[Cannes 2021] “La Fièvre de Petrov” de Kirill Serebrennikov : un hallucinant train fantôme à travers la Russie post-soviétique

Après un dimanche marqué par des films dotés d’une mise en scène sobre et élégante (Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi et Tre Piani de Nanni Moretti), la compétition a changé de visage lundi 12 juin avec deux...

[Cannes 2021] “La Fièvre de Petrov” de Kirill Serebrennikov :  un hallucinant train fantôme à travers la Russie post-soviétique

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Après un dimanche marqué par des films dotés d’une mise en scène sobre et élégante (Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi et Tre Piani de Nanni Moretti), la compétition a changé de visage lundi 12 juin avec deux films ultra-formalistes et dispendieux : La Fièvre de Petrov (Petrov’s Flu) de Kirill Serebrennikov et The French Dispatch de Wes Anderson. Et pourtant leur formalisme produit un effet inverse.

Chez Anderson, dont c’est probablement le plus mauvais essai, l’excès de coquetterie donne au film un aspect de bel emballage vidé de toutes substances, tandis que chez Serebrennikov, l’exubérance formelle procure au contraire un trop-plein, une ivresse cinématographique qui en fait l’un des rares chocs sismiques d’une compétition jusque-là, et à quelques exceptions près, en électroencéphalogramme plat.  

Chaos, violence, crasse et alcool

Adaptation du roman d’Alexei Salnikov Les Petrov, la grippe, etc. (2020), le film explique quelques jours dans la vie de Petrov, un mécanicien/dessinateur de bande-dessinée de SF atteint d’une grippe qui contamine, petit à petit, son entourage et fait du film une longue errance hallucinée, où délires, rêves et réalités se confondent. Ce torrent cinématographique interrompu se divise en trois natures d’images distinctes : la trame principale qui suit la vie enfiévrée de Petrov et de sa famille, une autre de souvenirs d’enfance ayant l’apparence d’un film familial et une dernière en noir et blanc,  parenthèse qui nous plonge dans le passé.  

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Sur le papier, on pouvait penser que le film porterait en lui la trace du temps présent et de l’omniprésence de la pandémie. Mais si cette grippe est bien une allégorie, c’est plutôt celle de la gangrène qui contamine la société post-soviétique russe. La Fièvre de Petrov décrit un monde où tout est chaos, où la violence surgit à tout moment, où la crasse est une seconde peau et où l’abus d’alcool ne suffit pas à oublier un réel suffocant. 

Lever le voile sur une Russie dissimulée

La mise en scène hallucinée et chorégraphiée de Serebrennikov est d’une sophistication folle et d’une ambition délirante. Le film a, sur son spectateur·trice, l’effet d’un passage dans une machine à laver en mode essorage rapide. Sa caméra virevolte et s’affranchit du temps, de l’espace et des genres cinématographiques. On en ressort groggy, à la limite de l’indigestion, sans avoir très bien compris ce qui vient de nous arriver. C’est que ce déchaînement de cinéma est aussi un film crypté, dont les clés nous échappent en partie tant il cause d’une Russie que nous ne connaissons pas, celle que le gouvernement Poutine veut dissimuler à tout prix. 

Pour en forcer l’une des portes d’accès, il faut repasser par le précédent film du cinéaste toujours persécuté par le gouvernement russe et qui n’a, de fait, pas pu se rendre à Cannes, limitant sa présence à une apparition en vidéoconférence à l’issue de la projection (dans un dispositif rappelant l’intervention de Godard, il y a plus de 3 ans). Dans les derniers instants de Leto (2018), on comprenait que le film était un mausolée bâti à une génération de rockeurs de l’ex-URSS sacrifiée.

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Dans La Fièvre de Petrov, Serebrennikov donne une voix à une génération d’artistes plus ou moins clairement anti-Poutine et dont le réalisateur est l’une des figures de proue. Parmi elles·eux, l’auteur du roman, Alexei Salnikov, 42 ans; l’acteur du film et musicien ukrainien Ivan Dorn, 32 ans; et enfin le rappeur Husky, 28 ans. Emprisonné par les autorités russes pour ses textes, ce dernier y décrit, à l’instar du film, une Russie sombre et anxiogène, entre alcoolisme, violence et pauvreté. Il apparaît d’ailleurs dans la dernière scène du film. Jaillissant du cercueil transporté par le corbillard dans lequel se passe une partie du film, il revient d’entre les morts pour, à nouveau, fouler ces rues boueuses et insalubres, à la poursuite d’un bus qui finit par le laisser grimper en bord en le sommant de payer son ticket.

De ce film fumeux jaillit alors une conclusion limpide : ce rappeur qui revient à la vie est un alter ego du cinéaste muselé par les autorités, et l’opposition artistique russe à laquelle il appartient devra payer le prix de son impertinence si elle veut continuer à vivre dans cette société malade.