi politique et engagée. Butch Vig, batteur et producteur de la formation made in Madison, Wisconsin, revient pour Les Inrocks sur le processus d’enregistrement d’un disque en forme de brûlot, marqué au fer rouge par les obsessions esthétiques d’un groupe toujours en quête d’expérimentations en studio. Rencontre.
Garbage a sorti No Gods No Masters, septième album du groupe et 1er long format en 5 ans. Comment cette histoire a-t-elle commencé ?
Butch Vig – C’est drôle, parce que quand on a commencé à enregistrer ce disque, on était tous vraiment très détendus. Nous avons loué une maison appartenant à la famille de Steve Marker (guitariste du groupe, ndlr) pendant 2 semaines, où nous avons entreposé notre matos dans le salon. Et tous les jours, jusqu’à 18h, on jouait, de façon très relax, en mettant en boîte quelques sessions. Nous étions venu·e·s ici sans démo ni idée précise de ce que nous voulions faire, on partait totalement de zéro. Les 1ers jams avaient ce truc groovy, je dirais. On a ramené les bandes avec nous et on a commencé à les travailler dans mon studio ici, à Los Angeles. Les chansons ont alors commencé à se préciser, avec une structure plus nette, et c’est là que Shirley a posé ses 1ers lyrics. Et, bizarrement, les paroles étaient beaucoup plus intenses et engagées que ce que les 1ères prises le laissaient présager.
Comment expliques-tu ce contraste entre les textes de Shirley et les 1ères sessions du groupe ?
Rétrospectivement, je réalise que le processus d’enregistrement a complètement changé à un moment, en effet. Très certainement parce que l’année 2020 a été particulièrement éprouvante pour tout le monde, et pas seulement à cause de la pandémie, mais aussi parce que les inégalités sociales, les inégalités économiques, ou encore le racisme se sont aggravés. Je crois qu’on s’est soudainement laissé guider par tous les trucs barjots qui traversent l’époque. L’album est donc un reflet du monde dans lequel on vit aujourd’hui. Le plus étrange, c’est que nous ne savions pas ce qui allait se passer, beaucoup des lyrics de Shirley ont été écrits entre la fin de l’année 2019 et mars 2020, soit 2 jours avant que le confinement ne commence à Los Angeles. On ne se doutait pas que cette histoire allait durer un an ! Personne n’aurait pu se douter.
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Il vous a fallu muscler la production du disque pour coller à l’intensité des propos de Shirley ?
Ce n’est pas quelque chose dont nous avons vraiment parlé. Une fois les paroles de Shirley sur la table, on a eu cette réaction naturelle de vouloir faire coïncider la musique avec son persona et l’histoire qu’elle voulait faire transparaître dans les chansons. Sutout Duke et Steve, qui ont travaillé des lignes de guitares plus affûtées. Les claviers aussi, magnifiques. Comme sur This City Will Kill You où les claviers donnent une impression de spatialité majestueuse. Le morceau idéal pour terminer un album. Tout s’est joué en quelque sorte au moment du mixage, on voulait vraiment que le public prenne ce disque en pleine poire. Un morceau comme The Creeps est très dense et, selon moi, se classe dans la catégorie punk rock. Il m’est difficile de définir le son de ce titre, mais il fallait qu’il t’arrive en pleine face.
Il y a un mélange des genres sur ce disque. Le titre d’ouverture du disque, The Men Who Rule the World, concentre des influences électroniques, limite electroclash, avec des gimmicks de guitare no wave et un refrain abrasif. Avez-vous parfois l’impression de vouloir faire rentrer toutes vos inspirations dans un seul titre ?
C’est intéressant parce que ce titre, pour moi, rassemble presque 2 chansons distinctes. La 1ère partie me rappelle le New York de la fin des années 1970, début 1980. Les Talking Heads, en fait. Mais on n’évoque pas ces influences entre nous, disons que c’est ainsi que la musique a évolué naturellement. Cette partie vient de nos sessions de jam à Palm Springs, sans lyrics, ou à peine. On avait donc cette section, puis est venu le refrain, qui a fini par sonner de façon beaucoup plus heavy, avec les claviers et ses guitares beaucoup plus proches de ce que Nine Inch Nails peut faire. Un truc plus années 1990, cette fois. Et puis, il y a beaucoup d’éléments électroniques un peu étranges, qui fonctionnent avec la ligne de basse et qui donnent une teinte hip-hop au morceau.
Les paroles de ce morceau sont très “engagées”.
Les lyrics de Shirley lui ont été inspirés par une manifestation de femmes contre le gouvernement. Mais le morceau dans son ensemble dénonce le pouvoir, l’avarice et la misogynie. Il nous a semblé que The Men Who Rule the World était la chanson parfaite pour ouvrir No Gods No Masters, parce qu’il donne le ton au reste du disque.
Ce genre de structure, qui semble encapsuler 2 morceaux en un, rappelle un titre comme Androgyny (2001), influencé par le r’n’b du début des années 2000. C’est assez typique de Garbage, finalement.
Oui, sauf que Androgyny est plus léger et plus pop, mais la démarche de faire cohabiter des couplets et un refrain qui sonnent différemment mais s’emboîtent est la même.
Le titre de l’album, No Gods No Masters, résonne comme un manifeste, sans être nécessairement punk. C’est d’ailleurs sans doute le disque le plus consciemment politique du groupe. C’était une volonté de votre part que de délivrer un tel message ?
Encore une fois, cela s’est imposé à nous. Nous n’avions pas anticipé cela. Les paroles sont venues à Shirley en suivant les actualités. C’est vrai, c’est sans doute le disque le plus socialement et politiquement engagé que nous ayons fait, sans doute parce que nous ne nous voyions pas enregistrer un album pop et léger. Comme tout le monde, nous étions complètement étourdi·e·s par les nouvelles. Surtout aux Etats-Unis, rien que le mois dernier (l’entrevue a été réalisée au début du mois de mai 2021), il y a dû y avoir une cinquantaine de meurtres par armes à feu. Le flux d’armes chez nous est devenu incontrôlable, le gouvernement ne fait rien contre cela. L’album est un témoignage de ce que l’on voit au quotidien. Le truc qui est bien avec ce groupe, c’est que quand Shirley écrit, chacun des membres de Garbage se sent concerné. On partage les mêmes sentiments.
Butch, tu traînes beaucoup en studio, tu aimes expérimenter, manipuler toutes sortes de machines qui finiront par alimenter un disque. Tu penses que ce rapport au processus d’enregistrement explique que Garbage continue d’incorporer des sonorités nouvelles encore aujourd’hui ?
Je suis stupéfait que l’on soit encore là aujourd’hui, ensemble. Je pense que la raison pour laquelle on sort encore des disques est que l’on s’entend bien ensemble. Je ne dis pas qu’on ne se prend jamais la tête, on se gueule souvent dessus en studio, mais on a tous·tes la même sensibilité. En ce qui me concerne, j’adore Garbage parce que c’est comme une cour de récréation dans laquelle il m’est permis de tout faire : je peux faire de l’électronique, lorgner sur le hip-hop, attraper une guitare et caler des riffs punk rock. On n’a jamais été catégorisé comme groupe dans un seul genre musical, c’est quelque chose de libérateur quand tu es dans le business depuis si longtemps. Si on le veut, on peut écrire une pop song ou alors se diriger vers des trucs plus dark ou noisy, parfois dans le même morceau. Comme tu le sais, on n’est pas le groupe le plus prolifique, mais je suis impatient de travailler sur un nouvel album.
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Quels sont les motifs d’engueulades en studio ?
Je dirais que les sujets de crispation tournent toujours autour de la direction que l’on veut faire prendre à une chanson. Doit-elle être plus pop ? Plus noisy ? Plus calme ? Ou alors, faut-il que ce morceau ait une dominante électronique ? Ou bien qu’il soit plus centré sur la guitare ? Un titre de Garbage est souvent traversé par une multitude d’idées, de couches de sonorités et il y a parfois des tonnes de prises. Au bout d’un moment, en tant que groupe, tu dois te poser et essayer de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas avec ton morceau. Et souvent, c’est quelque chose dont tu te rends compte une fois le morceau mixé. C’est sur ce genre de trucs qu’on peut se prendre la tête, parce qu’on n’est pas forcément d’accord sur ce qui est à retirer ou non. Mais je pense que c’est sain. Pour le pire ou pour le meilleur, quand tu entends un morceau de Garbage, il sonne toujours comme nous. Tu nous reconnais à coup sûr instantanément.
Tu te sens inspiré par la nouvelle génération de musicien·ne·s que tu croises aujourd’hui ?
J’adore Billie Eilish, je la connais et son frère Finneas depuis qu’elle est petite. Leur maman, Maggie, était la prof de musique de ma fille. On habite le même quartier, on se croisait aux fêtes de voisinage. Je les ai vu·e·s grandir, Finneas jouait dans des groupes de rock à L.A. quand il avait 14-15 ans, et quand j’ai entendu Billie chanter pour la 1ère fois, elle m’a subjugué. C’est une star mondiale aujourd’hui. Sur l’album, elle est incroyable et les structures des morceaux de Finneas sont cool. Ils ont réussi à capturer quelque chose de l’époque, un peu à la manière de Nirvana à l’époque. D’un certain point de vue, je pense que le monde attendait qu’une artiste comme elle apparaisse.
No Gods No Masters de Garbage (Infectious Music/BMG)