Butch Vig, producteur de ”Nevermind” : ”Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer”
Nevermind fête cette année ses 30 ans. Comment expliques-tu que ce disque soit encore aussi iconique aujourd’hui ? Butch Vig – Nevermind est toujours aussi ancré dans les esprits parce que les morceaux restent très accrocheurs, que la performance...
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Nevermind fête cette année ses 30 ans. Comment expliques-tu que ce disque soit encore aussi iconique aujourd’hui ?
Butch Vig – Nevermind est toujours aussi ancré dans les esprits parce que les morceaux restent très accrocheurs, que la performance livrée y est intense et passionnée, et que la façon dont Kurt Cobain chante, combinée à la force de ses paroles, a viscéralement résonné chez les gens. C’était vrai il y a trente ans, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Il cause de colère, de confusion, de vulnérabilité et questionne le monde qui l’entoure. Et je pense que ce sont des sentiments qui causent à tout le monde de nos jours.
Il pose beaucoup de questions dans ses chansons, sans nécessairement donner les réponses. Et ces questions sont encore dans l’air du temps. Les jeunes qui écouteraient Nevermind en 2021 pourraient se sentir concernés au même titre que la jeunesse de 1991. Et puis le disque est une tuerie. C’est l’avantage du rock’n’roll, avec une formule guitare, basse, batterie : ton album reste intemporel.
Penses-tu que des artistes comme Billie Eilish, qui ne font pas à proprement causer du rock, peuvent représenter pour la jeunesse d’aujourd’hui ce que Kurt Cobain a représenté pour les kids de la fin des années 1980 ?
Billie Eilish signifie quelque chose dans la culture populaire que ses fans et son public comprennent très bien. Elle exprime son anxiété par rapport à l’époque dans laquelle elle vit et se situe à un niveau émotionnel qui cause directement aux gens qui la suivent, parce qu’ils sont précisément comme elle. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Nevermind. Ce disque a allumé un incendie en débarquant dans une époque qui manquait d’inspiration.
Les gens sont devenus fous, parce qu’ils n’avaient jamais écouté un truc pareil avant. Billie fait une musique complètement différente, mais les mécanismes émotionnels sont les mêmes. La musique en général embrasse différentes tendances, tu ne sais jamais jusqu’où cela peut aller, mais il t’arrive de tomber sur un artiste qui sera la définition d’une génération. Et Billie Eilish est l’une de ces artistes.
Pendant l’enregistrement de l’album, as-tu senti que Nevermind allait entrer dans l’histoire ?
Quand j’ai enregistré ce disque, je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. Mais je savais que les chansons étaient bonnes. Le groupe jouait très fort et resserré, il fallait que je les aide à concentrer cette énergie. Les lignes de basse étaient géniales, les guitares de Kurt, sa voix, même le jeu de Dave [Grohl] avait des hooks accrocheurs. C’est à la fin de l’enregistrement que j’ai pigé que cet album avait quelque chose d’à part.
Quand je suis rentré à Madison, Wisconsin, après l’enregistrement dans les studios Sound City de Los Angeles, j’ai commencé à recevoir des messages me disant : “Hey, Butch, je m’occupe de la promo du disque, oh my God, c’est incroyable. Bravo !” Je ne savais même pas qui étaient ces personnes ! Je me rappelle, le 4 juillet 1991, lors d’un barbecue avec des amis musiciens, j’ai passé l’album et je n’avais jamais vu des gens aussi affectés par un disque avant ce jour.
C’est un truc qui t’est arrivé encore après dans ta carrière ?
Tu sais, pour le pire ou le meilleur, ce disque a complètement changé ma vie et celle du groupe. Tu peux t’estimer heureux si cela arrive ne serait-ce qu’une fois dans ta vie. Au bout du compte, quand je termine un album, je passe à autre chose. Je n’ai plus jamais vraiment écouté Nevermind.
Tu te souviens de ta 1ère rencontre avec Kurt Cobain ?
Kurt est venu à Madison, dans mon studio, pour la même raison qui a poussé Billy Corgan [leader des Smashing Pumpkins] à venir lui aussi : mon travail sur les albums de Killdozer, un groupe du Wisconsin qui avait un son horrible, vaseux, très bizarre, lourd et qui sonnait comme si quelqu’un se cassait la gueule dans les escaliers. Mais ils avaient une vibe authentique, et c’est pour ça que Kurt et Billy ont fait appel à moi.
“Kurt pouvait être totalement charmant et engageant puis devenir mutique, renfermé”
La 1ère fois qu’il est venu chez moi, Chad Channing [le batteur qui sera remplacé par Dave Grohl quelques semaines plus tard] faisait encore partie du groupe et ils enregistraient pour le label Sub Pop. Ils étaient en pleine tournée dans le Midwest, et on a dû mettre en boîte quelque chose comme sept chansons. Je me suis super-bien entendu avec eux !
Kurt avait des changements d’attitude, il pouvait être totalement charmant et engageant, à l’écoute de n’importe quelle suggestion et puis, comme s’il appuyait sur un interrupteur, il pouvait devenir mutique, renfermé et rester dans un coin avec sa guitare. Quand je lui demandais si quelque chose n’allait pas, il ne réagissait pas. J’ai compris qu’il fallait le laisser tranquille quand il traversait ces phases.
Après cela, Nirvana a quitté Sub Pop et signé chez Geffen, une major. Et vous avez repris l’enregistrement à Los Angeles, Dave Grohl venant aussi d’intégrer le groupe.
Après les sessions pour Sub Pop, Nirvana était censé revenir à Madison pour finir l’album, mais entre-temps, le groupe avait mixé les enregistrements que j’avais faits et filé des cassettes à tous leurs potes qui, à leur tour, ont filé des cassettes autour d’eux. Nirvana a fini par signer chez Geffen en grande partie parce que Sonic Youth appartenait au catalogue. Le label leur a proposé des noms de producteur, mais rien ne leur convenait et donc ils m’ont rappelé.
Je m’en souviens, j’étais en studio avec Billy, en train de finir Gish des Smashing Pumpkins. C’est Krist [Novoselic] qui m’a dit : “Hey, on veut vraiment que ce soit toi.” Et puis les mecs m’ont envoyé quelques demos, en me présentant leur nouveau batteur, Dave. Ils m’ont dit : “C’est le meilleur batteur du monde !” L’une des demos était celle de Smells like Teen Spirit.
La qualité de l’enregistrement n’était pas bonne, mais j’ai pu voir à quel point l’écriture de Kurt avait évolué. Il avait un sens incroyable du songwriting, un truc qu’il avait moins sur Bleach, leur album précédent, à part la chanson About a Girl. Le groupe vivait alors à Hollywood, dans un complexe d’appartements où traînaient des acteurs. Ça a l’air fancy dit comme ça, mais c’était un endroit sordide.
Nirvana savait-il déjà comment devait sonner l’album ?
L’enregistrement s’est très bien passé, l’ambiance était parfaite. Ils étaient très concentrés, ils voulaient que l’album soit très bien produit. Ils voulaient élever le niveau par rapport à Bleach. Kurt avait de l’ambition, il voulait jouer dans des stades. Ça a fini par arriver, mais il n’a pas aimé ça.
Il y a eu des moments de friction entre le groupe et toi ?
Je ne voulais pas enregistrer l’album live, je voulais utiliser des trucs de studio pour en faire quelque chose d’énorme. Comme j’ai fait des overdubs avec les instruments, je voulais doubler les prises de voix pour susciter des harmonies.
Kurt ne voulait pas, parce qu’il trouvait que c’était de la triche. Je lui ai fait écouter une chanson de John Lennon au casque et il a fini par dire : “Lennon double ses voix, alors c’est cool.” Une fois convaincu, le reste a roulé tout seul.