[Cannes 2021] « After Yang » de Kogonada : un film de science-fiction éblouissant et minimaliste sur l’intelligence artificielle.
Dans ce superbe film américain, réalisé par le mystérieux Kogonada et produit par les wonderboys d’A24, le malheur n’a (heureusement) pas disparu, mais patriarcat, racisme ou écocide semblent être des problèmes réglés, ou du moins suffisamment...
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Dans ce superbe film américain, réalisé par le mystérieux Kogonada et produit par les wonderboys d’A24, le malheur n’a (heureusement) pas disparu, mais patriarcat, racisme ou écocide semblent être des problèmes réglés, ou du moins suffisamment atténués pour n’être pas abordés.
Peu de détails sont donnés sur cette société miraculeusement équilibrée, mais les humains semblent avoir trouvé le moyen d’y vivre en harmonie, entre eux et avec la nature, et il n’y a pas d’autre antagoniste que les sales coups de la vie — si ce n’est, tout de même, un capitalisme tendant à espionner la vie privée, mais sur lequel, là encore, on sait peu de choses.
C’est que le jeune cinéaste d’origine coréenne, au pseudo inspiré du scénariste fétiche de Yasujiro Ozu, Kogo Nodo, connu dans les sphères cinéphiles américaines pour ses brillantissimes essais critiques vidéos (sur Wes Anderson, Godard, Bresson, Tarantino…) et pour son 1er long Colombus (gros succès critique en 2017 mais inédit en France), inscrit moins son propos dans le sociologique que dans le métaphysique. Le social n’est pas absent de son film, et il pose des questions sur l’identité, mais ce qui l’occupe véritablement sont des questions existentielles, universelles : comment fonctionne la mémoire, qu’est-ce qui constitue l’expérience humaine, ou qu’est-ce qui lie entre eux les individus ?
Colin Farrell, génialement minéral, comme dans ses meilleurs rôles, joue ici un père de famille qui fabrique du thé de luxe (Truffaut, qui aimait les métiers originaux, aurait sans doute apprécié celui-ci), qui est marié à Jodie Turner Smith (superbe actrice révélée par Queen and Slim), et qui a adopté une petite Chinoise, à qui il a offert un grand frère de synthèse. Le Yang éponyme est ainsi un robot, ou plutôt un « techno-sapiens » doté de connaissances encyclopédiques, indiscernable d’un humain, chargé de connecter sa petite soeur Mika à sa culture chinoise dont ses parents adoptifs n’ont qu’une vague idée — en cela, c’est effectivement un film de son époque, marqué par les obsessions américaines du moment.
De Blade Runner à Ghost in the Shell, de A.I. à Ex Machina (pour ne citer que les films auxquels After Yang fait le plus penser), le cinéma a généralement dépeint les androïdes comme des êtres problématiques, en conflit avec leurs créateurs. Yang est différent. S’il se rapproche, par certains aspects, du petit David du A.I. de Spielberg, ses parents adoptifs ne lui veulent aucun mal, au contraire : ils passent leur temps à essayer de le réparer, suite à une panne fatale qui les prive de sa présence réconfortante. Trainant son corps inanimé de réparateurs en réparateurs, ils parviennent à pénétrer dans son cerveau numérique et à en arpenter les souvenirs, découvrant qu’ils ont entre les mains un être exceptionnel…
Le scénario, profondément original en dépit de ses thèmes vu et revus, se déplie avec une grande habileté sur une durée courte (1h41), ne cessant de surprendre à chaque embranchement.
Mais c’est par son style que Kogonada impressionne le plus. Ayant passé une décennie à analyser celui des grands maîtres, il a su créer le sien propre, qu’on pourrait certes rapprocher de certains cinéastes asiatiques (comme Edward Yang) mais qui trouve là ses propres respirations. Le réalisateur d’origine coréenne trouve en effet des solutions de figuration prodigieuse pour représenter des tropes de la science-fiction qu’on croyait épuisés.
Les communications téléphoniques sont ainsi de simples champs/contrechamps frontaux collant des espaces disjoints avec une infinie élégances ; les déplacements en voiture, nombreux, sont comme des discussions de café, filmées à travers des vitres réfléchissant de sublimes éclairages ; la mémoire, enfin, est une bibliothèque de petits points lumineux donnant accès à des scènes fugaces et magnifiques (figurant la formidable Haley Lou Richardson).
Aussi minimaliste que profond, d’une infinie délicatesse, After Yang est un théorème dont la résolution appartient au spectateur, et qui devrait garantir à son auteur une reconnaissance au-delà des Etats-Unis.